Ouverture des données des territoires : quelles difficultés et quels intérêts ?
Freins et leviers identifiés dans le rapport Data et Territoires
- Le rapport « Data et territoires » réalisé en septembre 2023 à la demande du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, dresse un diagnostic sur la donnée dans les territoires, de la collecte jusqu’au dialogue entre les différentes instances impliquées
- Si des limites sont relevées, le rapport propose une liste de 22 recommandations articulées comme un ensemble cohérent ainsi que les conditions nécessaires à l’amélioration de la gestion des données pour les territoires
Des défis d’actualité, comme la crise énergétique, la transition écologique ou l’amélioration des services publics, démontrent le besoin d’avoir des données de qualité pour y faire face. Les territoires sont au cœur de cet enjeu, et les sollicitations de l’État se font de plus en plus fortes. Malgré cette nécessité, de nombreux territoires n’exploitent pas pleinement leur donnée.
Plusieurs facteurs influent sur la capacité des territoires à atteindre cet objectif national, tels que la complexité des relations avec l’État, les contraintes juridiques et les compétences requises. Nous examinerons quelques solutions proposées dans le rapport « Data et Territoires », ainsi que certaines conditions recommandées pour relever ces défis.
Etat des lieux de la donnée dans les territoires
La donnée est essentielle au pilotage des politiques publiques. Pourtant le rapport « Data et Territoires » montre un bilan nuancé. Si l’ouverture de données publiques prend progressivement de plus en plus de place dans la réglementation européenne, le document démontre que le sujet est matière à frustration de la part des collectivités, notamment en termes de la relation avec l’État et les différentes parties-prenantes. Les collectivités doivent naviguer dans une multiplicité d’acteurs et de cadres juridiques.
Pourtant, les données sont essentielles au pilotage des politiques publiques : transition écologique, mobilité, éducation, santé, sûreté, services publics locaux… Certaines données sont produites localement, tandis que d’autres sont produites par les services de l’Etat et d’autres collectivités. On retrouve les données géographiques, les données pour les statistiques publiques, voire des données en temps réel de capteurs. L’objectif est de mesurer et comprendre les territoires pour piloter l’ensemble des politiques publiques. La donnée peut servir l’observation, la planification, le pilotage des politiques publiques ainsi que leur évaluation. Enfin, un même phénomène peut être représenté à différentes échelles (par exemple l’aménagement des voies cyclables peut se faire au niveau d’un quartier, d’une commune, d’une intercommunalité, d’une région voire même du pays).
Un des domaines le plus abouti en termes d’ouverture de donnée est celui de la commande publique, avec depuis 2017 plus de 70 000 acheteurs publics (administrations d’Etat, collectivités, hôpitaux…). Ils sont tenus de publier les données de leur commande en open data. Cela renforce la transparence et permet un meilleur pilotage. L’engouement pour l’Intelligence Artificielle est également un facteur favorisant la donnée de manière générale ; ainsi, les ministères s’en sont emparés en développant des projets et cas d’usages avec le soutien d’Etalab et de la DINUM (Direction interministérielle du numérique).
Les territoires ont des rôles multiples en termes de données : ils peuvent être producteurs, utilisateurs, diffuseurs ou régulateurs des usages locaux. Ils sont également garants d’un usage éthique : la loi NOTRe de 2015 a octroyé un rôle inédit aux territoires concernant la gestion de son territoire avec la donnée. Quant à la loi pour une République numérique, les acteurs publics locaux ont désormais un rôle de diffusion de leurs données en open data, pour les collectivités de plus de 3500 habitants et plus de 50 agents.
Malgré les constats du rapport « Data et Territoire », la France est, selon plusieurs classements européens et internationaux, un des pays en tête en matière d’ouverture des données publiques. L’Open Data Maturity Report réalisé pour le compte de la Commission européenne classe le pays en tête de l’Europe des 27. Pourtant 7 ans après la Loi pour une République numérique, 16% des collectivités concernées ont rempli leurs obligations et OpenDataFrance reporte qu’il faudrait 20 ans au rythme actuel pour que les 5000 collectivités concernées remplissent leurs obligations. Nonobstant, la dynamique est croissante passant de 30 collectivités engagées en 2019 à 300 aujourd’hui selon l’observatoire Data Publica.
Il existe par ailleurs une disparité concernant la taille des communes et leur ouverture des données : 43% des communes de 80 000 à 100 000 habitants sont engagées dans l’open data contre 12% des communes de 10 000 à 20 000 habitants. Cela peut s’expliquer par le manque de moyens internes et de compétences sur le sujet. En somme, bien que la transparence de l’action publique justifierait à elle seule la continuation de cette politique, pour nombre d’élus la donnée n’est pas une priorité.
Outre le manque de moyens, compétences, accompagnement ou d’acculturation, les collectivités font part de leur frustration relative quant à leurs relations avec l’Etat. Les collectivités font face à de nombreux interlocuteurs et acteurs de l’administration centrale. On relève les préfets, mais aussi l’ensemble des ministères (environnement, santé, éducation, justice, culture…) et leurs services déconcentrés. Enfin, il faut aussi compter sur les opérateurs d’Etat (l’IGN, l’ADEME, le CEREMA ou l’Office de la biodiversité) qui ont des représentations dans les territoires. On fait le constat d’échanges souvent à sens unique, de l’Etat vers les collectivités, sans concertation sur l’intérêt ou la finalité de la collecte de données. Quant à leur exploitation, en résulte un ordre de grandeur marquant : 3 mois de négociation et de contractualisation sont nécessaires pour obtenir des données, alors que 3 jours suffissent pour les analyser, selon la responsable de la donnée d’une région française.
Un rapport qui fait appel à la gouvernance et à la formation
Le rapport « Data et territoires » réalisé en septembre 2023 à la demande du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, dresse un diagnostic sur la donnée dans les territoires, de la collecte jusqu’à l’exploitation par les différentes instances impliquées. Il a été réalisé avec les collectivités territoriales, associations représentatives, syndicats, structures d’accompagnement au niveau national et local, ministères, agences et opérateurs de l’État et les entreprises. Son objectif est de mettre en évidence des leviers permettant de faciliter et d’améliorer l’ouverture et l’exploitation des données par les collectivités territoriales.
Le diagnostic
Selon le rapport, à ce jour 16% des territoires respectent l’obligation de l’ouverture de la donnée. Afin de comprendre les raisons de ce faible engagement, au-delà de l’accès, de nombreux élus posent la question de l’intérêt d’insister sur une ouverture totale des données. En effet, le rapport souligne que certaines données ne devraient pas systématiquement être ouvertes, que ce soit pour des raisons juridiques, comme la protection de la vie privée, ou en raison des secrets légaux. Quoiqu’il en soit, la volonté d’agir des collectivités est tempérée par les moyens à disposition, les compétences ou la culture de la donnée insuffisante.
Est également mentionnée, la relation déséquilibrée entre l’Etat et les collectivités. A tous les niveaux (administration centrale, services déconcentrés), l’Etat demande aux collectivités de fournir de nombreuses données parfois sans coordination (ni interministérielle, ni entre les échelons), et la finalité de la collecte ne peut pas être discutée, partagée ou comprise par les territoires. De nombreuses difficultés sont mises en exergue par l’absence d’une gouvernance claire et partagée.
Les leviers
Afin d’affronter ces freins, le rapport met l’accent sur la nécessité d’une meilleure gouvernance de la politique de la donnée territoriale. Cela favoriserait une priorisation de l’ouverture des données au niveau local par la demande, ou par leur dimension stratégique. Il faudrait par exemple que des instances de gouvernance nationales et territoriales identifient les priorités et les ressources associées.
Il en découlent 22 recommandations pour faciliter et améliorer l’exploitation des données par les collectivités territoriales, avec 5 principaux axes de travail :
- Mise en place d’une gouvernance de la donnée au niveau national et au niveau des territoires (avec la proposition de comités territoriaux de la donnée) ;
- Accélération du partage et l’utilisation des données, favoriser la mutualisation, la logique des communs ;
- Développement de cadres collaboratifs (standards, référentiels) ; développement d’un espace commun des données pour créer de la confiance entre les acteurs ;
- Financements tendant vers la mutualisation (clauses dans les marchés publics, nouveaux financements) ;
- Renforcement de l’acculturation, la formation et la connaissance des données à tous les niveaux, jusqu’à l’implication des citoyens.
En plus de cela, il peut être nécessaire d’accompagner les territoires afin qu’ils répondent aux exigences juridiques du nouveau cadre européen, en lien avec le règlement sur la gouvernance des données (Data Governance Act) et celui sur les données (Data Act).
Par ailleurs, plusieurs cas concrets d’application illustrent les cas d’usage de la donnée dans les territoires. On peut citer, à titre d’exemple, la réduction de la consommation d’énergie des ménages, l’accès aux données d’immatriculation des véhicules ou encore le recensement des défibrillateurs automatisés externes.
Enfin, le passage à l’échelle peut se réaliser via l’industrialisation et la fabrication des standards, mais aussi en facilitant leur diffusion. Le rapport mentionne l’importance de la réplication dans les appels à projet, ou la pérennisation de solutions déjà testées et validées sur d’autres territoires.
Le rapport s’achève par la mise en œuvre de ces solutions selon trois stratégies majeures :
- Renforcement de la culture et de la formation : à cet effet, le rapport recommande un programme d’échanges entre agents de l’État et des collectivités, sur le modèle d’un Erasmus de courte durée.
- Financement de la politique en matière de données territoriales : bien qu’existant, le rapport suggère également de prélever une taxe sur les projets d’innovation.
- Confiance entre l’ensemble des acteurs concernés : qui passerait par la réalisation de charte et de label éthique.
Conclusion
Les recommandations proposées sont à considérer dans leur ensemble, et il existe des conditions qui faciliteraient leur mise en œuvre, notamment le développement d’une culture de la donnée.
Parmi les solutions proposées, le rapport mentionne l’idée de créer une compétence data au même titre que les compétences générales des collectivités. Il met l’accent sur le travail coordonné des différentes gouvernances, avec des instances national et territorial qui seraient des « comités territoriaux de la donnée ». L’accent est également mis sur la mutualisation entre les collectivités.
La vision de l’open data par défaut est mise en perspective par rapport à un open data « à la demande ». Ceci devrait s’accompagner de la traduction par l’Etat, de la réglementation en standard de données, ce qui permettrait d’accompagner les collectivités plus facilement sur les enjeux juridiques.
Quoi qu’il en soit, le rapport fait état des difficultés opérationnelles majeures rencontrées par les territoires afin de répondre à une contrainte réglementaire. Sans compréhension du sens et de l’intérêt de ces demandes, les chances de voir les territoires s’engager dans le processus d’ouverture des données et faire face aux contraintes opérationnelles, se réduisent considérablement.
Le rapport du ministère de la Transformation et de la Fonction Publiques peut être consulté ici : Data et territoires.
Pour plus d’informations, contactez l’équipe Artimon Perspectives.