Quelles tendances pour le voyage d’affaires ?

Laurent SAGLIETTO - Artimon

Laurent Saglietto

Associé

Malgré la situation actuelle inédite limitant les déplacements, le secteur du voyage d’affaires constitue un terrain fertile à l’innovation. Entre volonté d’autonomie et de flexibilité des collaborateurs et nécessité de sécurité et de maîtrise des coûts, les entreprises cherchent à adapter leur politique voyage. Pour cela, elles peuvent compter sur une profusion de solutions et fonctionnalités, grâce à l’intégration des nouvelles technologies et à la prise en compte d’usages émergents. La crise du covid-19 : accélérateur des tendances du marché du voyage d’affaire et de la digitalisation des processus Travel & Expense ?

Touché de plein fouet par la pandémie de Covid- 19 et la limitation des déplacements, le marché du voyage d’affaires, malgré cette situation, demeure un secteur où les nouvelles façons de voyager et les nouvelles
technologies sont propices à un foisonnement de solutions et fonctionnalités inédites. Les acteurs du marché tels que les agences de voyage, désormais dénommées Travel Solutions Companies (TSC) (CF. Annexes) , ou les éditeurs de solution de gestion des dépenses professionnelles cherchent à offrir des solutions intégrées couvrant l’ensemble de la chaîne du voyage. De leur côté, les entreprises prennent peu à peu conscience de la nécessité d’adapter leur Politique Voyage d’Entreprise (PVE) vers une « Politique Voyageur », davantage en phase avec les besoins d’autonomie de leurs collaborateurs et de fiabilité des informations voyage, tout en gardant une maîtrise de leurs coûts.


Alors que la situation sanitaire mondiale reste encore incertaine et suscite de nombreuses incertitudes quant à un retour « à la normale » des déplacements professionnels (estimé à 3 à 5 ans selon l’agence de notation Moody’s) , il est intéressant d’observer que la crise liée au Covid-19 accentue certaines tendances déjà à l’œuvre et accélère la digitalisation des processus Travel & Expense.

Les nouvelles technologies au service des nouveaux usages

Au-delà du développement des plateformes de réservation en ligne (Self-Booking Tool ou On-line Booking Tool) et des applications mobiles permettant la mise en œuvre de fonctionnalités disponibles à tout moment en mobilité (telles que le scan des justificatifs via la technologie OCR ou la validation des déplacements et notes de frais), les acteurs du voyage d’affaires proposent de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux services en s’appuyant sur les nouvelles technologies.

L’utilisation de l’Intelligence Artificielle au service de la personnalisation du voyage d’affaires

L’utilisation de technologies d’Intelligence Artificielle engendre une personnalisation et une simplification accrue. Ainsi, la saisie automatique ou les outils de BI (Business Intelligence) déjà en place constituent des évolutions en ce sens.

A termes, les prédictions réalisées à partir de l’analyse des données et préférences voyageurs (Big Data) pourraient conduire à proposer une offre voyage sur-mesure aux collaborateurs en déplacement grâce à un « sourcing intelligent ». Par exemple, c’est le cas de l’agence de voyage BCD Travel dont la plateforme Tripsource propose une messagerie intelligente qui alerte le voyageur sur les modifications éventuelles de ses conditions de voyage.

L’automatisation et le développement de robots au service de l’accompagnement du voyageur lors de son déplacement

Chatbot, reconnaissance faciale, automatisation des enregistrements pour le transport et l’hébergement, assistance vocale : l’ensemble de ces technologies, parfois vulgarisé sous le terme de « robot », constitue des axes d’innovation majeurs pour les acteurs du marché afin de proposer des fonctionnalités d’accompagnement du voyageur tout au long de son déplacement.

Ainsi, les agences de voyage CWT et FCM expérimentent un premier niveau de chatbot permettant de répondre aux éventuelles questions du voyageur en temps réel pendant son déplacement.

Le développement de la blockchain : une opportunité pour la sécurisation des échanges de données ?

La mise en place de la réglementation sur les données à caractère personnel (RGPD) à l’échelle européenne en mai 2018 a accentué la nécessité de sécurisation des données liées à l’identité du voyageur, que ce soit en termes d’utilisation ou de stockage. De plus, certaines solutions ont affaire avec les données sensibles relatives au paiement.

C’est pourquoi les acteurs du marché du voyage d’affaires se tournent vers la technologie de la blockchain qui assure la transmission et le stockage d’informations de manière sécurisée. La généralisation de ce type de technologie permettrait non seulement de répondre à cet enjeu de sécurité et de fiabilité des données mais également de développer des nouveaux services autour de cette data et du traitement associé (cf. paragraphe précédent).

Illustration : le développement d’un écosystème de start-ups dans le secteur du business travel

Ce foisonnement de nouvelles solutions grâce à l’intégration des nouvelles technologies dans le secteur du voyage d’affaires s’illustre par le développement d’un écosystème de nouveaux acteurs innovants. Amener de l’innovation au cœur de ce secteur apparait parfois difficile. C’est pourquoi beaucoup de ces start-ups, misant sur la maitrise digitale des utilisateurs finaux, innovent en périphérie sur des fonctionnalités de niche telles que :

  • La dématérialisation des visas et documents de voyage complémentaires (Visélio)
  • La gestion des frais « prépayés » (Okarito)
  • La gestion de parkings en ligne (Your Parking Space au Royaume-Uni)
  • La gestion des retards des opérateurs de transport et indemnisations associées (Lumo, AirRefund, Railguard aux Etats-Unis)
  • La favorisation de la collaboration lors des déplacements professionnels : Hubtobee (agenda partagé des déplacements), TaxiEnsemble (mutualisation des trajets), etc.)
PANORAMA DES NOUVEAUX SECTEURS DU MARCHÉ DU VOYAGE D’AFFAIRES (NON EXHAUSTIF)

Bousculés, les grands acteurs historiques du marché répondent à ce foisonnement en investissant massivement dans leur solution ou en finançant ces starts-ups (Amex GBT possède son incubateur American Express Ventures). Ces mouvements permettent donc d’entretenir une dynamique d’innovation dans le secteur du voyageur d’affaires, bénéfique aux entreprises et aux voyageurs.

Le défi pour ces nombreux acteurs innovants est leur pérennisation. Plusieurs scénarios sont envisageables : partenariats, rachats, disparition ?

La nécessité de répondre aux tendances et aux évolutions réglementaires

Cette offre croissante de nouvelles solutions s’inscrit dans la réponse aux tendances du secteur du voyage d’affaires. Elles sont le reflet de l’évolution de la société et des comportements des voyageurs et ont un impact direct sur le secteur.

Profiter des évolutions réglementaires pour créer des opportunités

La réglementation européenne et nationale apporte son lot d’opportunités pour les entreprises et leurs systèmes d’information. C’est notamment le cas de la RGPD et de l’arrêté du 22 mars 2017 du Ministère de l’Economie et des Finances sur la numérisation des justificatifs. Ainsi, l’évolution de la réglementation en termes d’archivage a conduit les acteurs du marché à proposer de façon quasi-systématique une solution de numérisation des justificatifs et d’archivage à valeur probante.

De plus, la norme NDC (New Distribution Capability), standard de distribution développé par IATA en 2012, doit permettre une plus grande personnalisation des services et rendre l’offre sur les GDS (Global Distribution System) aussi conséquente que ce que le voyageur d’affaires peut trouver en direct sur le site de la compagnie aérienne. L’objectif des compagnies aériennes est de mieux mettre en valeur la qualité de service grâce à une visibilité clarifiée des frais ancillaires (frais d’enregistrement des bagages, attribution du siège, restauration à bord, enregistrement prioritaire, …).

Les compagnies peuvent ainsi favoriser l’achat de services additionnels complémentaires au seul billet. Aujourd’hui les impacts directs de cette norme ne sont pas encore concrets ni généralisés. Cette dernière nécessite une approche globale de tous les acteurs du marché du voyage d’affaires pour apporter de réels résultats.

Intégrer les nouveaux modes de consommation collaboratifs

L’apparition de nouveaux modes de consommation collaboratifs et le phénomène d’ubérisation de l’économie à travers des plateformes tels que Uber, BlaBlaCar ou Airbnb modifient peu à peu les façons de voyager. Ces changements et la volonté d’autonomie dans l’organisation d’un voyage d’affaires de la part des collaborateurs obligent les acteurs du marché à repenser les solutions proposées.

Le recours aux acteurs de l’économie collaborative, freinée par les politiques voyages des entreprises, tend désormais à devenir une réalité du voyage d’affaires. Ainsi, plusieurs plateformes développent des offres B2B, offrant des solutions alternatives aux prestations classiques (exemple : Airbnb for Work, MagicStay). Dans la même logique, Amadeus (agrégateur d’offre d’hébergement d’affaires) a signé en Mai 2019 un partenariat avec Booking Holdings afin de pouvoir référencée son offre et Concur et Egencia intègrent Uber dans leur solution de gestion des déplacements professionnels.

Ces évolutions génèrent de nouvelles façons de réserver les prestations voyages comme l’illustre le schéma ci-dessous :

EVOLUTION DE LA FAÇON DE VOYAGER ET DE RÉSERVER DES PRESTATIONS VOYAGES – XERFI

Combiner voyage professionnel et tourisme de loisirs : le bleisure

La troisième tendance observée est le phénomène de bleisure : un nouveau concept de voyage qui consiste à combiner les affaires et les loisirs en prolongeant un déplacement professionnel. Ainsi, d’après une étude réalisée par CWT, 20% des voyageurs professionnels dans le monde sont enclins à ce mode de voyage. Cette tendance est particulièrement prégnante chez les jeunes générations.

Elle oblige les entreprises et les acteurs du marché du voyage d’affaires à davantage de flexibilité notamment du fait de la dualité des dépenses (professionnelles et personnelles) et des problématiques liées aux assurances.

Voyager de façon responsable et durable

La prise de conscience écologique s’applique également au monde du voyage d’affaires. D’après une étude récente de Wakefield, un tiers des voyageurs d’affaires ont modifié leur mode de déplacement en raison de préoccupations environnementales. Face à la montée de cette préoccupation, les acteurs du voyage d’affaires s’adaptent en proposant de nouvelles fonctionnalités telles que :

  • Les prestations d’accompagnement aux entreprises pour intégrer le voyage durable à la politique voyage et mettre en œuvre un programme hôtelier durable (choix des fournisseurs)
  • La mise à disposition de reporting CO2 ou bilan carbone précis
  • La mise en place de critères de recherche et/ou filtres associés dans l’affichage de leur offre
  • La possibilité d’orienter les voyageurs vers des solutions de déplacement plus durables à travers des indicateurs de préférence
  • La suggestion d’actions aux voyageurs pour compenser leur empreinte carbone (incentives)

En parallèle, les entreprises doivent prendre en compte cet enjeu dans un souci de culture et d’image d’entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs et autres parties prenantes. Ce sujet devient un point important de leurs politiques RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).

Des tendances renforcées par la pandémie mondiale de Covid-19

Alors que les déplacements professionnels reprennent peu à peu depuis Mai 2020, les nouveaux besoins générés par la nouvelle situation sanitaire et économique, situation qui pourrait durer, confirment des tendances déjà identifiées avant la crise.

La sécurité des voyageurs : un enjeu devenu crucial

Du fait de la situation sanitaire mondiale incertaine, la sécurité des voyageurs, déjà identifiée comme majeure dans un contexte géopolitique et géoclimatique tendu, est désormais un enjeu crucial. Deux aspects principaux se dégagent.

Premièrement, la sécurité et l’hygiène garanties par les acteurs du marché du voyage d’affaires. L’apparition de nouvelles normes sanitaires obligent les acteurs du voyage d’affaires à s’y conformer. Par exemple, les prestataires hébergement mettent en place de nouveaux protocoles hygiène (Accor a récemment lancé son label « AllSafe ») alors que les outils de réservation en ligne enrichissent l’information à ce sujet (affichage détaillé, approbation renforcée, etc.). L’ensemble des mesures prises en ce sens s’inscrivent dans une démarche de « duty of care » (devoir de protection des collaborateurs) afin de recréer de la confiance nécessaire à la reprise des déplacements professionnels.

Deuxièmement, la gestion de crise. Identifier des zones à risques, pouvoir localiser des voyageurs et connaître l’évolution d’un évènement grave en temps réel, communiquer avec les voyageurs en déplacement, organiser leur rapatriement éventuel sont des fonctionnalités de plus en plus essentielles aux entreprises. L’intégration des nouvelles technologies permet notamment aux acteurs du marché de développer des outils Travel Risk Management (TRM) de type tracking. Cet enjeu conduit également les professionnels du voyage d’affaires, tels qu’Egencia, à proposer une évaluation de la stratégie de gestion des risques d’une entreprise.

Cette tendance met en lumière des solutions qui ont fait leurs preuves dans les domaines suivants :

  • La localisation en temps réel des collaborateurs : SSF Locator, Anticip et Amarante 
  • La gestion de crise au niveau mondial : Cedralis, Fact 24, Everbridge, Crisis One aux Etats-Unis

Une volonté accrue de maitrise des coûts par les entreprises

Au sortir de la crise sanitaire, la nécessité de maîtriser les coûts engendrés par les déplacements professionnels est accentuée par le contexte économique. Une coupe dans les budgets est attendue, notamment dans les secteurs les plus touchés et aura un impact direct sur les déplacements professionnels.

Par ailleurs, la généralisation du télétravail et des outils digitaux associés (visio-conférences, animation de réunion etc.) lors du confinement amènent également les entreprises et leurs collaborateurs à se poser la question de la nécessité réelle d’un déplacement, non seulement en termes de temps mais également en termes de coûts. Ainsi, selon la GBTA (Global Business Travel Association), une majorité des entreprises membres ont durci les règles d’autorisation de déplacement depuis la pandémie.

Pour répondre à ces enjeux, les acteurs du marché du voyage d’affaires développent des outils de reporting et de Business Intelligence (BI) de plus en plus puissants, intégrant également des technologies d’automatisation et d’intelligence artificielle.

En juillet 2020, Pierre-Emmanuel Tetaz, Directeur Général EMEA de SAP Concur déclarait ainsi : « Il est clair qu’il faut aujourd’hui davantage scruter le retour sur investissement des voyages d’affaires ». Ainsi, dans son nouveau module TripLink, Concur propose aux entreprises une vue consolidée de toutes les données des programmes de voyage pour faciliter l’application des tarifs négociés et des politiques de voyage aux réservations effectuées sur divers canaux.

Le secteur du voyage d’affaires traverse encore à ce jour l’une de ses crises les plus importantes jamais connues et les incertitudes associées demeurent fortes. La pandémie mondiale liée à la Covid-19 et ses conséquences sur les déplacements professionnels (adaptations, nouveaux besoins, etc.) apparaissent comme un catalyseur d’innovations technologiques au service des voyageurs et des entreprises et comme un accélérateur des tendances du marché.

L’analyse de Charles Petrucelli, ex-Président Monde d’AMEX GBT illustre cet enjeu : « La crise pourrait être le disruptif dont le secteur a besoin ». Finalement, ce secteur apparait comme un terrain fertile à l’innovation pour répondre aux nouvelles façons de voyager et aux enjeux de sécurité et maitrise des coûts.

Dans ce contexte, il semble que l’avenir soit toutefois à la poursuite de la concentration des acteurs au gré des partenariats, rachats, intégration aux réseaux d’agences. Les acteurs du secteur cherchent à fournir une solution globale aux entreprises en fournissant non seulement des solutions technologiques mais surtout en couvrant l’ensemble des besoins du voyage d’affaires et en apportant une valeur ajoutée de conseil.

Au regard de l’analyse post-confinement des différents acteurs du voyage d’affaires, agilité, innovation et orientation client ressortent comme les maîtres-mots de la résilience et de l’évolution du secteur.


Notre expert Travel & Expense : 
Laurent SAGLIETTO, Associé Artimon
06.85.38.29.53 - [email protected]

Annexes

EVOLUTIONS DES INTERMÉDIAIRES VOYAGES – XERFI
MISSIONS DES TRAVEL SOLUTIONS COMPANIES (TSC) – XERFI

Glossaire 

  • SBT / OBT : Self Booking Tool (ou OBT pour On-Line Booking) 

Outil de réservation en ligne pour la partie transport du voyage d’affaires permettant aux voyageurs de réserver eux-mêmes leurs déplacements.

  • HBT : Hotel Booking Tool

Outil de réservation en ligne permettent aux voyageurs de réserver directement en ligne leurs prestations d’hôtel via le SBT.

  • PVE : Politique Voyage des Entreprises

Ensemble des règles et processus régissant l’organisation des voyages professionnels des collaborateurs.

  • OCR : Optical Character Recognition

Technologie qui permet lors de la numérisation de lire et de récupérer de multiples informations et contenus sur tout type de document physique. L’océrisation est notamment utilisé lors du scan des justificatifs de dépenses pour alimenter automatiquement les lignes de frais.

  • TRM : Travel Risk Management

Ensemble des solutions et processus permettant d’assurer la sécurité des collaborateurs en déplacement.

  • GDS : Global Distribution System

Outil de réservation principalement utilisé par les agences de voyages qui leur permet d’avoir accès à des données de voyages. Les trois principaux systèmes GDS sont Galileo, Amadeus et Sabre.

  • NDC (New Distribution Capability)

 Standard de distribution développé par IATA en 2012 pour les opérateurs de transport aériens.

  • BI : Business Intelligence

Processus technologique d’analyse des données et de présentation d’informations. La Business Intelligence englobe une grande variété d’outils, d’applications et de méthodologies qui permettent aux organisations de collecter des données à partir de systèmes internes et de sources externes. Ces données sont utilisées afin de créer des rapports et tableaux de bord pour rendre les résultats analytiques disponibles aux décideurs et au personnel opérationnel.


Sources

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