Conduire le changement… jusqu’à l’overdose ?

Guillaume CABANNES - Artimon

Gilles Simon

Associé

La conduite du changement est entrée dans les mœurs. Fréquemment dotée de budgets propres, elle est perçue de plus en plus souvent par les décideurs comme un facteur essentiel de réussite des projets de transformation.

Si les managers en sont souvent friands c’est parce que, bien menée, elle peut leur rendre de précieux services :

  • Elle est  un baromètre (voire un révélateur) des attentes et craintes du terrain : percevoir, décrypter, comprendre les attentes et résistances n’est pas toujours chose aisée au quotidien… On ne dit pas toujours tout à son manager !
  • Elle est également  un outil opérationnel dont l’objectif est de favoriser l’adhésion, souder le collectif, motiver les équipes et impliquer les individus. A l’heure où le Management est élevé au rang d’Art par certains et où le middle management est une courroie de transmission cruciale de la politique d’entreprise, il est assez facile d’imaginer que tout apport permettant la mise en mouvement des équipes est toujours le bienvenu !

Image10La conduite du changement s’appuie sur un principe simple : la réussite d’un projet de transformation ne dépend pas uniquement des compétences, de la méthode et de l’implication des individus en charge du projet.  La perception des acteurs de l’entreprise, le schéma relationnel, politique et social, l’histoire, le potentiel de résistance et d’innovation, les leaders d’opinion (qui ne sont pas toujours connus !), constituent autant de facteurs, humains, pouvant faire ou défaire un projet… La prise en compte et la compréhension des comportements collectifs et individuels est donc indispensable.

Mais la difficulté tient moins dans l’analyse de perception et d’impacts d’un projet que dans la proposition d’un dispositif d’accompagnement, pertinent et efficace, répondant aux attentes et traitant les résistances. Les outils et techniques à disposition sont potentiellement nombreux  et plus ou moins  sophistiqués (formations, coaching, séminaires, ateliers, co-développement, petits-déjeuners, serious-game…). Mais mal ciblés, ils peuvent atteindre l’objectif inverse : fédérer les mécontentements et favoriser le rejet ! Paradoxal ? Peut-être… Mais déjà vécu.

Autres temps, autres lieux : jeune consultant  (il y a donc un siècle), je prends part (modestement) au projet de déploiement d’un ERP groupe. Ce projet est d’importance pour l’entreprise et ses filiales et les risques nombreux.  Pour le mener à bien, la direction choisit un cabinet de conseil dont l’expertise de la conduite du changement est reconnue (et déterminante) compte tenu du contexte humain « complexe ». Une équipe « change » est donc constituée et dotée d’un budget conséquent.

Baromètres, newsletters, points de vue, séminaires d’équipes, grandes et petites messes, petits déjeuners, grands dîners, brainstormings au vert… L’équipe de conduite du changement est partout, tout le temps. Et grâce à elle, nous découvrons mois après mois les capacités d’accueil infinies de la région parisienne. Mais malgré ces efforts, le projet ne parvient pas à mobiliser, fédérer, surmonter les résistances. Pire, la conduite du changement paraît artificielle : les séminaires sont nombreux mais ne traitent pas des réelles résistances (qui nécessiteront d’un peu plus « d’intimité » et de face à face). La communication, exagérément positive, devient vite « officielle ».  Perçue comme trompeuse, elle n’est plus écoutée. Le baromètre c’est « l’œil de Moscou » dont tout le monde se méfie et auquel plus personne ne répond. Petit à petit une conviction se répand  au sein des équipes opérationnelles : la conduite du changement coûte cher mais ne sert à rien. Déconnectée, elle ne comprend pas le fond du projet et élude les vrais sujets d’inquiétude. Bref, la conduite du changement parle beaucoup, mais ne dit pas grand chose …

Image11Au final, elle aura tout de même réussi à fédérer l’ensemble des acteurs… contre elle et contre le projet. Après quelques mois, le dispositif est stoppé, car jugé contre-productif.

La conduite du changement est importante, cruciale, incontournable, mais n’est pas une fin en soi.  Pour réussir, elle doit être au service du projet (c’est une évidence), du management (bien sûr) mais aussi de la cible qu’elle est sensée adresser : les femmes et hommes de l’entreprise. Elle doit à ce titre s’intégrer dans la culture d’échange et faire preuve d’une certaine indépendance (et donc de courage !). Soutenir le management, oui, mais sans le déresponsabiliser.

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