Le futur du travail dans le métavers : que nous apprend Jamespot Land ?
Le métavers peut être un outil utile pour repenser les interactions dans les organisations
Son intégration implique de comprendre les sous-jacents sociocognitifs des comportements humains et notamment nos comportements collectifs
Il reste beaucoup à étudier pour comprendre les impacts intra et inter-individuels du recours au métavers, mais aussi sur la culture des organisations
Le futur du travail se trouve-t-il dans le métavers ?
Une question pertinente à se poser au vu des récentes initiatives lancées à travers le monde pour développer des environnements numériques immersifs servant de plateformes d’échanges, de travail et de réunions sur écran, en réalité virtuelle ou en réalité augmentée.
Si le concept a fait le buzz en fin d’année 2021 avec les annonces de Meta, le soufflé médiatique étant retombé, il reste maintenant le plus dur : le questionnement sur la pertinence et l’émergence de ces métavers. C’est là qu’une entreprise française, Jamespot, vient apposer son empreinte avec son Jamespot Land.
Regardons-cela d’un peu plus près.
Du réseau social au métavers
L’entreprise Meta a décidé de développer son métavers parce qu’elle a considéré que l’évolution logique du réseau social serait le réseau social immersif. Un métavers repose en effet sur des fondements d’interaction sociale entre des agents sur une plateforme, reproduisant des codes sociaux préexistants dans les plateformes digitales déjà utilisées et introduisant des éléments issus de nos comportements sociaux physiques. Le résultat est une interconnexion plus forte entre le moi-numérique et le moi-physique adjointe d’une transversalité entre les types de comportements des sphères professionnelles et personnelles. Cet axiome peut sembler basique mais il est intéressant pour la compréhension du cas Jamespot Land et du métavers plus généralement.
Jamespot propose une série d’outils de réseau social d’entreprise : plateforme collaborative, suite bureautique et communication interne. L’ambition de Jamespot est de produire une solution intégrée permettant à une entreprise d’exister numériquement dans son activité et dans son collectif.
En juin 2022, l’entreprise a lancé la première version de Jamespot Land. Dans Jamespot Land, on arpente un environnement virtuel en 2D découpé en régions, sous la forme d’un avatar. A noter que l’application web est gratuite et permet à tout un chacun d’organiser des rencontres. Pour la tester c’est par là, (N.D.R.L. mais attendez la fin de votre lecture pour vous y rendre).
« On parle beaucoup de transversalité mais au final on se retrouve toujours avec plein, voir plus, de plateformes différentes et l’objectif de JLand est de faire un pas de plus vers la transversalité et la simplicité d’interaction dans une organisation »
Alain Garnier, CEO Jamespot
L’environnement numérique se découpe actuellement en 6 régions dont 3 étaient accessibles au moment de la rédaction de cet article. Dans les accessibles, le « village » peut être considéré comme le hub central. Il s’agit d’une connexion audio et visio en peer to peer qui s’effectue automatiquement en fonction de la proximité entre les avatars. En prenant le ballon « AirSpot », on peut se rendre à la mer, un environnement libre visant à créer un espace numérique de rencontre hors des espaces de travail. Ensuite, les « bureaux virtuels » permettent l’accès à des espaces de partage en visioconférence libres d’accès ou à différents bureaux. En quelques pas, le retour sur l’environnement de travail principal de la plateforme Jamespot est possible. D’autres régions sont prévues comme un espace de co-working, un café et un amphithéâtre pour proposer, assister ou animer des conférences. Ce développement d’un métavers d’entreprise semble ainsi en cohérence avec l’axiome établit plus tôt.
Quel est l’intérêt de devoir déplacer un avatar dans un environnement virtuel ?
Nous baignons aujourd’hui dans des environnements digitaux. Les échanges sociaux physiques que nous avons ne sont qu’une partie de nos interactions. Mettez de côté votre téléphone et votre ordinateur, il vous suffit de constater très rapidement une réduction drastique de votre champs social ou de votre capacité de travail. Une grande partie de vos interactions se passent déjà en ligne.
A partir de ce constat, il est important de discerner ce qui tient des processus sociaux (ex. le besoin d’affiliation) et des outils d’interaction (ex. ce qui permet de satisfaire ce besoin). Le métavers peut être classé − comme votre téléphone − dans la seconde catégorie. Il est un outil permettant des interactions. Cependant, à l’instar des jeux vidéo, dans le cas du métavers, on peut noter la présence centrale de l’avatar.
Dans le cadre du numérique, un avatar désigne toute représentation d’un agent humain ou non sous un format numérique fidèle ou non. Lorsqu’il est contrôlé par un utilisateur dans un environnement virtuel, un avatar n’est pas une simple représentation. Il permet la corrélation visuomotrice entre les actions et les effets de ces actions dans l’environnement [1]. Ainsi, la forme de l’avatar a un effet sur la réponse de l’utilisateur à l’environnement [2] avec une primauté de la fidélité visuomotrice (ex. précision du contrôle) sur la fidélité visuelle (ex. reproduction exacte de l’utilisateur) [3,4]. Au niveau des utilisateurs, l’avatar promeut :
- le sentiment de présence : sentiment que l’environnement virtuel est l’environnement dans lequel l’utilisateur est conscient
- le sentiment d’incarnation : sensation d’être en contrôle et de posséder le corps qui expérimente l’environnement virtuel
L’avatar n’est pas qu’un objet individuel mais c’est aussi un objet social. La présence d’un autre avatar lors d’une interaction a pour objectif de susciter une expérience d’être avec une autre personne (coprésence). La coprésence est la mesure du sentiment de l’existence d’autres êtres, à la fois vivants et artificiels, dans un monde virtuel et réagissant aux interactions [5]. La sensation de la présence d’autrui dans un environnement virtuel augmente notre sentiment d’être présent dans ce même environnement [6]. En favorisant le sentiment de présence et de co-présence, on peut ainsi améliorer les interactions et notamment la collaboration entre les utilisateurs et l’efficience des actions conjointes [7]. La personnalisation de l’avatar, puisque c’est un objet social, devient aussi importante pour l’utilisateur que pour le rapport entre utilisateurs. Dans Jamespot Land par exemple, si des avatars préconçus sont disponibles, vous pouvez personnaliser votre avatar et avoir un petit compagnon.
Dans les organisations, considérant le développement du travail hybride, ou complètement à distance, parfois dans des pays différents, produire des environnements permettant de faire l’expérience d’un environnement partagé et de percevoir les autres même à distance semble dès lors pertinent. Cela peut avoir un impact sur la culture, le sentiment d’appartenance et un ensemble de variables sociales qui se trouvent, et c’est là un élément important, en amont des concepts de performances [8]. Il sera intéressant à l’avenir de documenter scientifiquement les potentiels effets de ces nouveaux environnements sur la psychologie des personnes et des organisations.
L’environnement offre une nouvelle vision de ce qu’il se passe dans l’organisation et ce même si les gens travaillent à distance, ce qui est une difficulté majeure du télétravail. Avec des avatars, dans un environnement partagé, il y a un aspect facilitant pour les interactions et donc le travail en groupe. Il n’est plus nécessaire de lancer un chat ou de programmer un appel, on retrouve un contexte d’environnement partagé où chacun défini sa disponibilité par rapport aux autres.
A un niveau macroscopique, voir les gens se déplacer, rejoindre des groupes, spatialiser les interactions offre une représentation organique à l’instant T. Cela permet de voir la vie de l’organisation en direct et d’en faire partie.
Alain Garnier, CEO Jamespot
Les nécessaires évolutions
A l’heure de l’écriture de cet article, les possibilités offertes par Jamespot Land restent limitées et posent la question de la persistance de son utilisation par les organisations. S’il peut être amusant de s’y balader, et d’interagir librement, l’environnement doit développer de nouveaux espaces (ce qui est prévu). Il doit aussi proposer des activités pour faire émerger de nouveaux comportements sociaux digitaux comme cela peut être le cas dans les jeux vidéo en ligne [9].
Pour mieux comprendre, prenons l’exemple de la pause-café qui nécessite un déplacement physique et une rencontre physique pour produire des actions physiques. Il n’existe aucun lien de causalité entre le déplacement vers un salon « café » dans un environnement numérique et la potentialité d’avoir un café dans votre main dans l’environnement physique. Dés lors l’acte même de déplacer son avatar devient inutile. L’utilisateur peut très bien se lever de sa chaise, aller à sa cafetière, prendre son café et revenir s’asseoir sans que son avatar n’ait bougé d’un pixel. Cet argument, bien que physiquement pertinent, ne l’est pas socialement.
En effet, il ne faut pas confondre les outils et les processus sociaux. La pause-café est un outil (ou contexte) d’interaction. Comme tout outil, d’autres peuvent le remplacer ou de nouvelles formes d’interactions alternatives peuvent émerger par la disponibilité de l’outil. Cela a été par exemple le cas avec l’explosion d’internet ou des téléphones. Dans les rituels sociaux d’entreprise la conséquence prime sur la cause [10]. Paradoxalement, les discussions sur la qualité de vie au travail, le sentiment d’appartenance des collaborateurs ou la production d’activités de groupes ont été plus importantes et nombreuses dans un contexte de digitalisation croissante et de recours massif au télétravail, notamment suite à la pandémie. Certains pourraient justifier cet élan de compensatoire, d’autres pourraient y voir une évolution des attentes des collaborateurs vers des considérations sociales et de sens plus fortes et une adaptation organique des entreprises [11]. La réponse est probablement entre les deux. La question est maintenant de savoir quels outils permettront la satisfaction de ces attentes.
On peut voir différents types d’utilisateurs, certaines personnes ne vont se déplacer que s’il y a une raison pratique de le faire dans l’environnement. D’autres vont se mettre plus ou moins en vue selon qu’ils veulent ou non être dérangés (N.D.R.L. l’utilisation de la plateforme n’est pas obligatoire chez Jamespot). Certains vont plutôt se déplacer d’un endroit à un autre, faire des petits tours. C’est un outil qu’on utilise en plus et chacun peut s’en emparer comme il le souhaite. Dans notre utilisation de cet espace, chez Jamespot, nous avons déjà vu apparaître de nouveaux comportements collectifs pour se signaler aux autres ou pour organiser des interactions de groupes.
Alain Garnier, CEO Jamespot
Dans ce cadre, Jamespot Land offre un terrain expérimental pour observer l’émergence de comportements sociaux numériques dans un métavers d’entreprise. Le dispositif permet aussi de proposer du contenu dont il sera possible d’étudier les effets avec précision. Cette proposition de contenu (que ce soit par les designers ou les utilisateurs) permettant l’émergence de comportements sociaux avec un minimum de complexité, est un prérequis à la pérennité de tout environnement numérique. C’est ce qui permet aux utilisateurs de s’approprier une plateforme et non pas seulement l’utiliser. L’évolution nécessaire des outils va simplement faire émerger de nouveaux paradigmes que les sociétés choisiront ou non d’adopter de manière organique.
Dans le cadre de JLand, l’objectif est de permettre aux organisations de choisir leurs terrains et bureaux dans un catalogue ou de les créer sur plan. Nous souhaitons proposer une forme de « corporate generated content ». Le niveau de personnalisation directement contrôlable par l’utilisateur dans l’environnement reste limité mais des postes d’affichage sont disponibles pour faire le lien entre la plateforme Jamespot de l’organisation et JLand. Cela permet par exemple d’afficher les news de l’organisation. On peut aller plus loin en organisant des événements dans un amphithéâtre sur mesure ou des outils d’animation d’atelier permettant le partage d’information, des systèmes de votes en baladant son personnage dans des cases oui/non, etc.
Alain Garnier, CEO Jamespot
A la question « le futur du travail se trouve-t-il dans le métavers ? » , la réponse est probablement que la question est mal posée. Il revient de s’interroger sur la pertinence d’un outil et sur les dimensions à évaluer. Des réponses contradictoires pourraient être données selon le contexte (ex. une entreprise de 2 personnes ou un groupe de 1000), les objectifs −non-exclusifs− priorisés (ex. le bien-être au travail, la compétition, la collaboration), la gestion du télétravail de l’entreprise (ex. présentiel, hybride, full-remote), etc. Il est aussi bon de rappeler que l’ambition d’un métavers d’entreprise ne peut être considéré de manière manichéenne comme l’opposition entre des interactions numériques et physiques, que ce soit dans les craintes des utilisateurs ou dans les ambitions des designers. Une nouvelle fois, il ne faut pas confondre l’outil et le processus social.
Pour ce qui est de Jamespot Land, il a le mérite de proposer un nouvel outil et de pousser à s’interroger sur notre relation aux environnements numériques. Il permet aussi de constater la réalité de ce que peut être un métavers aujourd’hui. Loin des mondes de Ready player one, les métavers doivent être compris comme des outils qui visent à intégrer des fonctionnalités existantes dans des environnements immersifs communs.
Un constat est à rappeler : les environnements de travail s’orientent vers plus de numérique plutôt que l’inverse et de nouveaux comportements sociaux émergent. L’environnement humain a toujours évolué et il continuera de le faire, que ce soit par des pressions endogènes ou exogènes aux sociétés. L’environnement de travail ne fait pas exception. L’évolution des sociétés est intrinsèquement reliée à l’évolution des technologies et des outils. En d’autres termes, il n’existe pas de distinction entre l’évolution des sociétés telle qu’on l’a observée jusqu’à aujourd’hui et l’évolution technologique. Il serait étonnant d’imaginer que les habitus des organisations s’en exemptent. Comme pour tout outil, l’important est aujourd’hui de comprendre et d’analyser scientifiquement leurs effets positifs ou négatifs et leur pertinence ou non pour nos sociétés. Entre un produit gadget et un produit utile, il ne se tient souvent qu’une ambition humaine.
Références
[1] – Sanchez-Vives, M. v., Spanlang, B., Frisoli, A., Bergamasco, M. & Slater, M. Virtual Hand Illusion Induced by Visuomotor Correlations, 2010.
[2] – Pan, Y. & Steed, A. Avatar type affects performance of cognitive tasks in virtual reality. Proceedings of the ACM Symposium on Virtual Reality Software and Technology, 2019.
[3] – Jo, D. et al. The impact of avatar-owner visual similarity on body ownership in immersive virtual reality. Proceedings of the ACM Symposium on Virtual Reality Software and Technology, 2017.
[4] – Lugrin, J. L., Latt, J. & Latoschik, M. E. Avatar anthropomorphism and illusion of body ownership in VR. IEEE Virtual Reality Conference, 2015.
[5] – Nowak, K. Defining and differentiating copresence, social presence and presence as transportation. Presence 2001 Conference, 2001.
[6] – Slater, M. Place illusion and plausibility can lead to realistic behaviour in immersive virtual environments. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 2009.
[7] – Freiwald, J. P., Schenke, J., Lehmann-Willenbrock, N. & Steinicke, F. Effects of Avatar Appearance and Locomotion on Co-Presence in Virtual Reality Collaborations. MuC ’21: Mensch und Computer, 2021.
[8] – Boyce, A. S., Nieminen, L. R. G., Gillespie, M. A., Ryan, A. M. & Denison, D. R. Which comes first, organizational culture or performance? A longitudinal study of causal priority with automobile dealerships. Journal of Organizational Behavior, 2015.
[9] – Raudonat, K. & Marsden, N. Social actions in MMORPG raiding groups from the perspective of culture-Inclusive action theory. GenderIT ’18: Proceedings of the 4th Conference on Gender & IT, 2018.
[10] – Islam, G. & Zyphur, M. J. Rituals in Organizations: A Review and Expansion of Current Theory. Group & Organization Management, 2009.
[11] – Beus, J. M., Smith, J. H. & Taylor, E. C. A theory of climate: Explaining the formation and function of organizational climates. Academy of Management Proceedings, 2018.