Le Web 3.0 : un nouveau paradigme pour le Web ?

Artimon Perspectives

Le Web 3.0 est amené à changer la structure du Web vers plus de décentralisation : l’utilisateur n’est plus simplement consommateur de service mais devient aussi le fournisseur. Ce changement amène des promesses, mais aussi des inquiétudes évidentes

Une petite histoire du Web


L’histoire du World Wide Web a commencé au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), à Genève, en 1984, et trouve ses origines en un système hypertexte pour accéder et transformer de la donnée. Tim Berners-Lee, chercher britannique au CERN, avait pour objectif de faire du web un média collaboratif et a donc développé parallèlement le premier navigateur web et le premier éditeur web.


Fig.1 Netscape Navigator, le principal navigateur des années 90

Cette innovation passe par trois technologies fondatrices que sont :

  • HyperText Markup Language (HTML), le langage de formatage du web
  • Uniform Resource Locator (URL), une adresse unique pour identifier les ressources
  • HyperText Transfer Protocol (HTTP), un protocole de communication client-serveur permettant de récupérer les ressources

Durant l’explosion du Web dans les années 90, les sites sont considérés comme des diffuseurs d’information de leurs concepteurs. Cette version du Web est dédiée à la recherche d’informations et à la lecture de pages statiques mais aussi à l’envoi d’email.

Dans les années 2000, les utilisateurs prennent part à la création de contenu et apparaissent alors des nouveaux médias comme Wikipédia (2001), Myspace (2003), Facebook (2004) ou Youtube (2005). C’est l’apparition aussi des blogs et des applications de nouvelle génération comme Google Maps (2004). De cette transition est née le concept de Web 2.0.

Le Web 2.0 est le Web participatif sur lequel se sont consolidés les géants du numérique américains, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon, et dans une moindre mesure Microsoft). Plus tardivement sont apparus leurs homologues Chinois, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Le Web s’est ainsi centralisé autour de ces firmes-nœuds, bien loin de l’idée originelle de Tim Berners-Lee.


Fig.2 Classement des entreprises par capitalisation boursière au S&P 500

Le Web 3.0 pourrait représenter l’étape suivante dans l’évolution1. Là où le Web 1.0 consistait à connecter des informations, et le Web 2.0 à connecter les gens, le Web 3.0, aussi appelé Web sémantique, tend à connecter la connaissance 2. L’idée est de permettre aux ordinateurs d’interpréter les informations comme des humains et ainsi de générer, présenter, adapter intelligemment le contenu à l’utilisateur afin d’offrir une expérience plus intuitive. Dans cette version, les données sont liées et structurées sur Internet et accessibles par tous. Son fonctionnement est par essence décentralisé et s’appuie sur des technologies comme celles de la blockchain (à laquelle nous avons consacré un article récent).

On peut donc extraire certaines caractéristiques de ce Web 3.0 :

  • La présence de systèmes de raisonnement visant à interpréter la connaissance
  • La compréhension des besoins des utilisateurs
  • L’adaptation à ces besoins
  • La décentralisation des données et des services

Fig.3 Résumé de l’évolution du web – ©Artimon Perspectives

Ce Web 3.0 s’appuie sur un nouveau protocole, le Inter Planetary File System (IPFS) créé par Juan Benet en 2015. IPFS est un système distribué d’échange pair à pair qui ne dépend pas de serveurs centralisés.


Les perspectives du Web 3.0


Si l’on devait lister quelques changements probables par rapport à la structure du Web 2.0, on pourrait commencer par :

  • Le Web 3.0 ne cherche plus à traiter le texte mais s’appuie sur des processus d’inférence pour interpréter la connaissance comme information.
  • Les plateformes ne sont plus centralisées, réduisant potentiellement l’hégémonie des géants du Web.
  • Le contrôle du système est distribué dans des Organisations Autonomes Décentralisées.
  • La donnée n’est plus abandonnée à des plateformes du fait de la décentralisation et demeure sous le contrôle des utilisateurs.
  • L’apport des utilisateurs aux plateformes est reconnu (ex. exploitation des données personnelles pour entrainer des algorithmes) et des systèmes de Use to Earn ou Play to Earn sont développés pour récompenser les utilisateurs.
  • La présentation des contenus est individualisée et donc plus inclusive.
  • Sur le Web 3.0, le terme d’« utilisateur » n’a plus le même sens puisqu’il représente l’accès mais aussi la délivrance du service.
  • Le Web 3.0 en étant décentralisé est par nature plus sécurisé.
  • La décentralisation permet aussi d’assurer une permanence des services.

Il est à noter que même si certains nouveaux usages semblent très probables, d’autres, inconnus, sont amenés à émerger.


Des exemples de l’émergence du Web 3.0


Presearch est un moteur de recherche décentralisé et alimenté par la communauté qui fournit des résultats tout en protégeant la vie privée des utilisateurs, qui sont récompensés avec des jetons (cf. cryptomonnaie) lorsque ils effectuent une recherche. A l’heure de l’écriture, la capitalisation boursière du jeton presearch est de plus de 144 millions d’euros.


Fig.4 Presearch, navigateur web décentralisé

Brave est un navigateur web open source disponible sur toutes les plateformes. Il a pour objectif de protéger la vie privée de ses utilisateurs en bloquant par défaut les pisteurs et en permettant la navigation via le réseau Tor. Brave dispose d’un programme de récompense baptisé Brave Rewards. Ainsi, les utilisateurs sont récompensés par des jetons BAT ou « Basic Attention Token ». A l’heure de l’écriture, la capitalisation boursière du BAT est de plus de 1 milliard 600 millions d’euros.


Fig.5 Brave, navigateur web open source

Au niveau des réseaux sociaux, Steemit fonctionne entièrement sur la blockchain Steem. En tant qu’alternative à Reddit, c’est une plate-forme de récompense décentralisée qui aide les contributeurs à monétiser leur contenu. A l’heure de l’écriture, la capitalisation boursière du Steem est de plus de 156 millions d’euros.


Fig.6 Steemit, réseau social sur la blockchain

dWeb est un site Web peer-to-peer : les applications et les sites Web sont hébergés parmi les pairs et les utilisateurs qui les utilisent. Cela signifie que les services d’hébergement Web de toute nature ne sont plus nécessaires et que les sites Web, ainsi que les applications ne peuvent pas être saisis ou mis hors ligne. A l’heure de l’écriture, la capitalisation boursière du DWEB est de plus de 51 millions d’euros.


Fig.7 dweb, site web peer-to-peer

Pour résumer et étendre ces cas d’usages, on peut trouver différentes catégories d’application :

  • Réseaux sociaux et pair à pair (ex. Sapien, Steemit, Sola, dWeb)
  • Services d’échange (ex. IDEX, EOSFinex)
  • Messagerie (ex. e-Chat, Obsidian, ySign)
  • Stockage (ex. Storj, Sia, Filecoin)
  • Assurance et banque (ex. AiGang, Everledger, Cashaa, Safe Share)
  • Streaming (vidéo et musique) (ex. LivePeer, LBRY, UjoMusic, Maestro)
  • Plateforme de travail à distance (ex. Ethlance, Atlas.Work, CryptoTask)
  • Navigateur (ex. Brave, Breaker Browser)
  • Moteurs de recherche (ex. Presearch, Almonit)

Une évolution qui ne va pas sans défi


Dans les caractéristiques du Web 3.0, nous avons décrit la présence de systèmes de raisonnement visant à interpréter la connaissance. Un premier défi que devra surmonter le web sémantique est l’immensité du web. Tout système de raisonnement capable de lire toutes ces données et d’en comprendre les fonctionnalités devra être en mesure de traiter des grandes quantités de données, ce qui est actuellement impossible.

Ensuite, concernant la compréhension des besoins des utilisateurs, les besoins et demandes ne sont pas nécessairement précis, au contraire, ils sont pour la plupart vagues, ce qui créé une nébuleuse qui sera difficile d’analyser pour ces systèmes.

De même, l’adaptation aux besoins suppose de pouvoir gérer l’incertitude. Par exemple, un utilisateur pourrait produire des comportements pouvant être reliés à différentes interprétations quant à ses besoins. Des techniques de raisonnement probabiliste sont de potentiels solutions à ces situations.

Le Web 3.0, comme le Web 2.0 et le Web 1.0 avant lui, est amené à changer les pratiques, les comportements, supposant une pression adaptative forte sur les individus. Il faut par ailleurs considérer la fracture numérique : en France 17% des personnes souffrent d’illectronisme, et plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base 4,5.

Enfin, un autre souci majeur, plus matériel, est celui de l’obsolescence des supports actuels pour gérer le Web 3.0. Cela implique de produire du nouveau matériel dans un contexte écologique qui impose une sobriété quant à l’exploitation des ressources.


Conclusion


Les principales préoccupations du Web 3.0 sont intéressantes et contrastent fortement avec la façon dont nous voyons et appliquons le Web aujourd’hui. Si les promesses peuvent être attirantes, les risques, moins en termes techniques que sociétaux, sont fondamentaux à adresser. La question n’est plus de savoir si le Web va évoluer mais comment et quelles sont les stratégies à mettre en place pour accompagner ce changement.



Références

1.          Markoff, J. A Web guided by common sense? – Technology & Media – International Herald Tribune – The New York Times. The New York Times (2006).

2.          Bruwer, R. & Rudman, R. Web 3.0: Governance, Risks And Safeguards. The Journal of Applied Business Research 31, 1037–1057 (2015).

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