Agents conversationnels et commerce : vers une transformation silencieuse de l’expérience consommateur ?
- L’intermédiation par agents IA transforme l’expérience consommateur. Les moteurs de recherche traditionnels sont substitués par des assistants conversationnels personnalisés qui accèdent à des informations diverses et comparent une multitude de critères.
- Les agents IA modifient potentiellement le comportement des consommateurs. La confiance et l’acceptabilité de la technologie rejoignent les dimensions du vécu, du subjectif et du symbolique dans l’expérience consommateur.
- Dans quelle mesure la valeur ajoutée des marques peut-elle se maintenir ou se réinventer face à une logique algorithmique qui tend vers l’optimisation des choix ?
Vous avez certainement l’habitude d’interagir avec des chatbots pour accéder à des informations générales. Et vous avez peut-être déjà testé des agents plus complets, comme le Robo-Advisor de Revolut, Rufus d’Amazon ou Max de Duolingo. L’intelligence artificielle générative transforme en profondeur notre manière d’interagir avec l’information, les services… et désormais les produits. Ce bouleversement a le potentiel de toucher tous les secteurs, du retail à la banque et les assurances, en passant par l’immobilier, l’éducation et la santé, même si chacun connaît ses propres dynamiques.
Une même question, cependant, se pose à tous : comment les acteurs traditionnels et numériques vont-ils adapter leur proposition de valeur dans un paysage où les agents conversationnels se positionnent comme nouveaux intermédiaires d’achat ? Google, Amazon, OpenAI, mais aussi les distributeurs eux-mêmes devront repenser leur place dans un environnement où les recherches, les comparaisons, les choix se font peut-être moins via des moteurs ou des guides d’achat… que via des assistants personnels.
L’avènement des agents IA soulève une problématique stratégique : le commerce reste-t-il un espace de mise en valeur des marques, ou devient-il un domaine d’optimisation pilotée par algorithme ? Et si les grandes plateformes devenaient des prescripteurs autonomes, comment redéfinir un positionnement online pertinent ?
Et si nos achats commençaient – à nouveau – par une conversation ?
Autrefois on s’adressait au vendeur ou conseilleur pour cibler au plus juste le produit répondant à notre besoin. Depuis les années 1990 et l’essor du Web, l’acte d’achat digital a fait preuve d’une croissance rapide. A partir des années 2000 (et encore plus les années 2010 avec le m-commerce), l’achat se déroulait majoritairement à travers des parcours bien balisés : requête Google, comparaison de produits via des guides, lecture d’avis consommateurs, consultation de promotions. Cette logique, encore centrée sur la recherche et l’initiative du consommateur, est challengée par l’arrivée des agents IA générative.
Les agents IA sont définis comme des entités capables d’exécuter de manière autonome des tâches spécifiques pour le compte d’humains. La combinaison de raisonnement logique et d’accès à des informations externes, connectée à un modèle d’IA générative, invoque le concept d’agent (Wiesinger et al., 2024).
Comparés aux agents traditionnels ou les chatbots auxquels nous sommes habitués, ces agents présentent des caractéristiques plus humaines, avec des capacités plus flexibles et diversifiées. Désormais ces agents conversationnels offrent une nouvelle porte d’entrée : la requête directe, en langage naturel, pour une interaction entièrement personnalisée menant à la prise de décision.

Comme montré sur l’image, sur une simple requête l’agent peut faire appel à une diversité d’outils (tools) pour exécuter la tâche et accéder à des éléments à l’extérieur du modèle (le monde extérieur) : des extensions, fonctions, bases de données, plugins, APIs…
Illustrons cela avec un exemple. Plutôt que de taper « meilleur casque audio bluetooth 2025 » sur Google, l’utilisateur interroge un agent : « Je cherche un casque pour travailler à la maison, confortable, avec réduction de bruit active, autour de 150€ ». En retour, l’agent propose une sélection contextualisée, en intégrant des critères comme la disponibilité, les avis récents, les codes promo valables et même, parfois, les conditions de retour…

Selon une étude Harvard Business Review – Coveo (2024), 70% des décideurs dans le retail estiment que les agents IA amélioreront considérablement la pertinence des recommandations. Les bénéfices avancés sont, entre autres, les réponses ciblées, l’information actualisée, la capacité à comparer des produits très proches sans se perdre dans des listings trop longs ou mal hiérarchisés. Là où les guides d’achat peuvent paraître génériques ou obsolètes, l’agent conversationnel donne accès à une recommandation dynamique, taillée pour le besoin exprimé.
Des exemples concrets émergent déjà. Aux États-Unis, des entreprises du retail comme Klarna ou Shopify intègrent des agents basés sur l’IA générative. Sidekick de Shopify est un assistant IA conçu pour aider les marchands à gérer leur boutique et propose une assistance variée comme des recommandations sur les promotions, la génération de fiches produits, ou l’analyse des performances. Du côté du consommateur, Klarna, l’acteur majeur du « buy now pay later », s’est associé avec Open AI et expérimente aussi des interfaces conversationnelles permettant de guider l’achat à travers des chats dynamiques et des recommandations personnalisées.
Le secteur des banques et de la finance n’est pas sans reste. Par exemple, J.P. Morgan a lancé le premier système de conseil automatisé en investissement basé sur un LLM. Quest IndexGPT utilise GPT-4 d’OpenAI pour générer des mots-clés liés à un thème spécifique, lesquels sont ensuite utilisés pour identifier les articles de presse sur les entreprises qui les mentionnent, permettant de créer des indices thématiques pour des clients institutionnels dans des domaines tels que l’IA, le cloud computing, l’e-sport et les énergies renouvelables. Comme un prolongement plus interactif du modèle Robo-Advisor, IndexGPT analyse et sélectionne des titres adaptés aux besoins des clients.
Des exemples existent aussi dans le secteur immobilier, l’éducation, la santé… On passe progressivement d’une logique de catalogue à une logique de dialogue. Et potentiellement d’influence algorithmique ?
Une interface qui ne dit pas son nom
Si l’adoption de ces nouveaux comportements semble ne pas faire de vagues du côté du consommateur, c’est bien parce que l’expérience utilisateur est fluide, personnalisée et en plus multimodale. Les interactions en langage naturel rendent l’adoption de ces interfaces facile, mais l’utilisateur n’est pas contraint d’entrer une requête textuelle. Il peut envoyer la photo d’un produit, enregistrer une demande vocale ou dialoguer avec l’agent, y compris avec des formulations imprécises. L’agent peut suggérer un produit similaire, identifier le modèle, poser des questions complémentaires ou proposer une réparation ou un remplacement…
Dans la mode ou le design d’intérieur, cette approche visuelle apparaît déjà comme une évidence. Des applications permettent par exemple de photographier un vêtement pour recevoir instantanément des recommandations similaires disponibles en ligne, à des prix et tailles correspondants. Dans le secteur de l’architecture ou du design d’intérieur, des solutions comme HomeDesignsAI proposent des assistants IA permettant de matcher automatiquement des ambiances décoratives avec des produits de leur catalogue.
Cette facilité d’usage s’accompagne d’un autre facteur clé qui est la personnalisation de l’expérience. Les agents IA peuvent apprendre des préférences, des styles, des historiques d’achats pour offrir des recommandations sur mesure. À terme, certains pourraient devenir de véritables conseillers personnels, avec une mémoire et un « goût » alignés sur l’utilisateur.
Dans ce contexte, l’un des défis majeurs pour les marques sera de réussir à se rendre visibles auprès d’un agent, et non plus seulement auprès du consommateur. La question devient alors : quels seront les critères d’intermédiation des agents IA ? Quels sont les paramètres qui déterminent la sélection présentée ? Le prix, la disponibilité, la réputation de la marque… ou des stratégies marketing digital et des accords commerciaux passés avec la plateforme ?
Pour les marques, un déplacement du terrain de jeu
L’émergence des agents conversationnels dans le commerce pourrait à terme redéfinir la hiérarchie des canaux de distribution. Si l’interaction client se fait désormais via une interface IA, quelle est la place restante pour le SEO traditionnel, les campagnes d’achat sponsorisé, les avis consommateurs ? L’écosystème digital serait en train de se recomposer.
Dans ce sens, Google teste son propre agent de recherche basé sur Gemini pour répondre à des demandes complexes incluant des comparaisons de produits. Amazon, de son côté, investit dans l’amélioration de Rufus et la génération de résumés d’avis produits via IA. Et OpenAI développe des fonctionnalités spécifiques au shopping, avec en perspective des partenariats visant à intégrer des fonctions de shopping dans ChatGPT via des plugins spécialisés.

Cette évolution pousse les commerçants à revoir leur stratégie de présence en ligne car la seule bataille sur les mots-clés ou les publicités n’est plus suffisante. Désormais il se pose la question de la présence dans la boucle de recommandation IA. Cela passe entre autres par une structuration fine des données produits (attributs, photos, informations logistiques), une accessibilité par API, et une capacité à dialoguer avec ces agents.
D’abord, les implications des agents IA sur le comportement des consommateurs
Ces questions de marketing et d’expérience consommateur embarquent les marques dans une nouvelle frontière au-delà du simple référencement SEO, que certains appellent l’AAO pour AI Agent Optimisation. Cette évolution soulève des enjeux cognitifs et psychologiques majeurs. Deux éléments en particulier apparaissent comme essentiels : la confiance et l’acceptabilité, identifiés comme les moteurs fondamentaux dans l’adoption d’agents IA.
Des travaux de recherche récents montrent que la confiance est le mécanisme central qui convertit les indices de l’agent en intentions comportementales. En complément, les attentes éthiques deviennent un levier crucial dans le développement d’agents IA, contribuant à renforcer la confiance de la part des consommateurs (Zhao et al., 2025).
Ces conclusions ont des implications concrètes pour les entreprises : elles renforcent la nécessité d’une approche holistique où les dimensions techniques sont pensées en lien étroit avec les aspects humains et éthiques. Ainsi les perceptions, les attitudes, mais aussi les facteurs démographiques ou culturels jouent un rôle aussi déterminant que les caractéristiques techniques de l’agent lui-même. Ces facteurs doivent être intégrés dans un cadre réglementaire attentif aux enjeux éthiques. L’objectif est la construction d’une relation de confiance durable avec le consommateur. A défaut, une utilisation techniquement performante de l’agent IA pourrait être mal acceptée si elle n’est pas alignée avec les attentes des consommateurs.
Ensuite, les implications des agents IA sur la stratégie commerciale
Mais une question de stratégie commerciale se pose également. Car ces nouvelles interactions renforcent la nécessité pour les marques de développer une proposition de valeur différenciante au-delà du prix. Si l’agent IA sélectionne le produit le plus optimisé (reste à savoir selon quels critères : coût, modes de livraison, notation, performance…), les marques pourraient entrer dans une logique d’hyper-concurrence algorithmique. C’est là que la question de la proposition de valeur devient centrale. Gaarlandt et al. (2025) soulignent ce paradoxe : si les agents IA récompensent l’optimisation, l’optimisation tue parfois la différenciation. Pour exister face à des agents capables de tout comparer, réaffirmer une identité de marque peut redevenir le levier de différenciation.
Dans ce contexte, les agents IA ne sont pas simplement des canaux d’intermédiation : ils participent activement à la redéfinition des parcours d’achat et influencent la visibilité des marques dans des environnements de plus en plus filtrés. Cela oblige les entreprises à repenser leur présence et leurs points de contact.
Pour maintenir leur attractivité et assurer leur pérennité dans un écosystème intermédié par des agents, les marques doivent faire évoluer leur stratégie commerciale. Cela implique non seulement de s’adapter aux formats lisibles par l’IA, mais aussi de renforcer leur ancrage dans des valeurs éthiques, culturelles ou expérientielles qui peuvent justifier un choix au-delà de la simple optimisation technique. L’enjeu n’est pas nouveau, et depuis les travaux de M. Porter on identifie la différenciation comme un levier de stratégie concurrentielle durable face à la standardisation ou la guerre des prix. Comme le suggérait déjà Kapferer (2012), dans un environnement saturé, le capital-marque doit “incarner une vision, une mission et une promesse durable” pour rester visible, désirable et pertinente.
En somme, l’agent IA devient un acteur influent dans la transformation de la proposition de valeur, avec des implications sur la façon dont les entreprises conçoivent, positionnent et délivrent leur offre. Cela suppose un alignement stratégique entre les capacités de l’IA, la proposition de valeur de la marque, et les attentes sociétales en matière d’éthique, de transparence et de durabilité (Norton, 2025). Ces éléments deviennent autant de facteurs nécessaires à considérer pour conserver un positionnement à la fois attractif, lisible par les agents IA, et durable aux yeux des consommateurs.
L’intégration des agents IA dans nos parcours d’achat ne fait que commencer. À court terme, leur impact sera probablement progressif, mais à moyen terme, leur rôle pourrait devenir aussi central que l’ont été les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux.
La question du rôle des marques dans cette intermédiation est centrale, avec des enjeux économiques, concurrentiels voir éthiques. Cette nouvelle forme de commerce algorithmique posera certainement des questions de transparence (comment l’agent choisit-il ?), de confiance (reflète-t-il mes intérêts ou ceux d’un tiers ?), et d’émotion (dans quelle mesure il y a un attachement émotionnel à l’agent ou à la marque, est-ce que l’engagement est durable ?).
Dans ce contexte, le commerce ne peut plus être pensé comme un simple canal de transaction unidirectionnel. Il devient un espace d’interaction, voire de négociation entre humains et IA, où il est nécessaire de comprendre les logiques des agents IA.
Face à ces incertitudes, une seule chose est sûre : les directions de l’innovation et de la stratégie seront confrontées à la nécessité de traduire la proposition de valeur de la marque en mode algorithmique. Ou alors, laisserons-nous le système définir l’ADN de la marque ? Une question d’AI-organization fit que nous étudions au sein de l’institut Artimon Perspectives.
RÉFÉRENCES
Furr N., Shipilov A., Gaarlandt J., Korver W. (2025), How AI Agents Are Rewriting Retail Power. Available online: https://knowledge.insead.edu/marketing/how-ai-agents-are-rewriting-retail-power (accessed on 30 June 2025)
Norton, L. W. (2025), Artificial intelligence and organizational strategy: Ethical and governance implications. Consulting Psychology Journal. Advance online publication. https://doi.org/10.1037/cpb0000280
Stein R. (2025), Expanding AI Overviews and introducing AI Mode. Available online: https://blog.google/products/search/ai-mode-search/ (accessed on 30 June 2025).
Wiesinger, J., Marlow, P., & Vuskovic, V. (2024), Agents. Whitepaper. Available online: https://www.rojo.me/content/files/2025/01/Whitepaper-Agents—Google.pdf (accessed on 1 July 2025).
Xia Z., Shannon, R. (2025), Navigating the Digital Frontier: Exploring the Dynamics of Customer–Brand Relationships Through AI Chatbots. Sustainability, 17, 2173. https://doi.org/ 10.3390/su17052173
Zhao X., You W., Zheng Z., Shi S., Lu Y., Sun L. (2025), How Do Consumers Trust and Accept AI Agents? An Extended Theoretical Framework and Empirical Evidence. Behavioural Sciences, 15(3), 337.