Que nous apprend le modèle de cycle de vie sur l’adoption des innovations technologiques ?

Artimon Perspectives

Nous pouvons analyser l’intégration des technologies dans les organisations en s’inspirant du modèle de cycle de vie de Hirsch et Levin (1999). Ce modèle, développé pour analyser la pertinence et durabilité de certains concepts dans l’étude de l’efficacité organisationnelle, peut en effet être appliqué au domaine technologique.

Ce modèle met en évidence les dynamiques évolutives auxquelles les innovations sont soumises, en partant de leur émergence jusqu’à leur adoption ou leur déclin. Les organisations, confrontées à des changements constants, naviguent ainsi à travers différentes phases allant de l’enthousiasme initial à une possible obsolescence, en passant par des étapes critiques d’évaluation et de déploiement.

Modèle de Hirsch & Levin

Lorsqu’une nouvelle technologie émerge, elle suscite souvent une surestimation de ses capacités. Ce phénomène est amplifié par le cercle restreint d’initiés qui, dans une dynamique sociocognitive, capitalisent sur l’effet boule de neige pour générer un enthousiasme généralisé. Les promesses associées à ces technologies sont alors perçues comme révolutionnaires et ouvrent la voie à des attentes parfois démesurées. Dans un contexte organisationnel, cette phase peut se traduire par une adoption rapide et souvent précipitée, motivée par le désir de « ne pas rater le train » de l’innovation. Toutefois, cet enthousiasme initial masque souvent les défis liés à la mise en œuvre concrète, notamment en termes de coûts, de compétences et d’infrastructures, ainsi que la pertinence par rapport à l’utilité réelle de la technologie.

Selon ce modèle, ce n’est qu’à mesure que la technologie se diffuse au-delà du cercle des premiers adopteurs, qu’elle entre dans une phase d’évaluation critique. Les attentes initiales se confrontent alors à la réalité de ses performances et de son utilité, tant perçue que réelle. Cette étape implique une analyse approfondie des bénéfices concrets de la technologie, de sa facilité d’utilisation et de sa capacité à s’intégrer aux processus organisationnels existants. Pour les entreprises, cette phase soulève des interrogations fondamentales : la technologie répond-elle aux besoins spécifiques ? Est-elle suffisamment adaptable et accessible pour être adoptée à grande échelle ? Ces questions déterminent souvent si une technologie progresse vers l’intégration ou si elle est reléguée au statut de gadget éphémère.

Si la technologie satisfait aux critères de pertinence, elle passe alors à une phase de déploiement. Ce stade marque l’acceptation et l’intégration progressive de la technologie dans les processus métier. Cependant, le passage à l’échelle implique un certain nombre de contraintes que les organisations doivent affronter. Par exemple, les entreprises doivent souvent adapter leurs infrastructures techniques. Plus décisif encore, elles doivent prendre en compte voire gérer des éventuelles résistances au changement, parfois associées aux technologies les plus disruptives. Le passage à l’échelle pose naturellement la question de la pérennité de la technologie. Son adoption généralisée dépend alors de facteurs tels que la formation des utilisateurs, la capacité à démontrer un retour sur investissement clair et la possibilité d’adapter la technologie aux évolutions futures.

À ce stade, la technologie peut suivre l’une des trois trajectoires identifiées par le modèle de cycle de vie. Elle peut être adoptée de manière pérenne, devenant un élément central des opérations organisationnelles. Elle peut également rester dans une zone d’ambiguïté, où son utilité est reconnue mais où des doutes persistent quant à sa pertinence à long terme. Enfin, certaines technologies connaissent un effondrement, souvent en raison de l’apparition d’alternatives plus efficaces ou de leur incapacité à s’adapter à de nouveaux contextes. Cependant, comme pour les umbrella constructs étudiés dans le modèle (les « concepts-parapluie »), l’effondrement d’une technologie ne signifie pas nécessairement la fin de ses apports fondamentaux. Sa disparition peut permettre l’émergence de nouvelles innovations, potentiellement mieux alignées sur les besoins évolutifs des organisations.

Ce modèle de cycle de vie incite à une réflexion plus nuancée sur l’intégration des technologies dans les organisations. Plutôt que de céder à l’enthousiasme initial, les entreprises peuvent adopter une approche stratégique, évaluant les technologies en fonction de leur pertinence et de leur adaptabilité dès le premier moment d’apparition.

Cela souligne également l’importance d’un leadership éclairé, capable d’anticiper les résistances, d’orchestrer le déploiement et de maintenir un équilibre entre innovation et pérennité. Alors que les transformations numériques s’accélèrent et que l’offre se démultiplie, ce cadre conceptuel offre des pistes de réflexion intéressantes pour s’interroger et réévaluer les promesses continuellement avancées (et moins prouvées) des innovations technologiques.

N.B. Nous parlions du modèle de Hirsch & Levin dans notre rapport Le secteur immobilier : entre tradition et modernité (…ou pas) que vous pouvez lire ou relire.

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