Le modèle TGV est t-il à bout de souffle ?
Plus de trente ans après sa mise en service, le modèle économique s’est stabilisé, avec un chiffre d’affaires en léger recul depuis 2012. Dans un contexte d’ouverture à la concurrence, faut t-il repenser le modèle TGV en profondeur ?
Les grands projets techniques et industriels lancés par l’Etat au cours des années 70 et 80 ont permis au transport ferroviaire de voyageurs de se développer au moment où les transports routier et aérien émergeaient. Le TGV est alors devenu la vitrine du transport ferroviaire en même temps qu’une des réussites technologiques majeures françaises. Mais près de trente-cinq ans après la mise en service de la première LGV (Ligne Grande Vitesse), le modèle s’est stabilisé et doit faire face et un certain nombre de difficultés systémiques :
- Les premières LGV arrivent à un âge qui nécessite un renouvellement relativement couteux de l’infrastructure (minimum 1 M€ par kilomètre de ligne) sans que cela se traduise par un saut de performance.
- Le marché global semble se stabiliser, avec un chiffre d’affaires et une fréquentation stables. La conjoncture économique actuelle ne laisse pas espérer une croissance sensible.
- Les financements publics sont plus contraints et l’arbitrage entre les grands projets et la mise à niveau du réseau existant commence à poser des difficultés.
- L’accident de Brétigny a mis en évidence un besoin important et urgent d’entretien du réseau classique.
- L’émergence de la concurrence intermodale, notamment par le biais du co-voiturage et la libéralisation des transports interrégionaux par autocar pèse sur les perspectives de développement.
Des avantages à relativiser
Malgré cela, le TGV reste incontournable pour les collectivités territoriales : celles qui ne sont pas desservies réclament à cor et à cris une desserte. Pourtant, les bénéfices de la desserte TGV ne sont ni évidents, ni immédiats :
- Le développement des territoires est multifactoriel et ne peut être directement corrélé à une desserte TGV. Si les études préliminaires sont souvent dithyrambiques sur l’apport du TGV, la réalité ne montre pas d’inflexion forte dans l’évolution des villes pouvant être attribuée à leur desserte : les villes dynamiques le restent et celles qui ne l’étaient pas ne le sont pas devenues.
- Le fait que l’empreinte écologique du TGV soit plus faible que celle du transport routier doit être relativisé. La traction des trains à l’énergie électrique, majoritairement d’origine nucléaire en France, le rend peu émetteur de gaz à effet de serre par rapport à la voiture ou l’avion. Mais cet indicateur ne prend pas en compte l’achat d’énergie à l’étranger ni l’impact du nucléaire dans la réflexion environnementale.
La complexité de mise en œuvre des stratégies d’évolution du réseau
Dans son rapport sur la grande vitesse ferroviaire, la Cour des comptes a préconisé la réduction du nombre de villes desservies par le TGV en s’interrogeant sur la pertinence de la desserte d’agglomérations comme Hazebrouck, Montceau-les-Mines, Rethel ou Lunéville. Il s’agirait de ne desservir que les principaux bassins de population de TGV et de favoriser les correspondances pendulaires avec les dessertes régionales de type TER pour des agglomérations de taille plus réduites. Outre l’impact politique d’une telle décision, cela impliquerait des travaux d’infrastructure complexes et couteux pour repenser la configuration de nombreuses gares qui n’ont pas été conçues comme des gares terminus ni pour assurer de multiples correspondances, mais aussi pour positionner les locaux de remisage et de maintenance de manière optimale.
Enfin, la SNCF peine à améliorer sa capacité de financement à l’étranger : au moment où la France déployait des LGV il y a une vingtaine d’années, les réseaux ferrés de certains de ses voisins européens présentaient un état global nettement inférieur. Mais depuis, ceux-ci ont décidé d’investir massivement pour se remettre à niveau et sont aujourd’hui porteurs des dernières innovations technologiques. La France n’est plus le seul fleuron de la technologie ferroviaire et a donc partiellement perdu son rôle de partenaire de premier plan sur les autres continents.
Ce retour dans le rang pourrait s’inscrire dans la durée, comme le montre le fait que la course à la vitesse apparaisse de moins en moins comme une priorité. Les récents accidents ferroviaires (Eckwersheim et Brétigny) relèguent les besoins d’innovation derrière les problématiques d’entretien du réseau existant. Une réflexion est même engagée sur la réduction de la vitesse d’exploitation sur les lignes exploitées à 320 km/h devant les surcouts de maintenance engendrés sur l’accroissement de la vitesse.
Une gouvernance difficilement maîtrisable
Malgré ces limites, de nombreuses collectivités font pression pour bénéficier d’une desserte TGV, profitant d’une gouvernance complexe qui peine à maîtriser ses dépenses.
Le rapport de la Cour des Comptes souligne que les études socio-économiques sur lesquelles sont basés les projets de ligne nouvelle sont généralement trop optimistes et rarement basées sur des critères socio-économiques rationnels : élargissement des bassins de population concernée et prévisions de trafic résolument optimistes, hausse des péages sous-estimée, taux d’actualisation ajusté, … L’expérience montre que, excepté pour la ligne Paris-Lyon, tous les objectifs de rentabilité ont loin d’avoir été atteints.
Le processus de décision actuel échappe à la SNCF en raison de la présence de multiples acteurs et financeurs aux relations complexes. Dans un contexte de fragilisation des finances locales, les plans de financement ne sont que rarement finalisés au moment où se lance le projet. Cela amène parfois SNCF Réseaux à palier un retard ou un désengagement d’une collectivité, souvent par une augmentation de sa dette pourtant déjà conséquente. Le poids des collectivités locales, voué à s’accroitre avec la réforme territoriale, pousse l’entreprise à multiplier les engagements : par exemple, le financement de certaines collectivités dans la nouvelle ligne Tours-Bordeaux était conditionné par des engagements sur le prolongement de cette LGV par la ligne Bordeaux-Toulouse – Agen.
Le fléchissement de la rentabilité du TGV, assorti à une gestion non rationnelle des projets pose donc de réelles interrogations au sujet du modèle TGV français. Dans un contexte financier contraint et face à l’arrivée probable de concurrents étrangers sur les lignes TGV les plus rentables, il semble désormais inévitable qu’une réflexion de fond s’engage sur le fonctionnement du TGV pour rationaliser l’approche des nouveaux projets.
Par Loïc, Consultant Confirmé