La formation professionnelle : une politique publique en mutation
En 2017, 26,3 milliards d’euros de dépense nationale ont été alloués à la formation professionnelle continue et à l’apprentissage. L’importance de ce montant nous amène à nous questionner sur les spécificités, impacts et mutations de cette politique.
La formation est centrale dans une carrière. Ses impacts sont d'autant plus importants quand les actifs ne disposent pas de formation initiale en adéquation avec les besoins du marché. Or, sa contribution à la réduction des inégalités reste discutable
La mise en œuvre du CPF constitue un changement de paradigme important pour la formation professionnelle, entraînant une désintermédiation et réattribuant une place centrale à l’individu, qui devient le « maître » de son « capital formation »
Un état des lieux de la formation professionnelle nous mène à nous interroger sur l’impact de cette dernière sur l’atteinte des objectifs qu’elle se fixe. Une question qui soulève inévitablement le sujet de l’évaluation de l’efficacité de la formation professionnelle.
La notion de formation professionnelle fait son entrée dans le paysage législatif français en 1971 avec sa reconnaissance par le droit du travail. La loi Delors instaure le principe d’une obligation de dépense de formation à la charge des entreprises et à destination des salariés. Depuis cette date et jusqu’à aujourd’hui, de nombreux textes ont jalonné le parcours de la formation professionnelle. L’illustration ci-dessous en mentionne les principaux :
Avant d’aborder plus précisément son contenu et ses problématiques, il nous paraît nécessaire de revenir sur la définition de la formation professionnelle.
Le Ministère du Travail définit la formation professionnelle comme étant « un outil majeur à la disposition de tous les actifs : salariés, indépendants, chefs d’entreprise ou demandeurs d’emploi. Elle permet de se former tout au long de son parcours professionnel, pour développer ses compétences et accéder à l’emploi, se maintenir dans l’emploi ou encore changer d’emploi ». Le Code du travail distingue : « une formation initiale, comprenant notamment l’apprentissage, et des formations ultérieures, qui constituent la formation professionnelle continue, destinées aux adultes et aux jeunes déjà engagés dans la vie active ou qui s’y engagent. »
Le dernier texte majeur est la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018. Elle est appliquée depuis cette même année pour certains décrets. Les changements notables contenus dans ce texte sont multiples et nous choisissons d’en citer trois d’entre eux :
- La généralisation de la notion de « parcours professionnel » qui redéfinit le concept d’ « action de formation » en incluant notamment les actions d’accompagnement et d’évaluation ;
- La création de l’organisme France Compétences, qui a pour rôle de collecter les cotisations puis de les reventiler ;
- La monétisation du Compte Personnel de Formation avec une acquisition des droits qui se fait en euros depuis le 1er janvier 2019.
Ces évolutions, et notamment la monétisation du CPF ne sont pas anodines. Elles contribuent à un véritable changement de paradigme dans le champ de la formation professionnelle. Nous aborderons cette mutation dans la seconde partie de cet article.
Les acteurs de la formation professionnelle en France
Il est difficile de bien comprendre les mécanismes et enjeux de la formation professionnelle en France sans aborder ni citer les différents acteurs qui entrent en jeu. L’illustration ci-dessous permet de cartographier l’ensemble de ces acteurs et de présenter certaines de leurs missions :
Par ailleurs, la répartition de la dépense en matière de formation professionnelle constitue également un des indicateurs révélateurs de la place que chacun de ces acteurs occupe au sein de l’écosystème. La structure de la dépense totale en matière de formation professionnelle se décompose comme suit :
Focus sur l’évolution du rôle des Régions dans la formation professionnelle
Le champ de la formation professionnelle a été particulièrement impacté par les étapes successives de décentralisation et de délégation de compétence de l’Etat vers les Régions.
Dès 1983 (loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entres les communes, les départements et les régions de l’Etat), les Régions se voient attribuées des premières compétences dans le champ de la formation professionnelle et notamment « la mise en œuvre des actions d’apprentissage et de formation professionnelle continue ». Dans les faits, ce n’est qu’à partir de 1993 que les conseils régionaux acquièrent réellement la compétence de la gestion des actions de formation professionnelle continue des jeunes avec un accompagnement financier pour réussir cette décentralisation. La loi du 5 septembre 2018 contribue à élargir le rôle des Régions en matière d’orientation avec pour mission de concevoir et diffuser des informations et communiquer sur les métiers auprès des élèves et étudiants. Très concrètement, pour leur permettre d’endosser ce nouveau rôle, il a notamment été prévu une compensation financière et la mise à disposition par l’Etat de personnels relevant de l’Education Nationale. Reste à savoir si les moyens mis à disposition leur permettront d’endosser pleinement ce nouveau rôle…
Depuis 2012, les régions sont le 2ème financeur de la formation professionnelle (derrière les entreprises mais légèrement devant l’Etat) avec une participation à hauteur d’environ 16% du financement total. Depuis 2015, la part des Régions dans ces dépenses de formation tend à diminuer. Il sera intéressant d’observer, dans les années à venir, l’impact de la loi de 2018 sur cette part des dépenses totales mais également sur le pourcentage du PIB consacré par les Régions à la formation professionnelle. En effet, les Régions ayant perdu la compétence du financement de l’apprentissage (1,6 milliards d’euros), il est possible que cette décroissance se confirme dans le temps.
L’accompagnement des Régions en matière de formation professionnelle se concentre en grande partie autour des jeunes (gestion de la taxe d’apprentissage jusqu’en 2018) et des demandeurs d’emploi non qualifiés.
Suite à l’adoption de la loi de 2018, l’Etat et les Régions ont signé en 2019 un « pacte » constituant le cadre du rôle de chacune des parties dans la formation professionnelle. Si la loi de 2018 a également fait perdre aux régions le pouvoir d’autoriser l’ouverture des CFA, elles ont néanmoins poursuivi leur contribution financière dans le fonctionnement de ces derniers. Par ailleurs, elles ont recentré leur accompagnement sur les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail au travers des pactes régionaux d’investissement dans les compétences (Pric). Ces pactes régionaux s’inscrivent dans le déploiement plus large du Plan d’Investissement dans les Compétences (Pic) doté d’un budget de 15 milliards d’euros. Les Régions n’ont néanmoins pas eu l’aval de l’Etat pour développer leurs compétences en matière de financement de formations à destination des salariés.
Un changement de paradigme avec la monétisation de la formation professionnelle
Comme indiqué précédemment, la réforme du Compte Personnel de Formation (CPF) constitue un bouleversement majeur dans le paysage de la formation professionnelle. Si avec le DIF (Droit Individuel à la Formation créé en 2014), l’objectif affiché était déjà d’individualiser la formation et de rendre les actifs bénéficiaires acteurs de leur choix de formation, le CPF fait entrer la formation professionnelle dans une autre dimension. Il est mis en avant par certains spécialistes le caractère « non anodin » du choix du terme « compte » (Caillaud, 2016) illustrant et attestant de la logique marchande qui se joue désormais.
Derrière cette « capitalisation » du droit à la formation, il faut y lire un pouvoir supérieur accordé aux individus qui peuvent solliciter ce capital pour répondre à leurs besoins ou souhaits de formation. Cela leur confère également une responsabilité accrue. C’est ce qui est également appelé l’ « asset-effect » (« effet capital ») (Sherraden, 2001) par le biais duquel le salarié joue son rôle d’agent économique et utilise le capital qui lui est offert pour construire son parcours professionnel. Par ailleurs, il est important de souligner la désintermédiation qui se joue en parallèle. Depuis 2018, le paiement d’une formation professionnelle ne nécessite plus nécessairement de solliciter un intermédiaire, qu’il soit un OPCO pour les salariés ou Pôle emploi pour les demandeurs d’emploi.
Dès lors que la responsabilité du choix et de l’achat de la formation se trouve reportée en totalité sur l’individu, l’objet (à savoir la formation) voit également son positionnement modifié. Il est désormais possible d’acheter une formation comme tout autre produit sans qu’aucune autorité « supérieure » ne vienne s’immiscer dans le choix de l’individu pour diverses raisons (adéquation avec le parcours de l’individu, adéquation potentielle entre l’offre et la demande d’emplois, etc.).
Cette profonde mutation qui touche aujourd’hui le champ de la formation professionnelle nous amène à nous questionner. Quels sont les objectifs réels de la formation professionnelle ? A quelles problématiques se trouve-t-elle aujourd’hui confrontée ? Comment les principaux acteurs concernés parviennent-ils à trouver leur place dans ce nouveau système « monétisé » et « désintermédié » ? Dans quelle mesure leur rôle se trouve-t-il modifié ?
Objectifs et enjeux de la formation professionnelle
Les objectifs, enjeux et problématiques de la politique publique de la formation professionnelle
Avant toute chose, il nous semble important de se poser la question des objectifs de la formation professionnelle. Le premier objectif admis est de délivrer des compétences en adéquation avec les besoins actuels ou à venir qui se manifestent sur le marché du travail.
Le code du travail décrit également les visées de la formation professionnelle au travers de l’article L6111-1 sur « la formation professionnelle tout au long de la vie ».
Afin de répondre aux objectifs qu’elle se fixe, la politique de la formation professionnelle est confrontée à plusieurs enjeux.
Le rapport « Formations et emplois » publié par l’INSEE en 2018 met en évidence un certain nombre de constats objectivés qui permettent de relever les problématiques et enjeux actuels de la formation professionnelle.
Un premier point à souligner concerne les nombreuses inégalités qui s’illustrent au travers du recours à la formation professionnelle. Ces inégalités s’observent à différents niveaux. En effet, cela concerne :
- Le statut des travailleurs : les cadres sont plus nombreux que les ouvriers à se former (66% contre 35% en 2018) ;
- L’âge et le niveau de diplôme des travailleurs : ce sont les actifs les plus jeunes et les plus diplômés qui ont davantage recours à la formation professionnelle ;
- La taille et le statut de l’entreprise : il est observé que les salariés appartenant à un établissement de grande taille ainsi que les salariés du public participent davantage à des formations.
Les formations non formelles à but professionnel, c’est à dire des formations courtes non diplômantes, sont majoritaires. Et elles sont plus longues lorsqu’elles sont suivies par des chômeurs plutôt que par des actifs en poste. Cela signifie-t-il que la formation professionnelle est en capacité de résoudre l’inégalité initiale construite sur la nature de la formation initiale ? Il apparaît que cela n’est pas le cas. Il est en effet constaté que les formations formelles (ie. celles qui mènent à un diplôme reconnu) sont rares une fois que les études initiales sont terminées.
Par ailleurs, ces formations à but professionnel concernent pour la très grande majorité (94%) des personnes en situation d’emploi, lorsqu’elles sont effectuées. La problématique de la contribution (ou non) de la formation professionnelle à la réduction des inégalités se trouve donc pleinement posée.
L’économiste Amartya Sen, qui a produit de nombreux travaux autour de la notion d’inégalités et de leur dépassement, a également introduit le concept de « facteur de conversion ». Les facteurs de conversion permettraient la transformation effective de certains moyens en « capabilités » (qui correspond au pouvoir d’agir de l’individu chez A. Sen).
Il apparaît que cette notion peut être appliquée à la formation professionnelle dans la mesure où elle permet aux salariés de développer leurs compétences. La mise en application de ces dernières dépend de certains éléments comme les conditions socioprofessionnelles et organisationnelles. Ainsi dans le contexte actuel de désintermédiation et d’individualisation de la gestion de la formation professionnelle, ces différents constats nous amènent plus largement à nous questionner sur le rôle de certains des acteurs majeurs de la formation professionnelles et les « paradoxes » auxquels ils se trouvent confrontés.
Les acteurs de la formation professionnelle, au cœur de nombreux paradoxes ?
Une politique menée par l’Etat encore fortement volontariste et qui reste à évaluer
Le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC) s’inscrit dans la recherche de l’atteinte du premier objectif donné à la formation professionnelle. En effet, à travers le PIC, l’Etat investit 15 milliards d’euros avec pour objectifs de « former un million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et un million de jeunes éloignés du marché du travail », « répondre aux besoins des métiers en tension » et « contribuer à la transformation des compétences ». Derrière ces enjeux, nous lisons cette volonté de l’Etat de rapprocher les actifs du marché du travail.
Il est également à noter qu’il est prévu une évaluation en continu du plan, par un comité scientifique indépendant. Ce comité a publié son premier rapport d’évaluation en octobre 2020. Dans ce rapport, il est souligné le rôle « volontariste » de l’Etat dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan et ce, de manière quelque peu contradictoire avec la logique de désintermédiation s’exprimant avec la mise en œuvre du CPF. Le rapport présente les objectifs autour duquel le Comité d’évaluation s’est construit à savoir les bénéfices de la formation pour les usagers ainsi que l’atteinte d’un triple objectif concernant la capacité du PIC à renforcer la logique de parcours, à déporter les efforts de formation sur les secteurs et compétences les plus nécessaires à l’économie et enfin à faire progresser la qualité des formations. La mise en œuvre du PIC s’est trouvée récemment confrontée à des bouleversements (crise sanitaire et généralisation de la formation à distance), qui rendent aujourd’hui plus difficile son évaluation. Ainsi, nous le constatons, l’Etat ne s’est pas retiré du champ de la formation professionnelle et son action reste déterminante au sein de l’écosystème.
Les salariés : davantage d’autonomie pour davantage d’efficacité ?
La mise en place en janvier 2015 du CPF avait un triple objectif : réduire les inégalités d’accès à la formation au bénéfice des salariés les moins qualifiés, favoriser l’autonomie des individus dans le choix de leurs formations et faire monter en qualification les personnes concernées. Dans les faits, il est souligné en 2020 par l’OCDE, que l’utilisation du CPF s’est avérée relativement limitée et que son déploiement n’a pas contribué à enrayer les inégalités produites par le système antérieur d’accès à la formation professionnelle. L’autonomisation des personnes dans le recours à la formation s’est pourtant accompagnée de la mise en œuvre du CEP (Conseil en évolution professionnelle). Néanmoins, ce dernier a connu un démarrage difficile notamment concernant la prise en charge des prestations (souvent gérées dans les faits par Pôle emploi) et l’égalité d’accès du fait de son maillage territorial peu dense les premières années. La loi de 2018 a permis de réaffirmer ce rôle essentiel du conseil en évolution professionnelle « au service de la sécurisation des parcours des actifs et de leur capacité à choisir leur avenir professionnel ». Cela illustre assez clairement la réalité du besoin d’accompagnement des salariés malgré cette individualisation du financement.
D’autre part, malgré le caractère d’autonomie procuré par le CPF aux salariés, les attentes de la part de l’entreprise n’en sont pas pour autant amoindries avec la loi du 5 septembre 2018. D’une part les entreprises doivent informer les salariés de la possibilité de recourir au CEP et d’autre part, l’entreprise reste tenue d’assurer « l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller à ce titre au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».
Des entreprises avec un rôle important à jouer dans la réduction des inégalités
Nous avons évoqué précédemment le sujet des inégalités qui se trouve au cœur de la formation professionnelle et l’importance des facteurs de conversion pour les dépasser.
Dans leur article « La formation professionnelle à distance à la lumière des organisations capacitantes », Anca Bodoc et Jean-Luc Metzger dépassent cette problématique liée aux facteurs de conversion en évoquant les « environnements capacitants » qui se devraient de fournir aux individus la possibilité d’évoluer professionnellement. Cette notion replace l’entreprise au centre du déploiement de l’action de la formation professionnelle. En effet, il est ainsi démontré une nécessaire intervention d’un acteur extérieur, ici l’entreprise, (tout comme l’Etat peut l’être dans le cadre du déploiement du PIC pour les demandeurs d’emploi), afin de donner sens à la formation professionnelle. Dès lors, si la formation professionnelle ne contribue pas à réduire les inégalités (mais participe plutôt à faire perdurer des situations acquises comme le démontre le rapport de l’INSEE), la question de son efficacité se pose.
Ainsi, la monétisation du CPF et la désintermédiation qu’elle induit, accroîtraient ce risque de renforcement des inégalités. Dans ce contexte d’effacement apparent des acteurs d’intermédiation, la question se pose alors de l’objectif réel de la formation professionnelle mais surtout de son évaluation afin d’anticiper les potentielles retombées de ce bouleversement important. Sa monétisation la faisant entrer encore davantage dans une logique marchande, est-ce à dire, en sous-jacent, qu’elle se doit d’être encore plus performante ? Si oui, comment mesurer sa performance ? Est-ce un passage obligé pour lui donner toute sa légitimité ?
L’évaluation de la formation professionnelle, un système à repenser à l’aune des mutations actuelles ?
A l’instar d’autres politiques publiques, la formation professionnelle se trouve confrontée à une nécessité de démontrer son efficacité au regard de la mission qu’elle s’est fixée.
Considérant le premier objectif cité, à savoir l’adéquation entre les compétences et le marché de l’emploi, il apparaît à première vue (et de manière un peu simpliste) que la formation professionnelle ne remplit pas pleinement son rôle. En effet, on constate à date que plus de 260 000 emplois étaient vacants au 2ème semestre 2021 et qu’il y a parallèlement plus de 5,5 millions de demandeurs d’emploi au 3ème trimestre 2021.
La formation professionnelle est-elle en échec car elle ne permet pas aux actifs de disposer des compétences nécessaires à leur insertion sur le marché du travail ?
Cette conclusion rapide omettrait plusieurs facteurs importants à considérer.
Le premier relève de l’individu lui-même. Il est à souligner que l’aspiration des actifs est un déterminant du choix de la formation professionnelle et que l’on ne peut pas « forcer » un individu à se former dans un domaine en vue d’exercer une activité qui ne lui conviendrait pas (pour de multiples raisons que nous ne développerons pas ici). Dans son article « L’efficacité d’une politique de formation professionnelle se mesure-t-elle à la réussite de l’insertion professionnelle ? », Catherine Beduwé met par ailleurs en évidence le fait qu’il est extrêmement difficile d’« isoler » la formation suivie de l’individu qui en a bénéficié, lequel présente des caractéristiques individuelles (sociales, personnelles, etc.) qui influent sur les impacts qu’aura cette dite formation sur son parcours professionnel. Elle nomme cela l’« effet individu ». Par ailleurs, elle évoque également l’« effet marché » et « l’effet concurrentiel » qui déterminent la « valeur concurrentielle » d’un individu sur le marché du travail. Ces effets corroborent ce que nous avons identifié précédemment à savoir que pour garantir une certaine efficacité de la formation professionnelle, un besoin d’accompagnement des individus est nécessaire. « Le lien entre le projet individuel et la stratégie de l’entreprise » doit être recherché. En effet, constatant certaines failles dans la loi « Avenir professionnel » de 2018, les partenaires sociaux ont élaboré en octobre 2021 un ANI (Accord national interprofessionnel) précisant que le CPF doit « s’orienter vers des formations professionnalisantes » et prévoir que « chaque personne puisse se faire accompagner par un conseiller en évolution professionnelle ». Cet accord confirme le rôle de l’entreprise dans la co-construction du parcours professionnel avec le salarié. Il n’est donc plus tout à fait question d’abandonner totalement à leur sort les salariés dans leur choix de formation professionnelle. L’équilibre à trouver n’est finalement pas si évident lorsque l’on interroge l’efficacité de la formation professionnelle.
Le deuxième point de difficulté se situe donc dans le champ de l’évaluation de la formation professionnelle. Catherine Beduwé soulève la difficulté à choisir les « bons » indicateurs (taux de chômage à moyen terme ? salaire ? relation entre qualification et emploi ? conditions de travail ?). Mais au-delà de cette mesure « objectivable » (bien que très difficilement), n’y a-t-il pas, derrière la formation professionnelle, d’autres objectifs à identifier et qui légitiment son action ? Il est en effet nécessaire de distinguer l’« efficacité institutionnelle » et l’ « efficacité individuelle » (Abid-Zarrouk, 2013). Si les objectifs « institutionnels » sont relativement quantifiables, ceux qui ont trait à l’individu sont plus complexes à appréhender. Il apparaît aujourd’hui que l’évaluation de la formation professionnelle en France est souvent partielle, non systématisée et ne se concentre que sur certains de ces objectifs.
Ce modèle a le mérite de chercher à évaluer les apports de la formation professionnelle au niveau individuel et dans un objectif de mise en application opérationnelle. Néanmoins, il ne permet ni de croiser les aspects socio-économiques et individuels ni de réaliser une projection à moyen et long terme sur l’impact de ces formations sur le parcours et l’évolution professionnelle des bénéficiaires. Il s’agit là pourtant de chercher à mesurer précisément l’atteinte de ses objectifs pour la politique publique de la formation professionnelle.
Au regard des changements actuels induits par l’instauration du CPF, nous identifions la nécessité de reconsidérer ce champ de l’évaluation de la formation professionnelle à tous les niveaux.
D’une part, nous observons que l’évaluation de la formation professionnelle est aujourd’hui fortement liée aux modalités instaurées par les entreprises et leurs services RH. A ce sujet, il est probable que l’évaluation individuelle soit moins présente dans le cadre des formations « désintermédiées ». Dès lors, n’y a-t-il pas un risque que la formation professionnelle, de par son individualisation (et sa gestion libre directement via « l’Appli CPF »), soit encore plus difficile à piloter et se déconnecte de ses objectifs initiaux (à savoir contribuer au développement des compétences et à l’adéquation au marché du travail) ? Le risque nous apparaît en effet important que les changements actuels conduisent à de grandes difficultés de suivi de la politique publique, de son efficacité et in fine de sa valeur et légitimité.
Comment mesurer l’impact de ces changements ? N’y a-t-il pas une nécessité de repenser le système d’évaluation de la formation professionnelle à l’aune des bouleversements qu’elle connaît mais également de ceux qui caractérisent la société dans son ensemble (évolution des métiers et besoins en compétence, digitalisation, etc.) ? Le CPF s’est déjà saisit d’une partie du sujet puisque, depuis 2021, il est possible pour les bénéficiaires d’« évaluer » les formations qu’ils ont suivies via l’application CPF (selon le même principe que TripAdvisor ou d’autres applications de ce type). Les notes ainsi données sont visibles par tous. Les objectifs sont de faciliter la comparaison et le choix pour les futurs apprenants, de limiter les arnaques et de favoriser l’amélioration en continu des organismes de formation.
Si cela constitue une première étape de l’évaluation des formations, cette dernière reste centrée, là encore, sur la satisfaction du bénéficiaire. Il reste à observer dans la durée l’impact de la mise en place du CPF sur l’atteinte des objectifs de la formation professionnelle.