Il faut moderniser la politique immobilière de l’État
Pendant longtemps, l’État n’a pas défini de politique immobilière, avec pour conséquences une sous-occupation chronique de son patrimoine, et une méconnaissance des caractéristiques des biens, de leur état et de leur usage. Depuis 2005, d’importantes réformes ont été mises en œuvre. La réforme de l’immobilier de l’État (2009), en introduisant la notion d’État propriétaire, souligne la nécessité de concevoir une véritable gestion du patrimoine immobilier de l’État.
L’évolution de la réglementation, la situation des finances publiques, l’état des immeubles indispensable à la qualité du service public, invitent à accélérer les démarches de modernisation entreprises et à franchir une nouvelle étape.
Un enjeu financier majeur :
Dans un contexte où la Cour des Comptes estimait à 33 Mds € l’effort budgétaire nécessaire en 2013 pour atteindre l’objectif de déficit public de 3% du PIB, l’immobilier représente un gisement potentiel de recettes et d’économies :
– Au bilan de l’État, l’immobilier est valorisé à 67 milliards €, sans compter les 40 milliards € de biens mis à disposition de ses opérateurs. La réalisation d’opérations de cessions contribue à alimenter les caisses de l’Etat.
– Le coût annuel de la fonction immobilière (hors dépenses de personnel et hors opérateurs) s’établit à 8 Mds € en 2013. En optimisant l’organisation de la fonction immobilière, ce coût immobilier peut être réduit de 20 à 25%.
L’Etat, un propriétaire et/ou locataire pas comme les autres :
La politique immobilière de l’Etat doit cependant tenir compte de deux spécificités fortes :
– L’État doit intégrer les contraintes inhérentes à son action publique : la politique immobilière doit être un outil au service de l’aménagement du territoire, de la politique du logement (mobilisation du foncier en faveur du logement), de la politique de développement durable. Sa politique immobilière doit être un vecteur pour ses autres politiques publiques. Il doit également offrir des locaux adaptés à l’accueil du public et assurer de bonnes conditions de travail.
– L’État est un propriétaire singulier : son patrimoine est de taille incomparable (100 millions de m²) et comprend toutes les classes d’actifs immobiliers, dont des immeubles spécifiques (monuments historiques, universités, centres pénitenciers, etc.) qu’il occupe en propre ou qu’il met à disposition.
Des premières étapes de modernisation franchies :
Les différentes réformes ont permis de lancer une modernisation de la politique immobilière qui a conduit l’Etat et ses opérateurs à proposer une reconfiguration de leur parc. Pour cela, des outils spécifiques ont été créés :
– Des outils de programmation stratégique avec les schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) qui ont permis aux services de l’Etat et ses opérateurs de mieux connaître leur patrimoine (identification des biens, de leurs coûts, de leur occupation et de leur état technique et réglementaire), et à proposer des schémas d’évolution de ce patrimoine.
– Des outils budgétaires avec le Compte d’Affectation Spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l’Etat », créé pour financer la restructuration du parc immobilier de l’Etat, au moyen de recettes de cessions d’actifs immobiliers. Le CAS se donnait pour but d’inciter les ministères aux cessions immobilières, en leur attribuant un taux de retour. Les opérations immobilières finançables sur le CAS sont en principe distinctes de celles relevant de l’entretien lourd dit « du propriétaire » (éligibles au programme 309 – Entretien des bâtiments de l’Etat) et de l’entretien léger dit « du locataire » (qui relève des budgets ministériels). Mais en pratique, ces outils restent très complexes et les frontières sont poreuses : ils n’ont pas encore permis de mettre en place un véritable pilotage budgétaire.
– Des outils permettant la prise en compte du coût de l’immobilier avec la définition de loyers budgétaires dans le cadre des conventions d’occupation.
Certains résultats sont mesurables : sur la période 2007-2012, près de 600 000 m² de surface de bureaux occupés par l’Etat ont été libérés et vendus pour une valeur d’environ 4 milliards d’euros.
L’Etat espère pouvoir céder pour 470 millions d’euros de bâtiments publics en 2014 contre 530 millions cette année. Depuis 2010, une partie des sommes ainsi récupérées par l’Etat doit obligatoirement servir au désendettement : 20% en 2012, 25% en 2013, et 30% à partir de 2014.
Un nouveau cap : doter l’Etat d’une véritable Direction Immobilière
Malgré ces vagues successives de réformes et les premiers résultats observés, force est de constater que le parc immobilier n’est pas encore optimisé : des dizaines de milliers de mètres carrés restent inoccupés, la superficie du parc occupé par l’État n’a que très peu diminué (moins de 3 %), etc.
La gestion immobilière est insuffisamment efficace : le coût de gestion est très élevé, l’entretien du parc est trop peu souvent lié à un réel plan d’actions structuré. L’Etat n’est toujours pas doté de réel instrument de pilotage de sa fonction immobilière. Il n’est donc pas en mesure de prendre des décisions pleinement éclairées sur les interventions à mener sur son patrimoine, que ce soit en matière de travaux et d’investissements à réaliser, en matière d’arbitrage sur sa détention ou sur les opportunités de mutualisation de sites. L’absence de bases de données fiables et de tableaux de bord constitue un frein important à l’élaboration de plans d’action pertinents. La politique d’entretien et celle d’investissement ne peuvent être efficientes sans capacité d’appréciation des réels besoins et sans définition de procédures de décision.
Au-delà des outils, c’est l’ensemble du processus qui mérite d’être remis à plat afin de clarifier le rôle des intervenants, revoir les circuits d’analyses et de prises de décision, et d’évaluer le niveau des compétences requises au sein des services. En effet, les fonctions de gestionnaire d’actifs et de gérant immobilier sont assumées par une seule structure. L’Etat doit donc assumer les fonctions de property manager, de facility manager et d’asset manager. Il y a 7 ans, en créant France Domaine, l’Etat a avancé en structurant son intervention en tant qu’Etat-propriétaire, France Domaine devenant le gestionnaire des actifs domaniaux, et assumant la fonction de gérant immobilier (suivi du plan de cessions, valorisation du patrimoine immobilier de l’Etat, etc.). Mais cette réponse reste incomplète, et se heurte à des conflits d’intérêts.
L’heure est à la professionnalisation de la fonction immobilière. Tout comme les grandes entreprises ont peu à peu transformé cette fonction support en fonction stratégique, l’Etat doit entreprendre un véritable travail d’analyse pour mieux séparer ses fonctions de propriétaire et celles d’occupant. Les entreprises ont développé des outils d’analyse des coûts complets immobiliers, et de la valeur dégagée par l’internalisation de l’ensemble des composantes de la fonction immobilière. Cela leur a permis de mener des arbitrages sur des opportunités d’externalisation, mais aussi de revoir leurs processus et de professionnaliser leurs interventions spécifiques (construction, ventes de bien, etc.). Cette étape doit également être franchie par l’Etat. Doté d’une vraie direction immobilière, l’Etat pourra enfin bâtir et mettre en œuvre une véritable stratégie. Il sera en mesure de gérer efficacement ses actifs et de maîtriser ses coûts.