Patrimoine immobilier public : Les défis clés dans le cadre de la transition écologique
Le secteur du bâtiment est responsable de 17% des émissions de gaz à effet de serre en France, ce qui en fait un levier clé de la transition écologique. Avec ses 195.000 bâtiments et 94 millions de m² pour l’État, ainsi qu’un patrimoine estimé à 381 milliards d’euros pour les collectivités locales, la gestion du patrimoine immobilier public s’impose donc comme un enjeu stratégique. Cependant, cette gestion présente d’importants défis de durabilité, de gouvernance et d’optimisation budgétaire.
Basé sur un entretien entre Alain Resplandy-Bernard, Directeur Général de la Direction de l’Immobilier de l’État, et Yoann Queyroi, Maître de conférences en sciences de gestion, cette note d’actualité traite de la gestion du parc immobilier public, ses contraintes et son rôle dans la transition environnementale. Ce sujet essentiel pour les acteurs publics – État, collectivités locales, hôpitaux, universités – présente de nombreux défis, explorés ci-dessous.
Une gestion complexe d’un patrimoine immobilier vaste et hétérogène
Le parc immobilier public français est extrêmement varié : bureaux administratifs (24%), logements (19%), infrastructures dédiées aux services publics (enseignement, santé, culture, etc.). Cette diversité, associée à une gestion patrimoniale limitée jusqu’aux années 2000, rend difficile la connaissance précise des actifs et leur modernisation. En 2022, l’État ne disposait ainsi que d’une connaissance partielle de son patrimoine, avec seulement 57% des surfaces précisément répertoriées. Le même problème est constaté au niveau des collectivités locales : selon une enquête du CEREMA menée en 2021, la plupart d’entre elles ignorent l’âge exact de leurs bâtiments et leur performance énergétique.
Dans ce contexte, et afin de professionnaliser la gestion du patrimoine immobilier public, l’Etat a créé en 2016 la Direction de l’immobilier de l’État (DIE). En distinguant l’État propriétaire et l’État occupant, la gestion de l’immobilier public est entrée dans une logique d’optimisation des coûts et d’efficacité.
Cependant, la gouvernance du parc immobilier public reste fragmentée, avec de nombreux acteurs impliqués comme les ministères, les collectivités locales ou encore les usagers. Ce manque de vision générale, de connaissance fine du parc immobilier public ainsi que des coûts engendrés par leur exploitation ou leur vacance, rendent difficile l’optimisation du patrimoine. Cela est d’autant plus problématique dans un contexte de contrainte budgétaire, et de réponse aux exigences règlementaires croissantes en matière de transition environnementale.
La transition écologique, un défi central
La mise en conformité de l’immobilier public représente en effet un enjeu majeur, pour les parties prenantes bien sûr, mais également pour la réponse aux ambitions nationales en termes de transition environnementale. En France, la consommation énergétique des bâtiments publics est estimée à 16TWh par an, générant 2,6 millions de tonnes de CO2. Réduire ces émissions est impératif pour répondre aux exigences des nouvelles directives mises en place à l’échelle nationale, européenne et internationale :
- Le décret tertiaire, qui impose aux bâtiments de plus de 1.000m² de réduire leur consommation énergétique de 40% d’ici 2030, 50% d’ici 2040 et 60% d’ici 2050.
- La Directive européenne d’efficacité énergétique, qui exige la rénovation de 3% du parc public chaque année pour atteindre un niveau d’émissions nulles.
- Le décret BACS, qui impose l’installation de systèmes de gestion énergétique intelligents.
- La réglementation environnementale RE2020, qui fixe les nouvelles normes de construction des bâtiments neufs.
Toutefois, ces réglementations sont souvent perçues comme des contraintes, et leur mise en œuvre reste inégale. De plus, la transition écologique du patrimoine immobilier public repose principalement sur des efforts de sobriété énergétique, sans repenser en profondeur les usages des bâtiments. Ainsi, Alain Resplandy-Bernard, directeur de l’immobilier de l’État, et Yoann Queyroi, maître de conférences en sciences de gestion mettent en avant la nécessité de développer une nouvelle stratégie qui tienne compte de ces différentes problématiques, autrement dit penser à la fois les nouveaux usages, mais aussi les impacts de l’immobilier public.
Vers une stratégie d’adaptation…
Si la nécessité d’une transition écologique est largement reconnue, la manière de l’opérer fait débat. Deux visions s’opposent : faut-il prioriser la réduction de la consommation énergétique, ou la décarbonation des bâtiments ? En France, la plupart du parc immobilier public utilise une énergie majoritairement décarbonée, notamment grâce au nucléaire, ce qui semble favoriser la seconde option. Ainsi, depuis 2018, l’État s’est doté d’une feuille de route environnementale visant à structurer ses actions en faveur de la transition écologique. Cette stratégie repose sur plusieurs axes:
- Optimiser l’usage des bâtiments : réduction des surfaces occupées, mutualisation des espaces, adaptation aux nouveaux modes de travail comme le télétravail.
- Améliorer l’exploitation et la maintenance : meilleure gestion des équipements, optimisation des consommations grâce aux technologies numériques.
- Investir dans la rénovation et la construction durable : travaux à gains rapides, recours accru aux matériaux biosourcés et aux énergies renouvelables.
- Anticiper l’adaptation au changement climatique : renforcement de la résilience des bâtiments face aux vagues de chaleur et aux événements climatiques extrêmes.
D’autres initiatives ont aussi été développées, comme la mise en place d’une «force d’intervention rapide» via l’Agence de gestion de l’immobilier de l’État. Cette dernière conseille les gestionnaires sur les actions à mettre en place pour réduire immédiatement la consommation d’énergie, avec des économies moyennes de 15% par intervention.
Au niveau local, certaines collectivités comme Rennes ou Brest Métropole intègrent déjà ces enjeux dans leur stratégie immobilière. Cependant, la majorité des administrations peinent encore à formaliser une approche cohérente et efficace.
… et de rationalisation
La Cour des comptes estime que les investissements nécessaires à la rénovation du parc immobilier public devraient être augmentés de 20 à 25% par rapport au niveau actuel. Dans un contexte de sobriété énergétique et budgétaire, cet investissement pose la question de l’arbitrage entre rénovation, rationalisation et fermeture de certains bâtiments.
L’État s’est ainsi fixé un objectif de réduction de 25% des surfaces de bureaux occupées d’ici 2030. Cette stratégie repose sur l’évolution des modes de travail (télétravail, flex office) et une meilleure gestion des espaces. D’autres secteurs, en revanche, connaissent une demande croissante, comme les universités ou les infrastructures militaires, rendant toute réduction du parc difficilement envisageable.
Une nouvelle gouvernance du patrimoine immobilier public ?
Au niveau national, bien que l’État gère une partie de son parc immobilier, les ministères bénéficient d’une grande autonomie, ce qui complique la coordination. La Cour des comptes souligne dans l’un de ses rapports (2023) l’absence d’une stratégie immobilière de l’État clairement définie et formalisée. A la différence de la France, une étude financée par la Commission européenne démontre que la majorité des pays européens privilégient un modèle de gestion centralisée, sous la forme d’une agence ou d’une foncière d’État.
À l’échelle locale, la gestion est encore plus dispersée, avec des services dédiés et des responsabilités réparties. Une approche plus ouverte, impliquant davantage d’acteurs tels que les citoyens, les associations et les usagers, pourrait être envisagée pour mieux répondre aux attentes locales et favoriser une appropriation collective des enjeux environnementaux.
En conclusion, si la gestion du patrimoine immobilier public est un sujet stratégique majeur, l’enjeu est de relever le double défi de la transition écologique et de l’optimisation budgétaire. Le gouvernement ambitionne de faire du parc immobilier public un levier stratégique d’efficacité et de durabilité. Toutefois, cette mutation suppose des arbitrages essentiels, des investissements conséquents et une réforme en profondeur de la gouvernance patrimoniale, afin d’aligner les objectifs de sobriété énergétique avec les impératifs du service public.
Référence
Queyroi, Y., & Resplandy-Bernard, A. (2024). Patrimoine immobilier public : quels enjeux notamment dans le contexte de la transition écologique ?