L’horizontalité : un outil pour le futur du travail ?

Josefina GIMENEZ - Artimon

Josefina GIMENEZ

Directeur Recherche et Innovation

Les évolutions technologiques et la vitesse grandissante dans l’intégration d’outils digitaux inscrivent nos organisations dans une dynamique de transformation et d’adaptation permanente. 

À ce rythme s’ajoute une recherche de valeur ajoutée, de sens au travail qui profile des exigences déterminantes sur le futur marché de l’emploi.

Dans ce contexte, l’expérience collaborateur est le nouveau code pour décrypter notre rapport au travail, inscrivant le travail lui-même au centre d’une économie des services.

Loin des rapports de production de la dynamique industrielle, le travail est au service du collaborateur et de sa recherche de réalisation professionnelle, ce qui pousse nos organisations à devenir employee-centric, centrées autour des collaborateurs. 

Ces évolutions dans le rythme et dans notre rapport au travail changent évidemment les formes et les cadres qui traditionnellement structurent nos organisations. Le flex-office, par exemple, plus qu’une tendance, est une transformation qui nous amène à repenser non seulement le lieu de travail, mais également notre rapport à l’espace, à nos actions et la place dudit travail dans nos vies.

L’impact de notre manière de travailler sur la santé devient un enjeu RH à part entière.

Et de manière plus fondamentale, la manière dont va se structurer le nouvel espace de travail déterminera la réalisation de nos actions : les modes de collaboration, la distribution de l’information, et jusqu’à nos dispositions personnelles et nos performances. 

La pyramide fait face à ses propres limites 

L’organisation hiérarchique est fondamentalement impactée par ces transformations, car nos structures rigides, pyramidales et cloisonnées ont des difficultés à se mettre à jour dans un environnement de changement permanent.

Une organisation structurée du pouvoir est performante pour mettre en place des process standardisés, coordonner et distribuer des grands flux d’information. Mais la gestion centralisée de la prise de décision est averse au risque, et rend difficile l’émergence de nouvelles idées, laissant peu de place pour l’innovation spontanée.

Et c’est justement dans le rejet de l’influence top-down, de la sélection prédéterminée de certaines actions ou orientations, que peut se construire un rapport au travail qui passe par la création de valeur ajoutée, et laisser apparaitre les innovations différenciantes. 

À l’image de Scarabée BiocoopBretagne Ateliers ou L’Atelier du Laser, nombreuses entreprises en France et dans le monde misent sur des modes de fonctionnement horizontaux, qui insufflent confiance aux collaborateurs et laissent la latitude pour une prise d’initiative valorisée. Dans un article récent, Erik Roelofsenet Tao Yue reviennent sur le cas d’une entreprise internationale de BTP qui explore les opportunités et les risques d’un changement radical de son paradigme managérial pour mieux répondre aux enjeux de développement et de compétitivité. L’histoire met en relief les nombreux questionnements des managers concernant les risques d’une telle décentralisation du pouvoir. 

L’horizontalité comme opportunité de performance 

Au-delà des barrières, et en deçà des effets de mode, la tendance vers l’horizontalité est réelle et peut apporter des bénéfices à toutes les organisations.

Avec l’analyse de nombreux cas à l’appui, plus de cinquante ans de recherche dans des organisations auto-émergeantes montrent qu’appliqués à l’échelle de chaque organisation et en fonction de ses priorités, certains éléments peuvent avoir des impacts très positifs sur les équipes et les résultats des institutions.

Certes, l’holacratie peut être pensée comme un système global, mais notre objectif ici n’est pas de penser la décentralisation du pouvoir dans des termes absolus (‘adopt holacraty or leave’, tel le message fataliste envoyé par Tony Hsieh, le PDG de Zappos[1], à ses collaborateurs)[2].

En revanche, nous explorons les bénéfices pour en dégager des outils qui peuvent s’intégrer dans tous les modes managériaux, apporter flexibilité à l’organisation et délégation de pouvoir aux collaborateurs. 

Car les mérites de l’auto-organisation, ou du fonctionnement en mode ‘start-up’, sont nombreux. Le pouvoir décentralisé redistribue les responsabilités, pour donner à chaque collaborateur la capacité d’avoir un véritable rôle au sein de l’organisation. La délégation permet aux équipes de gagner en confiance, autonomie et, à terme, accroitre leur engagement à l’organisation.

Ensuite, l’organisation créée autour d’objectifs et non pas de fonctions ou périmètres de responsabilité est plus réactive, flexible, capable de travailler en transversalité et, par conséquent, plus à même de s’adapter avec facilité à un environnement changeant.

Finalement, la faible influence top-down laisse la place à l’émergence de nouvelles idées et d’innovations venant du plus proche du terrain, d’équipes diverses et transverses.  

Les communautés comme outil de dynamisme et d’efficacité 

L’encouragement de réseaux informels au sein des organisations est un outil de décentralisation du pouvoir qui apporte des bénéfices considérables. C’est la solution adoptée par un grand acteur du marché immobilier français, pour faire face à 3 problèmes : 

  1. Une organisation en silos avec une très faible transversalité et coopération
  2. Un management vieillissant, peu dynamique et très ferme sur son périmètre
  3. Une faible professionnalisation de certains métiers, peu de partage de connaissance et des perspectives de carrière très limitées

À travers une distribution du pouvoir en réseaux, ces obstacles ont été soulevés. D’abord, la firme a facilité la création de communautés d’intérêt qui ont permis de promouvoir les meilleures pratiques et d’enrichir les échanges. À travers cette coopération transversale, l’organisation et les collaborateurs ont commencé à profiter des expertises et à valoriser les savoir-faire.

Deuxièmement, le management a encouragé la création de communautés par métier, permettant le partage d’expérience et la professionnalisation de certaines missions, pour dépasser les frontières inflexibles de la vieille hiérarchie.

Finalement, à travers la création de communautés d’influence, l’organisation a délégué un certain pouvoir sur ses talents, leur permettant de participer dans la prise de décision et d’apporter leur valeur ajoutée au fonctionnement de l’entreprise. Cette démarche a eu un impact très positif sur un marché hautement compétitif, permettant à l’organisation de baser le turn-over et augmenter son attractivité pour les nouveaux talents. 

D’une organisation pyramidale à une distribution du pouvoir par communautés

Hiérarchies et équipes auto-gérées : un mix pour dépasser ses limites

L’idée n’est pas nouvelle : la cohabitation d’une hiérarchie traditionnelle, qui permet le maintien des process et la continuité du business, ensemble avec une distribution horizontale du pouvoir à travers des réseaux d’intérêt et d’échange. Ces communautés transverses fonctionnant de manière non hiérarchique, apportent des expertises variées et surtout une flexibilité pour s’adapter à un environnement changeant. Elles ont la capacité d’insuffler une autre dynamique à l’ensemble de l’organisation. 

Ces communautés transverses fonctionnant de manière non hiérarchique, apportent des expertises variées et surtout une flexibilité pour s’adapter à un environnement changeant. Elles ont la capacité d’insuffler une autre dynamique à l’ensemble de l’organisation. 

De cette manière, le système ne réside pas seulement dans les promesses d’une intelligence collective, mais aussi, et surtout, sur la possibilité offerte à chaque collaborateur de donner du sens à ses missionset à ses rôles. Le sens de responsabilité entendu comme charge ou action à assumer est dilué pour créer à la place un besoin, un sens de l’implication qui vient de l’individu qui se doit de contribuer au projet collectif pour laisser apparaitre son potentiel professionnel. C’est dépasser les aspirations ‘stratégiques’ pour s’inscrire dans le faire, poussé par l’ambition collective. Ainsi, ayant dépassé les structures rigides, l’addition de pouvoir-faire individuel porte la raison d’être de l’organisation. 

Encourager les collaborateurs à s’associer en dehors de la sphère hiérarchique apporte une autre dynamique aux organisations. C’est une manière non seulement de promouvoir l’innovation, mais aussi de permettre à chacun de donner du sens à son rôle dans l’entreprise. Dans un contexte d’intelligence artificielle et d’innovations technologiques, le futur du travail passe, aussi, par une nouvelle distribution du pouvoir au sein des organisations.

Pour continuer la lecture : 


[1]Zappos est, à ce jour, l’expérimentation d’holacratie à plus grande échelle au niveau mondial. 

[2]C’est ainsi qu’a été imaginé l’holacratie par son fondateur, Brian Robertson, lors des premières expérimentations d’une gouvernance plus démocratique au sein de sa société d’informatique. Dans son texte Holacracy Constitution, il introduit les principes fondateurs et les pratiques essentielles de l’holacratie pensée comme système.

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