Comprendre la culture organisationnelle dans les projets de transformation
La culture organisationnelle est bien plus qu'un simple élément de la vie d'une entreprise. Elle joue un rôle crucial dans la réussite de l'entreprise et dans sa capacité à s'adapter aux changements.
- Les tendances des cultures organisationnelles peuvent être évaluées sur 4 valeurs : flexibilité, stabilité, focus interne et focus externe.
- Chaque organisation a une culture qui lui est propre, définie par ce que l’organisation valorise et les comportements de ses membres.
- Connaître la tendance culturelle de son organisation permet de mieux identifier les leviers et les freins lors d’un projet de transformation.
Dans cet article nous développons, sur la base de la littérature scientifique, une approche de la culture organisationnelle accessible et opérationalisable avec pour exemple le cadre d’un processus de transformation. Premièrement, nous présentons une matrice culturelle servant à caractériser la culture organisationnelle selon les valeurs et normes d’une organisation en termes de flexibilité, de stabilité, de focus interne et de focus externe. Nous proposons des méthodes d’évaluation et de suivi de ces valeurs et normes. Deuxièmement, nous discutons l’adéquation entre les caractéristiques culturelles d’une organisation et la conduite de projet de transformation. Enfin, nous définissons des leviers d’action pour favoriser l’émergence de valeurs et de normes culturelles dans une organisation.
En somme, au travers de cette lecture vous pourrez comprendre et évaluer, selon la littérature scientifique, en quoi la culture organisationnelle prépare ou non une organisation à atteindre ses objectifs, et comment agir [1][5].
Définir le concept de culture organisationnelle et son importance dans les projets de transformation
Définition…
La culture organisationnelle peut être définie comme un ensemble de représentations et de valeurs dont découlent des normes partagées par les membres d’une organisation [6][7]. Ces représentations et ces valeurs sont transmises et évoluent dans le temps au travers de ses membres [8]. Autrement dit, la « culture organisationnelle » qualifie en valeurs et normes une organisation là où une « organisation » qualifie spatialement l’expression de cette culture.
La culture n’est pas une construction unitaire, mais plutôt composite. Elle englobe un ensemble de comportements, d’habitudes, de cognitions et d’attitudes qui influencent les actions des membres d’une organisation et, par conséquent, leurs décisions. Dans une acception plus large, le concept de culture organisationnelle se définit par sa stabilité, sa profondeur, son étendue et son intégration au sein d’une organisation spécifique (Figure 1).
Figure 1. Caractéristiques du concept de culture
La culture organisationnelle est un concept abstrait dans le sens où ce qui est perceptible de la culture se résume à des proxys comportementaux de normes et de valeurs. Si nous avons choisi de discuter la culture organisationnelle en rapport avec les projets de transformation dans cet article, c’est justement pour mettre en exergue ce rapport au comportement et faciliter l’approche du concept de « culture » souvent simplifié et dont l’emploi du mot est parfois galvaudé. En effet discuter la culture en soi revient à une approche psychologique, sociologique et anthropologique s’inscrivant dans une littérature scientifique.
Parmi ces proxys on peut citer en exemple :
- Premièrement, la relation entre les membres d’une organisation et leur hiérarchie en termes d’ouverture et de soutiens.
- Deuxièmement, la relation entre les membres de l’organisation et de la direction s’exprime aussi au travers de la confiance. Le concept de confiance recouvre la perception de l’adéquation entre les mots et les actes.
- Troisièmement, on peut considérer, comme facteur organisationnel, des aspects de gestion participative comme la justification des décisions, des objectifs, de la prise en compte des retours, des habitudes de communication et d’information. Cela est d’autant plus vrai que les approches descendantes ont montré leurs faiblesses à conduire des projets de changement efficients [9],[10].
- Quatrièmement, la culture au niveau organisationnel s’exprime aussi dans la cohésion au sein de l’organisation qui peut être exprimée dans des comportements prosociaux comme du soutien mutuel. Enfin, on peut mentionner le facteur politique. Les enjeux politiques et leur importance dans l’organisation peuvent avoir des effets forts sur les interactions, le partage d’information, engendrer des retards ou des dépenses inutiles. L’ensemble de ces facteurs vont ainsi dessiner les contours de la culture organisationnelle.
Ces exemples illustrent la matérialisation des normes et des valeurs d’une organisation et vont donc varier d’une organisation à une autre.
… et importance
Si l’on parle de la culture organisationnelle c’est pour son importance dans l’ensemble des processus des organisations. Comme nous l’avons dit, ce sont les normes et les valeurs partagées qui vont servir de filtres dans les processus de définition et de construction de sens et des prises de décision de l’organisation. S’intéresser à la culture des organisations revient donc à s’intéresser au premier déterminant de l’efficacité organisationnelle : la façon dont nous définissons nos interactions dans le cadre d’une organisation que ce soit en interne ou en externe [11].
Un des exemples les plus parlant est celui de la relation entre la culture organisationnelle et les projets de transformation organisationnelle. Si l’on considère l’intrication entre culture et organisation, la culture va influencer la conduite d’un projet mené par l’organisation qui va, en retour, influencer sa culture. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’importance de la dimension culturelle pour prédire la réussite des projets de changement organisationnel fait consensus. Paradoxalement, l’évaluation de la préparation à des projets de transformation repose aujourd’hui essentiellement sur des points techniques, des objets de réflexion tangibles et facilement manipulables cognitivement au détriment de facteurs plus abstraits comme la culture, qui démontrent un impact plus systémique sur la réussite des dits projets.
La matrice culturelle des organisations
L’intérêt principal de définir la culture organisationnelle est ensuite de la replacer dans un cadre appliqué et s’interroger sur son influence notamment, dans le cadre de projets de transformations qui mettent en jeu l’ensemble des facteurs présentés. La théorie de la préparation organisationnelle au changement postule ainsi, logiquement, qu’un niveau plus élevé de préparation organisationnelle augmente le succès de l’adoption de l’innovation et diminue le risque d’échec [12], [13]. Au cœur de cette préparation la culture joue un rôle central.
Les dimensions de culture organisationnelle vont définir la nature des relations et la structure hiérarchique ainsi que les pratiques dans l’organisation. Ces dimensions ne dépendent pas d’un projet en soi mais sont relatifs à une structure, des valeurs et des habitus internes préexistants [4]. En d’autres mots, si la compréhension des processus liés à ces dimensions peut s’appliquer au cadre d’un projet de transformation, ils ne se limitent pas à ce dernier et représentent des normes d’interactions générales à l’organisation.
Différents modèles ont été proposés pour définir une taxonomie des types de cultures organisationnelles [11], [14]–[17]. L’idée est de délimiter des phénotypes de fonctionnements organisationnels, de collaborations et valeurs partagés par les membres d’une organisation [18], [19]. En d’autres mots, l’objectif est de former une matrice explicative permettant de représenter la culture d’une organisation. Le modèle que nous mettons en avant (i.e. competing value framework) s’appuie sur deux dimensions [20]. La première fait référence à la flexibilité et la stabilité ; la seconde, à l’orientation interne ou externe de l’organisation (Figure 2).
Figure 2. Matrice culturelle définissant les typologies de culture sur la base des valeurs et normes de flexibilité/stabilité et orientations interne/externe d’une organisation [20]
Dans le modèle initial, ces dimensions peuvent être considérées comme des équilibres. Dans le premier équilibre, la flexibilité et la stabilité sont liées aux valeurs de la structure organisationnelle. La stabilité représente des structures claires qui visent à perdurer dans le temps en mettant l’accent sur la réduction de l’incertitude, tandis que la flexibilité représente la capacité d’adaptation de l’organisation avec une acceptation de l’incertitude et une structure fondée sur des principes d’adaptabilité. Le deuxième équilibre, interne/externe, se situe dans une logique micro/macro.
L’orientation d’une organisation peut mettre l’accent soit sur le bien-être et le développement des individus au sein de l’organisation (approche interne ou micro), soit sur le développement de l’organisation elle-même. Il est important de souligner que la flexibilité et la stabilité, tout comme l’orientation interne et externe, ne sont pas des dimensions exclusives, mais plutôt en relation d’équilibre. Privilégier la stabilité ne signifie pas ne pas être flexible, mais plutôt avoir une structure davantage orientée vers la stabilité que vers la flexibilité.
L’interprétation de ces dimensions se fait donc dans un contexte relatif et non absolu [21]. En d’autres termes, accroître la culture de la flexibilité n’implique pas nécessairement une diminution absolue de la culture de la stabilité, mais plutôt un ajustement relatif [22].
Cependant, des études plus récentes ont montré que les relations supposées antagonistes entre flexibilité/stabilité ou interne/externe ne semblaient pas représenter la réalité des organisations [22]. Plus que des dimensions antagonistes, ces dimensions semblent être complémentaires et évoluer en parallèle. Ainsi, une organisation valorisant l’ouverture et la hiérarchie n’apparaissant pas possible dans le modèle initial, s’est vue réhabilitée dans le champ des possibles par la recherche scientifique. Ce changement paradigmatique est important à considérer car il démontre une nouvelle approche de la culture organisationnelle passant d’un modèle statique à un modèle organique. Ainsi la culture ne doit pas être vue comme un objet de classification mais un processus évolutif temporellement (ex. période COVID) et spatialement (ex. France vs Corée). En résumé, chaque organisation englobe les 4 dimensions culturelles «équipe», «ouverte», «rationalisante», «hiérarchique» à des niveaux différents et sans opposition systématique.
On peut ainsi, à l’aide de différents outils, mesurer les orientations culturelles des organisations et la prévalence de certaines valeurs par rapport à d’autres [23]. Par exemple, en utilisant les phrases descriptives présentées ci-dessous et en demandant aux membres de l’organisation étudiée dans quelle mesure ces affirmations correspondent à leur organisation, on peut produire un phénotype culturel de l’organisation en question prenant en compte la vision organique de la culture.
Etablir des mesures fiables ne se limite pas aux quatre questions présentées, mais repose sur le moyennage d’un ensemble d’éléments évalués par les membres de l’organisation. Cela permet d’accéder à la représentation partagée de l’organisation (i.e. moyennes) et à la volatilité de cette représentation (i.e. écart-types) pour chacune des dimensions culturelles, et aux différences inter-individuelles/équipes. On peut ensuite en faire une représentation graphique qui peut servir de mesure situationnelle ou de mesure de suivi (Figure 3).
Figure 3. Phénotype d’une organisation en fonction des équilibres de valeurs culturelles
Qualifier le phénotype culturel d’une organisation permet de mieux comprendre le cadre dans lequel cette dernière développe son activité et son efficience, mais aussi pourquoi certains problèmes peuvent apparaître (ex. il est peu probable qu’une organisation ayant une culture d’équipe très faible puisse attendre une cohésion face à un projet de transformation de l’organisation) [11]. On souligne que le lien entre culture et efficience organisationnelle n’est pas nécessairement direct mais peut être médié par la manière d’approcher la gestion des connaissances de l’organisation [24]. Par exemple, l’ouverture comme valeur d’une organisation est positivement liée à la capacité d’interprétation de nouvelles informations et à l’utilisation de ces dernières en vue d’innovation. C’est cette capacité d’interprétation, qui découle de ces valeurs d’ouverture, qui permettra à l’organisation de mieux s’adapter au contexte socio-économique. De manière stéréotypique on va pouvoir définir l’organisation par rapport, entre autres, à son type de leadership, ses critères de valorisation ou sa théorie managériale (Figure 4).
Figure 4. Matrice culturelle définissant des exemples de types de leadership, les critères de valorisation et la théorie managériale associés à une dimension culturelle. Il est important de se rappeler que ce ne sont pas des catégories mais des dimensions non-antagonistes.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons produit de nouveaux outils sur la base de la littérature scientifique et de conduite de paradigmes expérimentaux. L’objectif est de proposer des outils avec une forte validité interne et externe pour approcher les enjeux de culture de manière la plus précise et scientifiquement validée possible. Ces outils seront mis à disposition dans les semaines à venir mais vous pouvez dès maintenant nous contacter pour en savoir plus.
Comment la culture organisationnelle impacte les projets de transformation ?
Chaque typologie de culture valorise des concepts intégrés par les employés de la structure et par la structure elle-même en tant qu’organisation. Ces concepts peuvent être implicites ou explicites et induisent des comportements spécifiques. Par exemple, une culture majoritairement “d’équipe” sera orientée vers les personnes qui composent l’organisation, avec des éléments observables tels que la communication ouverte, l’accompagnement et l’engagement des employés… De la même manière, pour une culture qui aura tendance à valoriser la “stabilité”, l’attention sera portée sur les process internes. On peut citer des éléments observables comme l’instauration du Lean management, une méthode consistant à optimiser les processus de production pour améliorer la qualité et la rentabilité, le respect des process de conformité ou encore l’attention des employés aux règles et aux détails. Cette orientation de l’attention et ces comportements peuvent être un avantage ou au contraire une contrainte dans l’implémentation de projets de transformation.
Ces quatre dimensions sont visibles à travers les comportements des membres de l’organisation pour correspondre à ce qui est considéré comme valorisé dans la structure. Dès lors, elles peuvent favoriser ou inhiber des comportements pouvant faciliter ou freiner l’adoption d’une innovation en interne.
La dimension « équipe », une orientation tournée vers les personnes
Lors de l’arrivée d’une nouveauté dans l’organisation, un environnement perçu comme sûr, familier et encourageant peut permettre de réduire les doutes et les peurs naissantes chez les personnes concernées par ce changement. Les employés sont plus à même de partager leurs incertitudes, voire de s’impliquer dans les décisions et la résolution de problèmes, ce qui permet d’orienter la communication et l’accompagnement autour du changement. Cet environnement va plus facilement accepter l’échec, qui sera perçu comme une occasion d’apprendre. Par exemple, un élément d’organisation visible est le mentorat. Considérer que l’échec est acceptable est une composante essentielle au changement : il poussera plus facilement les membres de l’organisation à prendre des risques (n.b. nous entendons risques comme des comportements ou actions avec une probabilité de définition des résultats plus faible).
L’importance donnée à créer une confiance mutuelle et une bonne cohésion entre les membres d’une organisation permet également de la flexibilité : par exemple, le télétravail est plus facilement accordé et respecté s’il est réalisé dans l’intérêt du groupe et que des outils favorisant le sentiment d’appartenance groupale sont pensés.
Les membres d’une organisation, où cette dimension est importante, auront plus de facilité à adhérer aux changements de la structure si le mouvement est collectif et si les intérêts communs sont rendus visibles. De même, les efforts demandés par ces changements seront plus facilement acceptés s’ils sont demandés à tous.
Il est à noter qu’un changement structurel (une nouvelle organisation, un remaniement des bureaux, le télétravail…) amène une période de “chaos”, plus ou moins longue où les membres de l’organisation perdent leurs repères. Or, plus ils se sentiront en confiance, plus ils pourront se risquer à changer leur mode de travail. C’est lorsque l’échec est peu toléré, ou que la confiance dans la hiérarchie est faible que les changements prennent du temps.
La dimension « stabilité » (ou « hiérarchique »), une orientation tournée vers les processus
Bien que cette dimension culturelle ne soit pas liée fondamentalement à l’appétence pour la nouveauté, elle peut apporter une structure au changement : les processus sont explicites et formalisés, ce qui facilite l’imbrication de la nouveauté dans l’existant. Le leadership joue aussi un rôle important : une haute importance est accordée à la hiérarchie, qui peut alors assurer le suivi des nouvelles méthodologies suite au changement.
Lorsque la culture hiérarchique est dominante dans une organisation, les caractéristiques visibles de l’environnement sont sa structure et ses procédures. Les règlements et procédures sont formalisés, valorisés et suivis par ses membres et ils constituent un cadre. La prise d’initiative “hors cadre” n’est pas particulièrement valorisée.
La tradition et l’historique occupent une place forte dans cette culture. Les nouveautés sont observées selon les expériences de succès ou d’échecs passés. De ce fait, là où l’orientation vers les personnes accueille plus facilement l’échec, celui-ci est particulièrement marquant dans une culture orientée processus : par exemple, si dans le cadre de cette culture, un nouvel outil comptable présente des dysfonctionnements au début de son implémentation, il sera d’autant plus difficile de faire accepter un nouvel outil provenant de la même source à cette population, même s’il ne présente aucun disfonctionnement. Cet “échec” est considéré comme un maillon indésirable du processus de travail, non pertinent pour son efficacité.
Cette dimension culturelle est liée à une forme d’inflexibilité, voire de jugement de valeur dans la considération que certaines façons de faire ou de penser sont plus efficientes que d’autres, ce qui peut constituer un frein dans l’implémentation de nouvelles méthodes de travail si elles sont contraires aux normes établies. Le risque est d’approcher les situations ou les analyses par un prisme idéologique de conservation plutôt qu’un raisonnement factuel et/ou opérationnel.
Néanmoins, dans le cadre de l’implémentation d’une nouveauté, la compréhension des normes et règles de l’organisation facilite son intégration : le cadre est défini et explicite, ce qui permet de mieux trouver comment y inclure l’innovation. Dans une structure formalisée, il est possible de donner une vision claire de l’évolution des rôles de chacun suite au changement. Les charges et les responsabilités sont réparties formellement, ce qui peut faciliter l’attribution et l’acceptation d’une nouvelle tâche. Cela participe aussi à rassurer les membres de l’organisation en faisant appel à ce qui est déjà connu. L’importance placée dans le respect de la hiérarchie et des périmètres de chacun est un levier important : la crédibilité d’une innovation passera par l’implication de la hiérarchie de l’organisation.
La dimension « ouverture », une orientation tournée vers la dynamique
L’ouverture des organisations peut être considérée comme un prérequis pour l’adaptabilité. Cette dimension fait référence à des principes d’expérimentation et d’accueil positifs de la nouveauté. Une innovation aura donc des facilités à s’implémenter dans les organisations partageant cette orientation.
La portée de cette dimension est de considérer l’échec comme partie du processus de découverte, la prise de risque est même encouragée et valorisée. Ainsi, les employés ne seraient pas forcément freinés par les premières difficultés qu’ils pourraient éprouver sur un nouvel outil.
Autre élément important, le digital est souvent perçu comme essentiel pour optimiser les ressources et s’adapter au marché.
L’orientation vers l’extérieur représente un atout lors de la communication autour d’une nouveauté, car elle peut véhiculer les gains en termes d’avantages concurrentiels liés à la valeur ajoutée perçue d’une innovation technologique.
L’attrait pour la découverte et la fluidité amène peu de formalisation : les nouveaux membres de l’organisation apprennent grâce à la transmission par les autres membres et ont à leur disposition peu de documentation ou processus écrits. Cela est un atout pour faire évoluer en continu la nouveauté, mais présente des désavantages lorsque le modèle de l’organisation doit être industrialisé.
La dimension « rationalisante », une orientation tournée vers les résultats
Les résultats et la performance, souvent en comparaison à des concurrents, étant les objectifs valorisés, il y a peu de temps à consacrer à des activités non rentables.
Comme pour l’orientation processus, l’échec n’est pas ou peu toléré : l’objectif étant d’améliorer la performance, un échec est perçu comme un obstacle.
Cette orientation présente l’avantage d’être tournée vers le marché et ses clients. Les employés ont donc l’habitude de s’adapter aux besoins de l’extérieur et de modifier leurs processus de travail pour y correspondre. Une innovation peut être porteuse d’améliorations valorisées par cette orientation, comme l’augmentation des ventes et la performance des employés. De cette manière une innovation, si elle est présentée comme apportant une valeur ajoutée pour se différencier de la concurrence ou gagner des parts de marché, peut plus facilement être acceptée.
Les 4 dimensions présentées ici se retrouvent dans chaque organisation, en différentes proportions. Chacune présente des forces ainsi que des points d’effort dans le cadre de l’introduction d’une innovation : la dimension stabilité peut présenter des réticences au début du processus contrairement à la dimension ouverture, pourtant cette dimension sera un atout dans sa formalisation et sa diffusion. Plus que de se demander “comment favoriser telle dimension dans mon organisation ?”, étant donné que les changements structurels sont longs, complexes et profonds, l’objectif est de tirer parti du contexte existant pour favoriser l’adoption du changement.
Pour aller plus loin, il est possible de voir les forces de ces 4 dimensions comme les étapes souhaitées d’une acceptation du changement : en commençant par susciter l’intérêt des membres de l’organisation en faisant appel à leur curiosité et en valorisant l’intérêt commun (ouverture et équipe), puis en formalisant les nouvelles méthodologies pour assurer leur suivi, transmission et leur efficacité (rationalisante et stabilité).
Comment favoriser une dimension culturelle ?
Pour aller plus loin, sur la base des études s’appuyant sur le modèle présenté ci-dessus, on peut définir des actions pour agir sur la balance culturelle sur la base de comportements [25]. En d’autres termes, en mettant en place ou en remplaçant certaines actions, il est possible d’agir sur les équilibres flexibilité/stabilité et interne/externe. Cependant, il est important de relativiser l’efficacité de ces actions en les rapportant à l’inertie des valeurs présentes dans l’organisation.
En prenant un cas prototypique, transformer une organisation avec une très forte orientation interne vers une rès forte orientation externe suppose des changements systémiques qui ne peuvent s’appuyer seulement sur l’adoption de comportements des acteurs. Cela nécessiterait de repenser l’ensemble des structures de l’organisation. Se baser sur l’adoption de comportements suppose que ces comportements soient a minima acceptables dans l’organisation.
Vouloir créer un esprit d’équipe et de cohésion en pratiquant des activités de groupe dans une organisation ayant toujours valorisé la compétition et l’individuation de ses membres n’a intrinsèquement pas de sens (Figure 5).
Figure 5. Exemple d’actions favorisant une dimension culturelle et impactant donc les normes et valeurs organisationnelles
Ainsi, la culture au niveau organisationnel comparativement au niveau individuel, défini dans le cadre d’un projet de transformation des valeurs qui vont imprégner l’ensemble des membres de l’organisation et créer un contexte favorable au changement.
Cette imprégnation, en interaction avec les valeurs propres de chaque individu, va ainsi former les attitudes de ces derniers qui vont s’exprimer comme facteur individuel.
Conclusion
La culture organisationnelle est bien plus qu’un simple élément de la vie d’une entreprise. En effet, elle joue un rôle crucial dans la réussite de l’entreprise et dans sa capacité à s’adapter aux changements. Pour intégrer l’innovation, il est essentiel de comprendre les normes et les règles de l’organisation, car cela permet d’identifier les opportunités d’expérimentation et de prise de risque. Cela permet également d’anticiper les potentiels leviers et freins qui peuvent être utilisés dans une organisation pour faciliter la conduite du changement.
Dans cet article, nous avons présenté quatre dimensions culturelles qui ont une influence sur la capacité d’une entreprise à innover. Bien que chacune de ces dimensions présente des avantages et des inconvénients, il est important de s’appuyer sur les forces culturelles existantes pour faciliter l’innovation plutôt que de chercher à changer la culture de l’entreprise.
La littérature a montré que certains éléments culturels favorisaient l’adoption à l’innovation : encourager la prise de risque, considérer les échecs comme un apprentissage… La dimension “ouverture” est d’ailleurs celle qui est retrouvée en plus grande proportion dans les startups innovantes. Néanmoins, il y a des leviers sur lesquels s’appuyer dans les organisations qui valorisent plus les autres dimensions. Surtout, il est important pour les professionnels de la conduite du changement de choisir le discours et les moyens mis en place pour accompagner l’organisation en fonction de sa culture. Ne pas prendre en compte les spécificités culturelles peut desservir les intérêts du projet. Par exemple, en mettant en avant la disruption du nouvel outil dans une organisation à dominante “stabilité”, la résistance au changement sera certainement plus forte que si elle est présentée dans la continuité des technologies existantes.
En complément, il est important de s’interroger sur la phase dans laquelle entre ou se trouve une organisation. Une organisation évolue dans le temps au fil de ses projets ou en réponse à des contraintes. Selon les objectifs de l’organisation à un temps donné, l’apport de certaines valeurs culturelles sera plus pertinent que d’autres. Cela implique d’avoir une vision holistique regroupant à la fois la culture et l’organisation mais également l’environnement dans lequel elle évolue. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises dimensions culturelles mais des dimensions qui s’alignent ou non avec les objectifs de l’organisation.
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