Comment la coévolution entre les humains et l’intelligence artificielle transforme-t-elle notre société ?
La coévolution entre les humains et l’intelligence artificielle, définie comme un processus dans lequel les humains et les algorithmes d’IA s’influencent mutuellement de manière continue, caractérise de plus en plus notre société. Bien que peu explorée dans les études sur l’IA, cette dynamique façonne de plus en plus nos interactions sociales, économiques et culturelles. Les systèmes de recommandation et assistants, omniprésents dans notre quotidien, en sont des acteurs clés, modulant nos choix et nos comportements via des boucles de rétroaction complexes.
Une boucle de rétroaction au cœur de la coévolution
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Les systèmes de recommandation basés sur l’IA influencent nos décisions en suggérant des contenus adaptés à nos préférences. À travers des plateformes comme les réseaux sociaux, le commerce électronique ou les services de navigation, ces algorithmes collectent des données issues de nos choix pour affiner leurs modèles, qui, à leur tour, orientent nos comportements futurs. Cette boucle de rétroaction, où l’utilisateur et l’IA s’influencent mutuellement, diffère fondamentalement des interactions traditionnelles entre l’humain et la machine.
L’IA amplifie cinq caractéristiques fondamentales dans cette coévolution : omniprésence, persuasion, traçabilité, rapidité et complexité. Les recommandeurs sont intégrés dans presque toutes les sphères de nos activités en ligne, des médias sociaux aux plateformes de streaming. Leur capacité à analyser et exploiter des volumes massifs de données renforce leur efficacité et leur force de persuasion. Les interactions laissent des traces durables sous forme de big data, offrant aux IA une vue globale des comportements individuels. Leur rapidité d’apprentissage et d’adaptation dépasse celle des générations technologiques précédentes, accélérant la boucle de rétroaction. Enfin, la complexité croissante des systèmes résulte de la multitude d’interactions entre des utilisateurs, des algorithmes et des écosystèmes numériques variés.
Quelques exemples concrets d’écosystèmes IA
Les médias sociaux
Les systèmes de recommandation sur les réseaux sociaux jouent un rôle central en suggérant des messages et des utilisateurs à suivre, créant ainsi une double boucle de rétroaction : les interactions passées façonnent les recommandations actuelles, qui influencent à leur tour les choix futurs des utilisateurs. Simultanément, les comptes suivis influencent les recommandations, impactant les futures interactions sociales. Ces dynamiques peuvent conduire à des effets tels que la polarisation ou les chambres d’écho, amplifiant les opinions similaires tout en limitant l’exposition à des perspectives divergentes. Bien qu’ils puissent mener à des contenus pertinents, ces algorithmes peuvent également renforcer les bulles de filtres, exacerbant les risques de radicalisation et de fragmentation des opinions.
Commerce de détail en ligne
Dans le commerce électronique, les systèmes de recommandation soutiennent les plateformes comme Amazon ou Netflix en proposant des produits adaptés aux préférences des utilisateurs. Ils fonctionnent selon deux approches principales : le filtrage collaboratif, basé sur les comportements collectifs, et les recommandations personnalisées, adaptées aux goûts individuels. Bien que ces outils optimisent les expériences d’achat, ils peuvent également limiter la diversité des produits consommés et accentuer la concentration des ventes autour de marques dominantes. En privilégiant des produits populaires, ces algorithmes renforcent les inégalités entre producteurs, diminuant la variété globale des choix disponibles.
Cartographie urbaine
Les services de navigation comme Google Maps ou Waze recommandent des itinéraires optimisés en temps réel, mais leurs suggestions peuvent involontairement provoquer des congestions locales. Par exemple, en redirigeant les conducteurs vers des routes résidentielles pour éviter des autoroutes saturées, ces services ont parfois aggravé les embouteillages urbains. La coévolution entre conducteurs et algorithmes intensifie ces problèmes : les choix de trajets influencés par des recommandations passées modifient les conditions de circulation, impactant les suggestions futures. Concrètement, si trop de conducteurs empruntent un même itinéraire « écologique », celui-ci perd son efficacité environnementale et logistique.
Génération de contenu
Les grands modèles de langage (LLM pour Large Language Model) révolutionnent la création de contenu à l’instar de ChatGPT. Cependant, leur utilisation massive pose des défis, notamment la standardisation linguistique et la diminution de la diversité des expressions. Lorsqu’ils s’entraînent sur leurs propres productions, ces modèles risquent d’accentuer une régression vers la moyenne, réduisant la richesse linguistique. Ce phénomène, dit d’ « autophagie », exige une analyse approfondie pour concevoir des outils qui équilibrent les avantages, comme l’harmonisation du langage, avec les risques liés à la perte de diversité culturelle et linguistique.
Défis scientifiques, juridiques et sociopolitiques
Étudier la coévolution entre les humains et l’IA exige un accès accru aux données des plateformes et une transparence sur la conception des algorithmes. Les initiatives légales comme la loi européenne sur les services numériques peuvent offrir des pistes, mais elles nécessitent des API ouvertes pour permettre des expériences empiriques contrôlées. Sur le plan sociopolitique, la concentration des « moyens de recommandation » entre quelques entreprises technologiques crée des déséquilibres. Une redistribution de ces outils et une meilleure régulation pourraient favoriser une coévolution orientée vers des objectifs sociétaux partagés.
Vers une meilleure compréhension des impacts de l’IA
Le développement d’une économie politique de la coévolution entre les humains et l’IA apparait donc comme essentielle pour examiner les impacts à long terme de ces interactions. L’étude des interactions entre les dynamiques économiques, les choix politiques et les transformations sociales résultant de l’évolution conjointe des humains et de l’intelligence artificielle s’avère nécessaire afin de mieux comprendre ces impacts et identifier des leviers. Par exemple, si les décisions individuelles influencent fortement les résultats collectifs, une réflexion approfondie et interdisciplinaire est nécessaire pour équilibrer les avantages et les risques liés à ces systèmes.
En conclusion : la coévolution, un enjeu pour l’avenir
En conclusion, la coévolution représente un enjeu pour l’avenir, étant aussi bien une opportunité qu’un défi. Si ce concept invite à repenser les relations entre technologie, société et politiques publiques, il interroge aussi notre capacité à identifier les influences des systèmes dans nos choix et nos prises de décision.
Article : Pedreschi, D., Pappalardo, L., Ferragina, E., Baeza-Yates, R., Barabási, A. L., Dignum, F., Dignum, V., Eliassi-Rad, T., Giannotti, F., Kertész, J., Knott, A., Ioannidis, Y., Lukowicz, P., Passarella, A., Pentland, A. S., Shawe-Taylor, J., & Vespignani, A. (2025). Human-AI coevolution. Artificial Intelligence, 339, 104244. https://doi.org/10.1016/J.ARTINT.2024.104244