La vision gouvernementale des Pays-Bas sur l’IA générative
- Dès le mois de janvier 2024, le gouvernement néerlandais a fait un pas dans le domaine de l’Intelligence Artificielle (IA) en présentant sa vision de l’IA générative : elle reconnaît le besoin urgent d’aborder aussi bien les opportunités que les défis posés par cette technologie à la fois « perturbatrice et prometteuse ».
- Le gouvernement néerlandais a exprimé son ambition de développer un écosystème d’IA robuste, tant au niveau national qu’européen, propice à l’innovation à travers une utilisation responsable et non-discriminante de l’IA générative.
Avec sa stratégie concernant l’Intelligence Artificielle générative, le gouvernement des Pays-Bas est devenu le premier État membre de l’Union Européenne à définir une vision nationale sur ce sujet. Dans cette stratégie, le gouvernement souligne l’importance cruciale d’agir rapidement pour exploiter les avantages et faire face aux défis posés par cette technologie. Cette initiative intervient à un moment clé, juste après la conclusion d’un accord par les députés européens avec le Conseil sur le projet de l’ « IA act » – dont le but est de garantir la sécurité de l’IA, le respect des droits fondamentaux, de la démocratie, et le développement des entreprises. L’IA Act a d’ailleurs été approuvé par le Parlement européen en mars dernier (Euractiv, 2024).
L’orientation des Pays-Bas sur ces questions s’insère également dans un contexte d’investissements conséquents de plusieurs millions d’euros déjà effectués par des instituts de recherche, des entreprises privées et le gouvernement lui-même, visant à positionner les Pays-Bas comme avant-gardiste au niveau des avancées rapides dans le domaine de l’IA.
Potentiels de l’IA générative
L’Intelligence Artificielle représente un système technologique destiné à exercer une influence majeure sur tous les secteurs et domaines de notre société, impactant l’ensemble des politiques publiques. La forme spécifique que prend l’IA générative permet, entre autres, d’assister les individus dans la création de textes, de code informatique, d’images et de sons… Avec le déploiement du chatbot ChatGPT fin 2022 et le lancement d’autres outils d’IA générative tels que Google Bard, Midjourney et DALL-E, l’intégration de l’IA dans le quotidien des individus est désormais une réalité.
Entre opportunités et possibilités…
Selon la vision définie par le gouvernement néerlandais, l’impact de l’IA générative pourra être observé sur l’économie, la société, ainsi que sur les niveaux de gouvernement national et local. Il est mis en exergue une possible amélioration de la productivité, ainsi que l’émergence de nouvelles fonctions et responsabilités au sein des entreprises et de l’économie globale, l’optimisation des processus organisationnels internes et l’amélioration de la qualité des services offerts.
… et risques et défis
Le document souligne également les préoccupations liées aux risques de l’IA générative. Cette technologie pourrait avoir un impact négatif sur la manière dont nous sommes informés, ce qui pourrait à son tour influencer notre démocratie et l’État de droit. De plus, l’essor de l’IA générative pourrait intensifier les dynamiques actuelles sur les marchés numériques, élevant le risque de monopolisation et d’abus de position dominante. À court comme à long terme, l’IA générative pourrait entraîner la disparition d’opportunités d’emploi. Par ailleurs, il existe des inquiétudes quant à l’incorporation de biais et de discrimination dans ces systèmes en raison des données d’apprentissage et des paramètres des modèles utilisés pour créer ces systèmes.
La vision des Pays-Bas sur l’IA générative
Les autorités néerlandaises ont confié à leur Conseil Economique et Social la mission d’analyser les répercussions de l’IA sur la productivité du travail, ainsi que sur la quantité et la qualité du travail avec pour objectif la volonté d’adopter des systèmes d’IA génératifs responsables au sein de certains services publics. Le gouvernement néerlandais a ainsi exprimé son ambition de développer un écosystème d’IA robuste, tant au niveau national qu’européen, propice à l’innovation à travers une utilisation responsable et non-discriminante de l’IA générative. A ce propos, les Pays-Bas ont récemment dû faire face à un scandale majeur après l’utilisation d’un algorithme défectueux conduisant à des accusations erronées de fraude aux allocations familiales contre des milliers de personnes.
L’objectif est de créer les conditions favorables au développement et à l’adoption d’applications d’IA générative, tout en préservant une autonomie numérique stratégique et ouverte, notamment via la « Dutch AI Coalition ». Dans cette perspective, le gouvernement a établi quatre principes politiques. Aux Pays-Bas, l’IA générative doit :
- Être développée et appliquée en toute sécurité : Il s’agit de contribuer activement à réduire les risques d’utilisations abusives, d’accidents et de problèmes de sécurité systémique associés aux modèles d’intelligence artificielle générative.
- Être développée et appliquée de manière juste et équitable : c’est-à-dire en prenant en compte les risques d’inégalité des chances, de discrimination, de transparence et d’explicabilité, et de contribuer à promouvoir l’égalité et ainsi qu’en comblant les disparités socio-économiques.
- Être au service du bien-être et de l’autonomie des personnes : les applications de l’IA doivent contribuer à la santé physique et mentale (telles que l’établissement de diagnostics précis et efficaces, l’amélioration des soins et d’autres services de bien-être public, et l’aide à la recherche médicale) ainsi que favoriser l’épanouissement humain sans que cela ne détériore l’autonomie personnelle (tant dans la sphère privée que sur le lieu de travail).
- Contribuer à la durabilité et à la prospérité : L’IA générative doit être utilisée pour promouvoir une croissance économique durable, réduire les pénuries de main-d’œuvre et déboucher sur de nouveaux produits et solutions innovants, y compris des solutions à des problèmes sociétaux tels que le changement climatique.
Traduire cette vision en actions
Les principes et visions évoqués nécessitent maintenant d’être transformés en actions concrètes dont l’approche repose sur six piliers principaux :
1. La collaboration
L’IA générative soulève des enjeux cruciaux qui appellent à une coopération approfondie et à un échange ouvert à plusieurs échelons de la société. Engager les citoyens, les praticiens, les travailleurs, les dirigeants d’entreprise, les innovateurs, les sociétés et les experts semble fondamental pour façonner l’avenir de l’IA générative. En ce sens, les points d’action concrets sont :
- Renforcer et approfondir les collaborations internationales existantes.
- Rejoindre le consortium de l’infrastructure numérique européenne de l’Alliance pour les technologies langagières (ALT-EDIC).
- Désigner une organisation chargée de stimuler et de coordonner les initiatives relatives au dialogue sociétal sur l’IA générative.
- Promouvoir la participation au développement de modèles d’IA générative par et au sein du gouvernement.
- Explorer et expérimenter la mise en œuvre d’applications d’IA générative responsables dans les processus administratifs et les services gouvernementaux.
- Etudier l’utilisation de l’IA générative pour améliorer la gestion de l’information gouvernementale.
2. Suivre activement les développements
Face à l’essor prévu de l’IA générative, le gouvernement met en place des formations dédiées aux fonctionnaires et assure un suivi rigoureux des avancées dans ce domaine. Une importance particulière est attribuée aux répercussions de l’IA générative sur l’emploi, avec le Conseil socio-économique responsable d’évaluer ses effets sur la productivité, ainsi que sur la quantité et la qualité des postes de travail. Par ailleurs, les conséquences de l’IA générative sur l’environnement et le climat sont également examinées, reconnaissant le potentiel de cette technologie à contribuer à la lutte contre le changement climatique. Pour ce faire, le gouvernement veut :
- Créer un nouvel organe consultatif (Rapid Response Team AI) chargé de conseiller le ministère des affaires numériques et le secrétaire d’État sur les développements importants.
- Créer un registre de transparence pour les initiatives au sein du gouvernement impliquant l’IA générative.
- Effectuer des recherches sur la manière dont l’IA générative peut contribuer à la participation des citoyens et à la communication avec eux.
3. Élaborer et appliquer la législation et la réglementation
Le gouvernement commencera à mettre en œuvre l’IA Act de l’UE dans le secteur public en 2024 et se concentrera sur l’orientation et l’éducation des parties prenantes. Pour ce faire, le gouvernement veut : nommer des superviseurs, consulter et examiner au niveau parlementaire l’IA Act, mettre en place une supervision européenne, sensibiliser les décideurs publics et industriels, encourager l’orientation et l’établissement de normes, y compris par le biais des régulateurs, élaborer des normes européennes, et adopter des actes d’exécution européens.
4. Accroître les connaissances et les compétences
Le gouvernement s’engage à renforcer les compétences et connaissances dans le secteur public pour maximiser les bénéfices de l’IA générative. Cela comprend l’élaboration de directives pour son déploiement efficace dans les entités gouvernementales et le renforcement des critères de passation de marchés. La création d’un centre d’expertise en IA générative au sein de l’administration publique pourrait orchestrer ces initiatives, tandis que des investissements dans les compétences en IA et l’infrastructure technologique assurent le maintien des standards et valeurs européens. Par ailleurs, l’accent est mis sur l’importance de l’éducation aux médias et au développement de l’esprit critique dans les programmes scolaires, appuyé par des études sur les effets de l’IA générative menées par le National Education Lab AI (NOLAI). Concrètement, le gouvernement élabore actuellement un programme de formation pour les fonctionnaires, avec une attention spécifique portée aux enjeux éthiques.
5. Innover avec l’IA générative
Le gouvernement souhaite créer un cadre propice à l’expérimentation, au développement et à l’amélioration de modèles et outils d’IA génératives qui soient fiables et transparents. Ainsi, en complément du développement de GPT-NL, un modèle linguistique ouvert, des initiatives sont prises pour formuler des directives éthiques assurant une utilisation prudente de l’IA générative :
- Etablir un centre national d’essais en IA
- Renforcer l’équipe nationale de validation de l’IA pour faciliter l’évaluation comparative et fournir des outils publics pour une utilisation responsable de l’IA générative dans le pays
- Créer des laboratoires d’innovation AINed (laboratoires publics et privés axés sur le développement d’innovations en matière d’IA)
6. Une supervision et une application à la fois fortes et claires
Le gouvernement met ensuite l’accent sur la nécessité d’un contrôle rigoureux et explicite des initiatives mises en place. Une démarche proactive, une collaboration efficace entre les autorités de régulation et les différents acteurs concernés, ainsi qu’un examen régulier des politiques et législations sont cruciaux pour anticiper et contrôler les impacts négatifs de l’IA générative dans un environnement technologique qui évolue rapidement.
Conclusion
L’engagement des Pays-Bas dans le domaine de l’IA générative, marqué par la présentation de leur stratégie, positionne donc le pays comme un pionnier au sein de l’Union Européenne. Cette démarche, alignée sur les récentes régulations européennes telles que l’IA Act, reflète la volonté des Pays-Bas à envisager les évolutions de l’IA en prenant en compte les risques liés à l’usage des IA génératives, tout en exploitant ses potentialités (notamment au niveau social et économique). Les investissements significatifs dans l’IA par le pays, tant au niveau gouvernemental que privé, reflètent leur ambition de devenir un « leader » dans ce domaine. En façonnant un avenir où l’IA générative est développée et utilisée de manière responsable, les Pays-Bas visent à protéger leurs intérêts, tout en participant au développement européen et mondial, établissant ainsi un modèle pour d’autres pays à suivre dans cette voie prometteuse mais complexe.
Références
https://data-en-maatschappij.ai/en/policy-monitor/nederland-overheidsbrede-visie-generatieve-ai
Euractiv. (2024). AI Act : Le Parlement européen approuve une loi pionnière – Euractiv FR. https://www.euractiv.fr/section/intelligence-artificielle/news/ai-act-le-parlement-europeen-approuve-une-loi-pionniere/