Le questionnement pertinent ou l’art de mobiliser ses interlocuteurs
Dans une culture qui privilégie l’affirmation à l’interrogation, celui qui demande continuellement l’avis de son entourage est facilement perçu comme manquant d’assurance ou de personnalité.
Dans l’entreprise, ces a priori existent également mais peuvent êtres battus en brèche. En effet, le manager qui sait poser les bonnes questions au bon moment prend de meilleures décisions, mobilise plus efficacement l’énergie de ses collaborateurs et fait mieux profiter l’entreprise de leurs idées… là où celui qui affiche des opinions tranchées, possède un fort pouvoir de conviction et excelle dans l’art de défendre ses idées risque d’occulter des avis utiles à la réflexion collective.
Alors en quoi et comment le questionnement peut-il constituer un levier de la coopération ou du management ?
I – Susciter la coopération par les questions
Si les questions sont avant tout un moyen de rassembler de l’information et d’analyser des problèmes, selon la teneur de l’échange et ses modalités, elles pourront également contribuer à : – Instaurer un climat de confiance ou au contraire de suspicion, – Inciter la personne à effectuer une action ou au contraire à l’en dissuader, – Susciter sa créativité et l’aider à générer de nouvelles idées ou au contraire brider cette créativité.
Savoir questionner à bon escient se révèle en particulier très efficace pour contrebalancer les limites de la culture d’affirmation :
1. Encourager la participation
Dans un univers où chacun cherche à prouver que ses idées sont les meilleures, poser des questions transmet à contrario le message « vos idées sont les bienvenues », ce qui permettra notamment à certains acteurs de se rassurer sur l’intérêt de leur avis et de sortir d’une forme de passivité. C’est dans cet objectif que beaucoup d’entreprises industrielles japonaises pratiquent le « manager’s walk », qui consiste à faire régulièrement la tournée des postes de travail afin d’interroger les salariés sur ce qu’ils ont observé, les problèmes qu’ils constatent et les suggestions d’amélioration. Il s’agit de favoriser la prise de recul chez les collaborateurs et de mettre en évidence que l’entreprise s’intéresse à leur avis.
2. Développer une culture d’apprentissage
Recourir au questionnement dans sa pratique quotidienne est une façon d’inciter les autres à promouvoir eux-mêmes une attitude plus favorable au dialogue, alors qu’une culture qui valorise l’affirmation n’encourage pas l’écoute et comporte un risque de dérive vers le management autoritaire. En effet, lorsque l’on constate par la pratique les vertus de ce mode d’interaction, on devient plus enclin à laisser s’exprimer les autres, à écouter leur avis et à instaurer avec son interlocuteur une relation de coopération. Savoir dire « je ne sais pas… mais je vais apprendre » ou « je peux me tromper » ou encore « construisons la démarche ensemble… » n’est plus perçu comme une marque de faiblesse ou d’incompétence, mais comme une opportunité de progresser et de faire progresser l’organisation.
3. Apaiser les relations entre les individus
Si l’affirmation de ses idées peut être vécue comme une forme de dévalorisation de celles des autres, le fait d’interroger met au contraire en avant le respect et l’intérêt que l’on porte à l’opinion d’autrui. Il témoigne d’une plus grande ouverture à l’échange, l’autre n’étant plus un opposant qu’il s’agit de faire taire, mais un interlocuteur dont on est prêt à écouter les opinions, même si elles sont différentes des siennes. Les affrontements et les luttes d’influence, nuisibles à la coopération et à l’efficacité d’ensemble, peuvent laisser place à une discussion constructive.
II – Devenir un bon « questionneur » : un état d’esprit
Alors comment faire pour adopter un questionnement efficace et pertinent, pour instaurer une relation de coopération avec son interlocuteur ?
Trois conditions sont nécessaires… bien que non suffisantes :
1. Gagner la confiance de son interlocuteur
Le questionnement ne doit pas être perçu comme une agression, il faut donc veiller à rassurer son interlocuteur, notamment sur le but de la démarche.
Il doit clairement percevoir que vos questions ne visent pas à le juger ou à le mettre en difficulté. Si un doute est possible, il ne faut pas hésiter à préciser explicitement ses intentions. « Ex : il ne s’agit en aucun cas pour moi de porter un jugement sur votre action, mais il est important pour moi que je comprenne…. »
On privilégiera donc les questions factuelles (ex : « qu’est-ce qui a empêché le prestataire de livrer le produit en temps et en heure ? » « Y aurait-il eu moyen d’accélérer les choses ? ») aux formules inquisitrices (ex : « pourquoi ne lui avez-vous pas mis davantage de pression ? »), tout en adoptant une attitude rassurante et ouverte pour montrer à la personne interrogée que l’on est à son écoute.
En effet, répondre à des questions peut être source de stress quant à sa capacité à se faire comprendre ou à répondre aux objectifs fixés. Des signes d’approbation réguliers (hochement de tête, « je vois » ou encore « je comprends »), une reformulation positive et une attitude corporelle indiquant l’ouverture et la disponibilité permettront de réduire la tension et d’installer plus facilement un climat de confiance.
Attention également à repérer le niveau de saturation de son interlocuteur et sa capacité à faire face à un feu nourri de questions afin de ne pas l’épuiser ou l’embrouiller au risque de le voir se replier dans une attitude défensive.
Dans tous les cas, il est indispensable de faire preuve de sincérité dans sa démarche afin que son interlocuteur n’ait pas la sensation d’être manipulé ou de faire le « cobaye » d’une nouvelle méthode de management.
2. Instaurer une relation mutuellement profitable
Le but étant d’instaurer un rapport de coopération, le questionnement doit profiter aussi à la personne qui répond. Si l’interlocuteur a le sentiment que l’échange ne vise qu’à lui soutirer des informations, il aura tendance à y mettre fin rapidement.
Il faut donc veiller à ce que l’échange soit le plus équilibré possible et éviter les « interrogatoires », au cours desquels l’enchaînement ininterrompu de questions et/ou un ton rigide et directif peuvent rapidement donner un tour inquisiteur à la conversation. Utiliser la reformulation ou insérer des expériences personnelles dans l’échange y contribueront.
Si fournir des informations non sollicitées permet de montrer à son interlocuteur son souhait de le voir profiter aussi de la conversation, on peut également s’appuyer sur le principe de réciprocité et susciter le questionnement chez ce dernier. Il se sentira alors « redevable » d’une réponse à partir du moment où il en aura obtenu lui-même à ses questions.
Par ailleurs, pour éviter l’ennui des questions dont les réponses semblent évidentes, on peut amener son interlocuteur à sortir de sa zone de confort en lui proposant des angles d’analyse auxquels il n’aurait pas pensé. Tourner ses questions de façon à stimuler sa curiosité, remettre en cause ses conceptions habituelles ou explorer de nouveaux champs des possibles susciteront l’intérêt de l’interlocuteur et le sentiment que les questions le font progresser.
Exemples : – Emettre des hypothèses qui semblent impossibles : « que ferions-nous si notre principal concurrent disparaissait demain ?» – Prendre les conceptions à contre-pied : « comment pourrions-nous faire rater ce projet ? » ou « qu’est-ce qui pourrait arriver de pire que de réussir ? »
3. Ne pas confisquer le débat
Par ses questions, celui qui interroge a le pouvoir d’orienter la discussion. Or, la tentation est forte (souvent de façon inconsciente) de mettre ses propres idées au centre de l’échange.
On assiste alors à un questionnement de validation de ses idées (« J’aimerais avoir votre avis sur … personnellement, je pense que… », « Ne pensez-vous pas que… ? ») qui va verrouiller l’échange et donner le sentiment d’une instrumentalisation du dialogue.
Au contraire, il faut centrer le débat sur ses idées à lui et pour ce faire commencer par des questions ouvertes destinées à élargir la perspective (« d’après vous, qu’est-ce qui pourrait être amélioré …? », « en quoi… ?» « comment … ?») en limitant l’utilisation du « pourquoi » qui est souvent perçu comme accusateur.
Ces questions pourront ensuite s’appuyer sur des questions relais ou de poursuite (« dans quelle mesure… ? C’est-à-dire… ? Dans quels cas… ? … ») pour entretenir le débat. Repartant de la réponse qui précède, elles incitent à développer ou à enrichir.
Questionner ouvertement, sans faire preuve d’écoute projective, serait finalement d’aller creuser les faits bien sûr… mais aussi d’interroger son interlocuteur sur ses ressentis et ses opinions, en prenant soin de ne pas faire intervenir ses propres freins et ses propres opinions.
III – Conclusion
Si le questionnement peut constituer un mode de management efficace et mobilisateur, n’oublions pas que les différentes méthodes de questionnement ont chacune des effets différents sur la personne, et qui vont donc influencer sa réponse et son comportement, dans un contexte environnemental précis.
A nous de les utiliser avec le plus de stratégie et de sagesse possible, pour la réalisation de nos objectifs, mais aussi ceux de nos interlocuteurs !… sans oublier le collectif !
Par A.C., Manager