Commission d’enquête sur les agences de l’État : un retour de bâton pour le New Public Management ?

Artimon Perspectives

La création d’une commission d’enquête visant à évaluer le coût et l’organisation des agences et opérateurs de l’État marque une étape importante dans la réflexion sur l’efficacité de l’action publique. Cette initiative s’inscrit dans un contexte plus large de remise en cause de la fragmentation administrative et de la multiplication des structures parallèles à l’administration centrale. Ainsi, elle met en lumière les tensions inhérentes aux principes du New Public Management (NPM), un paradigme qui a guidé les réformes de l’administration publique depuis plusieurs décennies et qui promeut une gestion plus efficiente et orientée vers la performance.

A travers le prisme du New Public Management (NPM), il est possible de mieux comprendre les enjeux sous-jacents et les implications de cette commission d’enquête.

Depuis les années 1980, la création d’agences indépendantes et d’opérateurs autonomes a été perçue comme une solution pour moderniser l’action publique, en rapprochant les services de l’usager, en favorisant la spécialisation des compétences et en introduisant des logiques de performance et d’évaluation. Cette approche, inspirée par le NPM, repose sur l’idée que l’administration centrale doit se recentrer sur des fonctions stratégiques et déléguer l’exécution des politiques publiques à des entités plus souples et réactives.

Toutefois, cette dynamique a conduit à une multiplication des structures, induisant un empilement bureaucratique par procuration qui rend le paysage administratif de plus en plus complexe. Ce que les sénateurs à l’origine de la commission décrivent comme un « foisonnement des doublons » et une « dispersion » des opérateurs publics, conduisant, selon eux, à une diminution de l’efficacité de l’État. Le nombre exact d’agences et d’opérateurs publics demeure difficile à établir, mais il est estimé à plus d’un millier, avec un coût budgétaire en forte augmentation au fil des ans. Cette expansion pose la question de la coordination entre ces structures, de la clarté des responsabilités et, en définitive, de la lisibilité de l’action publique.

Le New Public Management, qui a inspiré de nombreuses réformes de l’administration publique, repose sur plusieurs principes clés : la rationalisation des dépenses publiques, l’évaluation de la performance, la réduction des structures bureaucratiques et l’introduction de mécanismes issus du secteur privé (comme la mise en concurrence ou l’externalisation). La mise en place de cette commission d’enquête est révélatrice des tensions inhérentes au modèle NPM et aux externalités négatives qui peuvent se produire de l’exportation d’un modèle d’origine anglosaxon sur un contexte bureaucratique déjà assez saturé.

L’évaluation de la pertinence du modèle des agences publiques peut ainsi s’inscrire dans une critique plus large des principes du NPM. Si ce dernier a promu la décentralisation, l’externalisation et la spécialisation des missions de l’État, il a également généré des effets secondaires qui sont remis en question.

D’abord, la multiplication des agences entraîne des chevauchements de compétences et un manque de lisibilité dans l’action publique. Plusieurs structures peuvent être amenées à intervenir sur des champs similaires, générant une complexité accrue pour les usagers et les acteurs économiques. La dispersion des responsabilités peut également entraîner une dilution de l’autorité décisionnelle et un manque de contrôle effectif sur les politiques mises en œuvre.

Ensuite, l’autonomie relative des agences pose la question du contrôle démocratique et de la responsabilité publique. Ces structures, bien que rattachées à l’État, fonctionnent souvent avec une marge de manœuvre importante, échappant potentiellement aux mécanismes de supervision qui s’appliquent aux administrations centrales. Cette situation soulève des interrogations sur la transparence et la capacité des pouvoirs publics à orienter efficacement les politiques publiques.

Enfin, l’argument de la rationalisation budgétaire, souvent avancé pour justifier la création d’agences, est aujourd’hui remis en cause. Si la logique initiale du NPM était de réduire les coûts et d’améliorer l’efficience, l’accumulation des structures a, au contraire, contribué à une augmentation significative des dépenses publiques. Entre 2012 et 2024, le coût des agences et opérateurs aurait doublé, illustrant un phénomène d’expansion administrative difficile à maîtriser.

La commission d’enquête vise à établir un diagnostic précis sur l’organisation et le coût des agences publiques, avec pour objectif éventuel de proposer des mesures de rationalisation. Ses conclusions pourraient aboutir à des propositions de réformes intégrées dans le projet de loi de finances pour 2026.

Parmi les pistes envisagées figurent la redéfinition du rôle de certaines agences, la fusion de structures aux missions similaires, la suppression d’agences jugées redondantes ou encore le transfert de certaines compétences aux collectivités territoriales ou à des organismes plus spécialisés. Si l’exemple de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) évoqué peut sembler provocateur, il illustre la volonté de recentralisation et de rationalisation des missions administratives. L’idée sous-jacente est que certaines fonctions pourraient être prises en charge par des structures déjà en place, comme les régions ou les autorités financières.


La réflexion sur l’organisation des agences et opérateurs publics illustre une remise en question des principes du New Public Management. Si la création de structures autonomes a permis d’introduire des dynamiques de spécialisation et d’adaptation, elle a aussi généré des effets indésirables en termes de lisibilité, de contrôle et de coûts.

Cette démarche pourrait marquer une inflexion dans la manière dont l’État organise son action. Alors que le NPM prônait la délégation et la fragmentation des missions, la perspective actuelle semble aller vers une volonté de clarification et de simplification, voire de recentralisation. Toutefois, la mise en œuvre d’une telle transformation soulève plusieurs défis. D’une part, elle nécessite un consensus politique et une coordination étroite avec les administrations concernées. D’autre part, elle doit éviter de fragiliser l’action publique en supprimant des structures sans alternative claire. La question demeure quant à l’objectif principal d’une reforme potentielle. Naturellement, si elle est drivée par des soucis de contrainte budgétaire, l’enjeu sera d’éviter que cette rationalisation ne conduise à une perte d’expertise ou à une dégradation de la qualité du service rendu aux citoyens.


Références

Pour en savoir plus sur la commission d’enquête, l’article d’ Acteurs publics : La droite sénatoriale lance une commission d’enquête sur les agences de l’État | À la une | Acteurs Publics

Pour lire plus sur le New Public Management :

Hood, C. (1991). A Public Management for All Seasons? Public Administration, 69(1), 3-19.

Pollitt, C., & Bouckaert, G. (2017). Public Management Reform: A Comparative Analysis – Into the Age of Austerity. Oxford University Press.

Bezes, P. (2009). Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008). Presses Universitaires de France.

Articles similaires