Les projets de transformation : définir, comprendre, conduire
Un projet de changement n’est pas une disruption momentanée qui doit être contrôlée et stabilisée, mais une interaction entre différentes composantes que sont les informations et le contexte du projet.
- La transformation est un processus qui conduit à une action essentielle : le changement. Elle survient en réponse à des évolutions technologiques, légales, commerciales ou sociales, entre autres. La capacité à se transformer est considérée comme une nécessité dans la plupart des organisations.
- Les transformations sociétales, numériques et technologiques redéfinissent le contexte dans lequel évoluent les organisations. Le management doit être capable de prendre en compte ces enjeux pour garantir la pérennité de l’organisation.
- L’innovation et l’adoption de nouveaux modèles d’affaires sont considérés par les organisations comme nécessaires pour rester compétitives et s’adapter à ce nouvel environnement en constante évolution.
- L’innovation est devenue une finalité stratégique, élément clé de la réussite organisationnelle. Cela concerne autant les organisations du secteur privé que celles du public : les entreprises doivent s’adapter aux changements rapides de l’environnement économique et technologique pour maintenir leur compétitivité ; les organisations publiques doivent également se transformer pour répondre aux besoins en constante évolution de la société.
Qualifier un projet
Comment est défini un projet de transformation?
Un projet de transformation peut être défini selon deux dimensions. La première comprend les processus d’initiation et le rythme du projet, tandis que la seconde dimension concerne son objectif. En utilisant ces critères, il est possible de définir des méthodes de conduite de projet ayant des niveaux d’efficacité différents.
Initiation et rythme
Tout d’abord, un projet peut être en effet plus ou moins négocié ou imposé (i.e. processus d’initiation) et s’inscrire dans une démarche continue ou ponctuelle (i.e. rythme) [1]. Sur la base de ces deux axes on peut proposer une représentation matricielle des types de changement :
- Le changement organique : un processus naturel qui intervient dans la continuité de l’organisation. Il ne nécessite pas de structure particulière mais conduit l’organisation à évoluer à la fois dans ses pratiques et sur le plan culturel.
- Le changement adaptatif : défini par une réponse à un besoin identifié dans un temps limité. Les modalités sont déterminées de manière collective au sein de l’organisation. Ce type de changement implique généralement une modification des pratiques dans une concertation horizontale.
- Le changement organisé : représente une évolution continue en réponse à une contrainte, comme la mise en adéquation de l’organisation par rapport à la réglementation et à ses évolutions naturelles. Ce type de changement se comprend dans des temps plus longs pour les organisations.
- Le changement de crise : est également défini par une échéance mais les modalités de ce changement, ce vers quoi il doit tendre, sont prédéfinies et échappent, la plupart du temps, au contrôle de l’organisation. Il s’agit d’un type de changement qui intervient en situation de crise comme son nom l’indique.
Figure 1. Matrice du changement [1]
Lorsqu’il s’agit d’objectifs, les recherches scientifiques ont révélé que la plupart des projets de transformation sont motivés par des phénomènes externes tels que des changements de réglementation ou une concurrence accrue, même lorsque le projet est considéré comme volontaire. Selon une étude menée par Mergel et ses collègues, 83% des projets de transformation numérique ont été initiés en raison de facteurs externes à l’organisation (e.g. volonté politique descendante). En deuxième position vient l’anticipation de problèmes futurs, mais cette cause est loin d’être aussi fréquente [2], [3].
En se référant à la matrice du changement (Figure 1), les projets de transformation sont donc plutôt imposés, notamment par des événements externes, que volontaires, et plutôt brutaux que continus. Cela implique évidemment des modalités de conduite de projets radicalement différentes.
Comprendre les facteurs mis en jeu
Comme évoqué précédemment, les changements au sein d’une organisation peuvent être causés par divers facteurs (notamment externes) qui génèrent des besoins d’adaptation. Ainsi, tout projet de transformation se doit de répondre à ces besoins (voir Figure 2).
Processus de changement : comprendre le cadre
Dans ce contexte, le rôle de la hiérarchie est primordial dans l’identification des priorités. Cette étape nécessite une classification des besoins et des réponses possibles. A l’opposé de l’idée d’aller au plus vite, la littérature scientifique recommande d’étudier un maximum d’alternatives avant de prendre une décision, ce qui est positivement corrélé à la réussite du projet [2]. Ce point est souvent mésestimé pour des contraintes de coûts immédiats, résultant en des coûts de rattrapage d’autant plus élevés. De plus, il est préférable que l’évaluation des alternatives prenne en compte les retours de l’ensemble des membres de l’organisation, et éviter l’approche verticale. En effet, la connaissance fine des process est essentielle et doit être prise en compte au plus prés.
Cette évaluation doit porter sur :
- L’identification de besoins connexes non mentionnés mais potentiellement nécessaires, afin d’étendre ou de compléter le projet ;
- Les coûts et bénéfices du projet, afin de déterminer si la réponse au besoin présente plus d’avantages que d’inconvénients ;
- Les moyens d’optimiser les avantages du projet ;
- La gestion de la continuité du projet, afin de s’assurer que la transformation et ses effets positifs seront durables.
Une fois la décision sur l’objectif établie, le processus doit être planifié et donc traduit en termes opérationnels afin que les membres de l’organisation puissent comprendre comment ils vont être affectés et comment adresser ce changement. Cela doit passer par des indices facilement manipulables et identifiables. Par exemple, si une organisation souhaite faire évoluer à la baisse son bilan carbone, elle doit établir des objectifs et un programme d’actions permettant à chacun de savoir ce qu’il doit faire, mais aussi d’identifier si ce qu’il fait correspond aux attentes de la stratégie [2].
Cela implique donc d’avoir une représentation structurée des processus a priori et des changements conduits sur ces derniers. En effet, il faut considérer les processus comme la mécanique au cœur du fonctionnement de l’organisation définissant les rôles, les compétences, la gestion des ressources, etc. qui vont définir la codification de l’organisation par des systèmes et contrôles opérationnels (c.à.d. des processus prédéfinis à respecter définissant le cadre des actions possibles). Par extension, c’est cette codification qui va définir les comportements produits.
Ainsi, en transformant les processus, l’organisation évolue en produisant de nouvelles règles qui vont influencer les comportements de ses membres et leur manière d’actionner les processus définis [2]. Plus l’impact sur les processus est important, plus la variabilité de l’effet sur les dimensions subséquentes du modèle sera importante. C’est pour cela que plus un changement est profond, plus la mise en place d’une méthode de changement itérative est pertinente [6].
Figure 2. Modèle d’interaction des processus de préparation et d’implémentation de projets de transformation
Ne pas oublier les personnes
Une organisation est composée d’un ensemble d’individus. Même si l’on peut considérer une vision globale de l’organisation comme le produit des habitus et des représentations culturelles de ses membres, il n’en reste que chaque individu représente une vision de l’organisation qui peut être congruente ou non avec celle des autres membres. La prise en compte des perceptions et des opinions des individus au sein de l’organisation est essentielle pour évaluer la préparation au changement. Les divergences de points de vue peuvent impacter la mise en place d’un projet de transformation et il est important de les identifier pour pouvoir anticiper les résistances et adapter les stratégies de communication et d’accompagnement.
Ainsi, une évaluation complète doit prendre en compte la vision globale de l’organisation, mais également les perspectives individuelles pour obtenir une évaluation juste et pertinente de la préparation au changement. On nomme ces jugements évaluatifs envers une cible : des attitudes. On peut distinguer trois dimensions définissant les attitudes applicables aux projets de changement [4], [5] : une dimension cognitive qui représente l’aspect rationalisant de l’analyse, une dimension affective qui représente la composante émotionnelle et une dimension intentionnelle qui représente l’engagement dans le projet.
- La dimension cognitive va dépendre de la perception des éléments suivants :
- la nécessité du changement « Le projet émerge-t-il d’un besoin réel ? »,
- sa pertinence « Le projet répond-il à des besoins réels ? »,
- la capacité à conduire ce projet « Est-ce que mon organisation et moi-même sommes capables de conduire ce projet ? »,
- la présence d’un support de ressources et d’informations « Le projet dispose-t-il de suffisamment de ressources au regard de ses ambitions ? Le projet s’appuie-t-il sur une information permettant d’en comprendre le contexte, les déterminants et les objectifs ? »,
- la balance coût-bénéfice « Les bénéfices attendus du projet sont-ils supérieurs aux coûts du processus de changement ? ».
- La dimension affective qui intègre la composante émotionnelle. Cette composante émotionnelle dans le cadre d’un projet de transformation correspond à un affect positif sur le futur de l’organisation. Cette dimension émotionnelle va directement impacter la motivation de l’ensemble de l’organisation à s’engager dans un projet et/ou conduire un projet de transformation. On pourrait résumer cette dimension par la question « Le futur de mon organisation me paraît-il positif ? ».
- La dimension intentionnelle qui représente la propension à s’engager activement (vs. passivement) dans le projet et représente une dimension fondamentale de s’intégrer dans le processus. On pourrait retranscrire ce point par la question « Ai-je envie de m’impliquer dans ce projet ? ».
Il est à noter tout d’abord que la mesure de ces composantes attitudinales permet une évaluation au niveau individuel (i.e. collaborateur par collaborateur) mais que la perspective générale (ex. moyenne, médiane) offre une vue au niveau organisationnel (i.e. perspective groupale), ce qui rend d’autant plus intéressant la mesure de ces composantes en amont des projets.
Ensuite, ces attitudes sont dynamiques. Cela implique que la mesure doit être répétée pour comprendre l’évolution de l’organisation et de l’ensemble des collaborateurs quant à l’évolution du projet de transformation là où la culture organisationnelle est significativement moins fluide. L’avantage de ces mesures répétées est d’accéder à des tendances et donc de réduire l’incertitude quant au résultat du projet. En effet, si la mesure montre une amélioration des attitudes (i.e. les attitudes deviennent plus positives) cela traduit une bonne conduite de projet. A l’inverse, une détérioration (i.e. les attitudes deviennent plus négatives) sur une ou plusieurs dimensions attitudinales permet d’envisager les points critiques à traiter et la perception des éléments suivants. Il est bon de rappeler qu’il est toujours plus facile d’agir sur le niveau individuel dans une organisation que sur l’ensemble de la structure (ex. niveau de la culture organisationnelle) qui, intrinsèquement, s’appuie sur des habitus plus inertiels.
En somme, considérer les personnes revient à se poser la question de la transmission de l’information dans l’organisation et comment celle-ci est appréciée.
Donner du sens et créer l’adhésion : le rôle de la communication dans les projets de transformation
Un mantra pour décrire la communication dans les projets de transformation pourrait être : donner du sens et communiquer.
On peut ensuite détailler le processus plus finement (Figure 3).
Figure 3. Cadre pour comprendre le but du changement [7]
Donner du sens
Le changement s’appuie sur des conditions et des caractéristiques évaluées par les parties prenantes et qui vont conditionner son acceptation. Tout d’abord, le but du changement s’évalue en termes de pertinence. La pertinence est l’adéquation entre l’objectif du changement et le contexte de proposition de ce dernier. En d’autres termes, un projet de changement doit s’expliquer par des facteurs externes à une volonté de changement. Il doit être relatif à une transformation des process pour adresser un besoin, une opportunité de développement, ou répondre à une nécessité d’adaptation [8], [9]. C’est au travers de cette pertinence que le projet va se justifier. Plus les raisons justifiant du projet et de la décision des initiateurs paraissent appropriées, plus le projet s’en trouve renforcé [10]. La justification s’appuie aussi sur la dimension de temporalité. Comprendre et rendre intelligible pourquoi il est pertinent et justifié de conduire le projet à un moment donné est fondamental. Cela peut répondre à une urgence, ou être un objectif de long-terme dont les conditions actuelles permettent par exemple l’initiation [8]. Ensuite, tout projet doit se représenter dans une direction claire, permettant de savoir où l’on va, de comprendre comment rejoindre la destination prévue [9]. Sans ces deux éléments, il devient difficile de se représenter la logique des efforts à fournir ni l’intensité ou la durée de ces derniers. Réduire l’incertitude est fondamental. C’est en cela qu’expliciter les buts vient satisfaire à ce besoin cognitif primaire [11], [12].
Communiquer
Cependant, même si l’ensemble des critères de sens est satisfait, il n’en reste pas moins que la communication sur le projet de changement joue un rôle important. La communication permet de s’assurer que l’information est bien transmise à toutes les parties prenantes dans le but de favoriser l’acceptation du projet. Dans les facteurs de communication mis en évidence par la littérature scientifique comme promoteurs de cette acceptation, le soutien hiérarchique ressort comme incontournable [13]. C’est la condition pour assurer la mobilisation de l’ensemble des acteurs du projet. Le soutien hiérarchique est une condition pour la priorisation du projet et donc la satisfaction des besoins décisionnels et de ressources [14], [15]. Ensuite établir des sponsorships dont la tâche est de communiquer et assurer des canaux de communication entre les parties engagées dans le projet va permettre de soutenir l’acceptation du but. En effet, même si un projet peut sembler pertinent initialement, cette perception peut évoluer, positivement ou non, dans le temps. Le rôle des sponsorships va donc être de conforter une perception positive du projet mais aussi de faire remonter les besoins d’ajustements à la hiérarchie. En d’autres mots, les sponsorships assurent la dynamique et l’adaptation du projet en agissant comme des hubs d’information [8]. Cette dynamique dépend finalement du maintien de la cohérence entre le but du projet et l’alignement stratégique de l’organisation. Définir et communiquer sur une direction et un point d’arrivée clair permettent aux parties prenantes de se projeter sur un état attendu et d’assurer que ce qui était pertinent au départ, reste pertinent tout au long du projet de changement [16].
En termes de communication on peut identifier une typologie se définissant par rapport à des objectifs organisationnels et d’impact sur les membres de l’organisation différents. La temporalité dans le processus de changement détermine ainsi le type de conversation. Cela implique par exemple que de la communication visant à la compréhension est pertinente en amont du changement et non dans un état du projet déjà avancé.
Type de conversation | Objectif organisationnel |
Initiative : a pour but d’initier une action, initier des changements, susciter des idées et suggérer le besoin de changement | Définir des changements organisationnels à venir et comment les soutenir |
Compréhension : a pour but de partager des représentations, des concepts et des idées | Discuter des objectifs et de la clarté des objectifs de changement pour définir une représentation partagée d’un projet au niveau organisationnel |
Performative : a pour but de clarifier ce qui sera différent et susciter l’action | Définir les différences entre état actuel et l’état attendu en termes de process, de comportements, de changements d’habitus |
Conclusive : a pour but d’assurer la fin d’un projet, d’envisager la suite et la continuité des changements conduits | Débriefing du projet, évaluation et discussion sur les réussites et échecs mais aussi sur les suites à donner ou les adaptations à conduire |
Conclusion
En conclusion on peut décrire le processus de transformation en quatre phases [20] :
- Phase de sensibilisation : période au cours de laquelle les personnes en charge du projet produisent une communication sur ses objectifs. Il s’agit de se mettre d’accord sur le problème à traiter par le changement, de rendre officiel un projet et de s’assurer de la prise en compte de celui-ci par les intéressés.
- Phase de propositions : les principaux intéressés et leurs représentants hiérarchiques sont consultés sur la méthode et/ou le contenu du changement. Le degré de consultation et d’implication des managers opérationnels au cours de cette phase dépend du type de changement. Il s’agit d’émettre, sous forme de propositions plus ou moins ouvertes et formalisées, les changements opérationnels et leur faisabilité au regard des contraintes de terrain, et de l’acceptation par ceux qui auront à les mettre en œuvre.
- Phase d’opérationnalisation : période durant laquelle les changements sont déployés et expérimentés dans l’organisation. Cela peut concerner des changements d’équipes, l’utilisation de nouvelles règles de fonctionnement, la mise en place d’un plan d’action stratégique, la définition de nouvelles valeurs pour l’entreprise. Il s’agit d’appliquer concrètement les changements pensés sur les pratiques, les productions et les ressources.
- Phase de stabilisation : cette phase consiste à s’assurer du déploiement durable du projet et de la réalisation des objectifs assignés. La phase d’opérationnalisation va nécessiter de nombreuses expérimentations avant d’être stabilisée. La phase de stabilisation va donc permettre un contrôle de réalisation et une évaluation des transformations. Une fois stabilisée, la nouvelle organisation ne fait plus figure de projet mais de fonctionnement récurrent et l’on peut alors parler d’ancrage.
Il est important de considérer que les organisations conduisent des projets de transformation en s’alignant et se réalignant continuellement sur leur environnement changeant, et qu’intrinsèquement ces projets sont dynamiques et le niveau d’incertitude est élevé [18], [19]. En effet, selon l’approche constructiviste, un projet de changement n’est pas une disruption momentanée qui doit être contrôlée et stabilisée, mais une interaction entre différentes composantes que sont les informations et le contexte du projet. Ainsi, il est bien plus facile de s’adapter et de faire preuve de résilience lorsque les facteurs systémiques dont nous avons parlé sont évalués le plus précisément possible. Une allégorie pourrait être l’exploration des tréfonds de la jungle amazonienne en ayant connaissance ou non de ce que vous avez dans votre sac à dos. Dans le premier cas vos capacités d’adaptation seront bien supérieures à la seconde (et vos chances de survie également).
Dès lors un projet de changement doit s’inscrire dans une méthodologie claire que l’on pourrait décrire comme suit : « Établir une vision et des objectifs clairs pour l’effort de changement, sur la base d’une analyse approfondie du problème, conduisant à un besoin accepté de changement, y compris l’engagement et le soutien de la direction, ainsi que le support des destinataires et pour une meilleure utilisation des ressources organisationnelles. » [7].
Références
[13] B. Jovanovic and P. Rousseau, “General purpose technologies.” Elsevier, pp. 1181–1224, 2005.