La théorie unifiée de l’acceptation et de l’utilisation de la technologie

Nicolas Spatola, Chercheur chez Artimon Perspectives

Nicolas SPATOLA

Chercheur

Afin de maximiser l'efficacité et l'efficience des projets technologiques, des méthodologies existent afin de prendre en compte les besoins et les préférences des utilisateurs finaux, tout en minimisant les coûts économiques et sociaux associés à leur mise en œuvre.


  • Comprendre l’intégration technologique : Comprendre comment les technologies s’intègrent dans les groupes et les organisations permet de mieux accompagner leur intégration.
  • Facteurs clés de l’UTAUT : la théorie identifie quatre facteurs influençant l’utilisation technologique, tels que les attentes de performance, la motivation hédonique, l’influence sociale et les conditions facilitantes.
  • Applications et limites : l’UTAUT s’applique à divers domaines, mais son usage inapproprié peut avoir des conséquences négatives, nécessitant une compréhension et une utilisation rigoureuse.

La compréhension de l’intégration d’une technologie au sein d’un collectif d’individus est un sujet central de la littérature en psychologie et en sciences des organisations. Comprendre ces mécanismes revient à comprendre le fonctionnement d’un moteur avant de vouloir changer ou ajouter des pièces. Il est important de préciser que par technologie, nous entendons l’ensemble des outils, des techniques et des savoir-faire, sans nous restreindre à une vision « numérique », même si nous l’utilisons en exemple.

De nombreuses approches et théories ont été proposées pour décrire les facteurs influençant positivement ou négativement l’intégration, en se concentrant sur deux variables : l’intention d’utilisation et l’utilisation effective. Dans cet article, nous nous intéressons à un modèle particulier qui a bénéficié d’une récente méta-analyse et qui offre une vision globale de l’intégration des technologies : la Théorie Unifiée de l’Acceptation et de l’Utilisation de la Technologie ou Unified Theory of Acceptance and Use of Technology.


Le développement du modèle

La Unified Theory of Acceptance and Use of Technology (UTAUT), dans sa deuxième version, est un modèle théorique proposé par Venkatesh et al. (Venkatesh et al., 2012) comme une avancée par rapport aux théories existantes utilisées pour examiner les recherches liées à l’adoption et à la diffusion de la technologie (Venkatesh & Bala, 2008). L’UTAUT intègre des concepts issus de huit théories et modèles, dont la théorie de l’action raisonnée (Ajzen & Fishbein, 1970), le modèle d’acceptation des technologies (Davis, 1989), le modèle de motivation (Davis et al., 1992), la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991), un modèle combiné théorie du comportement planifié/acceptation des technologies (Taylor & Todd, 1995), le modèle d’utilisation des PC (Thompson et al., 1991), la théorie de la diffusion des innovations (Rogers, 1995) et les fondements des approches de cognition sociale (Bandura, 1986). Pour les plus curieux d’entre les lecteurs, le tableau suivant résume les apports théoriques de chaque modèle.

Tableau 1. Modèles mobilisés dans la formulation de la Unified Theory of Acceptance and Use of Technology

La pertinence et la structure du modèle

L’UTAUT a beaucoup été étudié et les résultats actuels concordent sur une bonne fiabilité de l’outil pour comprendre les mécanismes d’intégration, mais également pour prédire les intentions comportementales (Blut et al., 2022; Dwivedi et al., 2011). On peut définir les intentions comportementales comme la première marche d’un escalier et qui précède la mise en œuvre d’une action ou d’un comportement.

L’ UTAUT mesure l’effet de quatre facteurs clés indépendants sur les intentions des utilisateurs d’utiliser un système d’information et sur le comportement d’utilisation qui en découle. Ces quatre éléments sont les attentes de performance (PE), les attentes d’effort (EE), l’influence sociale (SI) et les conditions facilitantes (FC).

  • Les attentes en matière de performance correspondent à la perception d’une personne ou d’une organisation quant à l’amélioration de ses performances lors de l’utilisation d’une technologie particulière.
  • Les attentes en matière d’effort correspondent à la facilité d’utilisation perçue et de la simplicité associée à l’utilisation de la technologie.
  • L’influence sociale met l’accent sur l’impact des facteurs sociaux tels que les normes, les opinions et le soutien des autres sur l’acceptation et l’utilisation de la technologie par l’individu ou l’organisation.
  • Les conditions facilitantes correspondent à la perception d’un individu quant à la disposition de ressources et d’un soutien adéquat pour utiliser la technologie de manière efficace.

Les facteurs de l’UTAUT mettent en évidence les relations entre technologie, cognition et comportements sociaux. Par exemple, si une personne perçoit une technologie comme utile et facile à utiliser, elle est plus susceptible de l’accepter et de l’utiliser. De même, si l’individu bénéficie d’une influence sociale positive et du soutien d’autres personnes, son intention d’utiliser la technologie se verra renforcée.

Dans une version étendue (UTAUT 2), le modèle vient ajouter trois facteurs supplémentaires que sont la motivation hédonique, la valeur et l’habitude.

  • La motivation hédonique fait référence au plaisir que les individus retirent de l’utilisation d’une technologie ou d’un outil. Elle souligne l’importance de la satisfaction personnelle et du plaisir associés à l’utilisation d’une nouvelle technologie.
  • La valeur prix est un autre facteur important dans le modèle UTAUT. Elle représente l’utilité et la valeur perçues de la technologie par rapport à son coût. Les individus évaluent si les avantages qu’ils retireront de l’utilisation de la technologie l’emportent sur ses coûts monétaires et non monétaires.
  • L’habitude est également prise en compte dans cette nouvelle version. L’habitude fait référence au comportement automatique et répétitif que les individus développent au fil du temps lorsqu’ils utilisent une technologie particulière. Elle repose sur l’idée que les individus ont tendance à s’en tenir à des routines familières et qu’ils sont résistants au changement générant ainsi un frein à l’intégration d’outils qui conduisent à une rupture trop rapide et/ou trop profonde de ces habitudes.

Unified Theory of Acceptance and Use of Technology
Figure 1. Unified Theory of Acceptance and Use of Technology

Pour aller plus loin, une révision de 2022 du modèle ajoute les facteurs de compatibilité, d’éducation, d’appétence pour l’innovation et de coûts. Ces facteurs sont les développements actuels des études en cours et sont donc encore à valider. Enfin, ce modèle intègre des variables modératrices, à savoir des variables qui interagissent avec les facteurs présentés et modifient positivement ou négativement leurs effets. On peut citer des caractéristiques individuelles telles que l’âge, le genre, la qualité de client/employé des individus, etc. La culture du pays est également un facteur important, par exemple le niveau d’individualisme d’un pays qui tend à favoriser l’intégration d’outils de travail à distance. L’individualisme peut être défini comme une préférence pour un cadre social peu soudé dans lequel les individus sont censés ne s’occuper que d’eux-mêmes et de leur famille proche (Hofstede et al., 1990). Cette culture d’individualisme s’oppose à des conceptions plus sociales des organisations comme des lieux de partage. Par exemple, sur la base des données culturelles d’Hofstede (i.e. Country Comparison Tool), on peut établir que des outils visant à créer du collectif seront plus facilement intégrés en France qu’aux États-Unis. À l’inverse, des outils pensés pour un individu ou des approches silotées seront plus facilement intégrés aux États-Unis.

Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et doivent être compris comme des vecteurs plutôt qu’une description complète de la réalité. Il est également important de considérer que ces facteurs dépendent du contexte dans lequel ils sont étudiés et n’expliquent pas de manière égale les intentions comportementales ou l’utilisation effective (Blut et al., 2022). Cela est d’autant plus vrai que les technologies ne sont pas équivalentes les unes aux autres. Par exemple, si les facteurs restent similaires, la motivation hédonique ou les attentes de performances seront intrinsèquement différentes dans le cas de l’intégration d’un logiciel de transaction dans les processus existants ou l’introduction d’un outil de formation gamifié.

L’utilisation du modèle

Le modèle a été utilisé pour examiner l’acceptation et l’intégration des technologies dans un certain nombre de secteurs tels que les soins de santé (Chang et al., 2007), l’administration en ligne (Gupta et al., 2008), l’internet mobile (Wu et al., 2007), les systèmes ERP dans des écoles (Chauhan & Jaiswal, 2016) ou dans des entreprises (Keong et al., 2012), les applications mobiles (Mütterlein et al., 2019), l’utilisation de bases de données par des étudiants (Yueh et al., 2015), ou l’utilisation de système d’e-learning (Abbad, 2021).

L’utilisation de l’outil de mesure quantitative se présente principalement sous la forme de questionnaire, bien que cette méthode présente des limites inhérentes. Cette approche peut être utilisée pour suivre l’évolution de l’intégration d’un outil et identifier les points de blocage ou son utilité effective. L’avantage de cette méthode est de pouvoir considérer un ensemble de points de vue et d’en tirer des statistiques concernant l’objet d’intérêt. Bien que les détails de ces analyses ne soient pas abordés dans cet article, l’idée générale est de modéliser l’ensemble des facteurs afin de comprendre les processus en jeu dans une situation donnée.

Cependant, ces approches par questionnaire ne sont pas adaptées à toutes les situations, et différentes adaptations peuvent être effectuées pour faciliter l’utilisation du modèle à condition de garantir sa validité méthodologique et scientifique. Un travail de contextualisation peut être produit, mais il nécessite une approche rigoureuse pour maintenir la pertinence de l’outil.

Bien que le modèle soit souvent cité dans les projets d’intégration ou de transformation, il est paradoxalement peu utilisé (Dwivedi et al., 2019). En d’autres termes, il sert aujourd’hui plus comme « caution » que comme outil. Comme tout outil, une utilisation inappropriée, mal avisée ou détournée a de fortes chances de résulter en des externalités non prévues et potentiellement négatives.

En conclusion, il est toujours pertinent de considérer la cognition sociale humaine dans les projets d’intégration technologique (ou les projets organisationnels plus généralement) et de quantifier, autant que possible, le réel de manière objective et statistique. L’objectif n’est pas de remplacer la réflexion humaine, mais plutôt de l’accompagner en offrant une perspective plus holistique qui sert de base commune pour envisager, suivre et évaluer un projet. Cette approche permet également de réduire les approches purement verticales qui ont prouvé leur inefficacité tant sur le plan économique que social au sein des organisations, ainsi que de favoriser la remontée d’informations et donc la connexion avec les utilisateurs finaux de ces projets (Abraham, 1997; Chen & Li, 2005; Gardner et al., 2009; Komarraju et al., 2008).

En fin de compte, l’objectif est de maximiser l’efficacité et l’efficience des projets technologiques en prenant en compte les besoins et les préférences des utilisateurs finaux, tout en minimisant les coûts économiques et sociaux associés à leur mise en œuvre.

Comme toujours, si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter, nous sommes ravis d’échanger et développer des sujets scientifiques et de recherches.


Références

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