Transformation digitale du secteur public : le cas des chatbots

Artimon Perspectives

Les chatbots présentent de nombreux avantages pour le secteur public : améliorer et personnaliser la relation entre les usagers et les administrations, et faciliter le travail des agents publics et la transversalité entre administrations.

Des chatbots publics pour améliorer la relation aux usagers : adressés aux citoyens, ils facilitent l’accès à l’information, permettent d’être plus disponible et de personnaliser les réponses aux demandes des citoyens.

Les chatbots permettent de faciliter les process internes aux administrations : répondre à des demandes redondantes, faciliter la recherche d’information, réaliser des tâches administratives, ou reformuler des démarches à suivre et compléter des formulaires.

Le chatbot, (ou agent conversationnel) est une technologie issue des développements en intelligence artificielle, robotic process automation (RPA) et traitement de langage naturel (NLP). Il s’agit d’un robot-logiciel capable de répondre aux questions d’un utilisateur et de tisser une conversation. Il peut être utilisé sur un smartphone ou un ordinateur, de manière intégrée dans un réseau social ou autre outil de communication préexistant, ou être autonome. Les chatbots sont polymorphes : les conversations peuvent s’effectuer par écrit ou à l’oral (avec reconnaissance vocale), ce qui est un gain pour des personnes en situation de handicap, ainsi qu’en plusieurs langues (facilitant l’inclusion).

Les chatbots ont déjà fait leurs preuves dans de nombreux secteurs d’activité, comme le retail et la relation client. Or, malgré leur relative facilité d’implémentation, les gouvernements et administrations sont moins nombreux à implémenter cette technologie. Après avoir décrit leur fonctionnement, nous analyserons dans cet article la place des chatbots dans le secteur public, les bénéfices qu’ils peuvent apporter ainsi que les barrières à leur déploiement. Nous modéliserons les formes que la technologie d’agents conversationnels peut prendre dans le secteur à travers, notamment, l’étude de cas représentatifs.

Fig 1 : Utilisations des chatbots dans le secteur public

Comment fonctionnent les chatbots ?

Il existe plusieurs types de chatbots intégrant des fonctionnalités et des technologies plus ou moins complexes (avec ou sans machine learning). Au-delà de sa réponse textuelle, le chatbot peut fournir des documents (images, vidéos, supports écrits). De plus, il peut comprendre un certain nombre d’options comme la présence de boutons, de listes ou encore de templates qui permettront de récolter davantage d’informations afin de fournir une réponse à son interlocuteur basée sur une multitude de critères.

Les chatbots les plus simples procèdent par association de mots, reprenant les informations disponibles sur le site internet associé ou dans une base préconçue de questions-réponses. Ils se basent sur des mots clés que l’utilisateur a prononcé ou écrit et les associent à un ensemble de synonymes ou termes proches prédéfinis pour « comprendre » la demande.

Le chatbot se réfère encore à un ensemble de questions/réponses afin d’adresser la demande et répondre à son interlocuteur. Si les mots employés ou les questions formulées ne sont pas répertoriés dans l’outil, il ne sera pas à même de fournir une réponse. Ainsi, un chatbot permet d’accéder à l’information rapidement (et éviter de chercher sur des sites qui ont souvent des architectures peu intuitives) et de cibler les demandes par association : il est plus performant qu’une barre de recherche qui se base uniquement sur les mots précis écrits par l’utilisateur sans les “reformuler”.

Fig 2 : Le fonctionnement d’un chatbot

Afin d’améliorer le potentiel des chatbots en fluidifiant la conversation et en optimisant ses réponses, il est possible d’avoir recours à l’intelligence artificielle. On parle alors de NLU (Natural Langage Understanding) pour évoquer les techniques d’interprétation et de compréhension du langage humain (prenant en compte les erreurs orthographiques, les abréviations ou les formulations familières) et de NLP (Natural Language Processing) concernant l’élaboration des réponses par le robot. Dans ce cas, le robot extrait des données de la conversation (des émotions, des catégories, des concepts…) afin de moduler sa réponse en fonction de son interlocuteur. Pour ce faire, l’intelligence artificielle se base sur un historique de données duquel elle identifie des règles. On parle de machine learning (ou apprentissage automatisé) lorsque le logiciel est capable d’apprendre par lui-même en identifiant des règles à partir d’une approche probabiliste. L’apprentissage peut être supervisé (un individu observe le fonctionnement du chatbot et opère des ajustements lorsqu’il détecte des erreurs ou des limites dans les réponses fournies) ou non supervisé (dans ce cas, un algorithme identifie de manière autonome des similarités au sein d’une base de données). Le chatbot s’améliore donc par apprentissage au fur et à mesure des conversations.

Chatbots dans le secteur public : pour quel usage et quels utilisateurs ?

Cette technologie se démultiplie : 100.000 chatbots ont été lancés sur Facebook Messenger depuis 2016 et 80% des entreprises utiliseront un chatbot d’ici 2020. Les agents conversationnels ont déjà fait leurs preuves dans le secteur privé, principalement dans le secteur du retail, où ils s’apparentent à des personal shoppers capables de recommander les produits ou services idoines. Ils représentent un levier d’amélioration de la satisfaction client en proposant une réponse personnalisée. De plus, ils s’adaptent à la tendance des nouvelles générations à délaisser les réseaux sociaux au profit des plateformes de chat. Pour les entreprises, le chatbot permet aussi de cibler et d’atteindre plus facilement un potentiel client. 

Bien que moins développés dans le secteur public, les chatbots présentent aussi de nombreux avantages pour les administrations. Ils peuvent informer, orienter, conseiller ou encore accompagner les citoyens dans leurs démarches. Ou faciliter les process internes, comme répondre à des doutes ou des demandes redondantes, faciliter la recherche d’information au sein de différentes bases, réduire une partie des tâches répétitives (réservation de salles, ouverture de tickets informatiques, demande de congés) ou encore reformuler des procédures ou démarches à suivre et compléter des formulaires. Ainsi, au sein des administrations les chatbots peuvent répondre à deux enjeux :

  • La relation aux usagers : adressés aux citoyens dans le but d’améliorer et de personnaliser la relation entre les usagers et les administrations.
  • Les process et l’organisation interne : au sein des administrations, pour faciliter le travail des agents publics et la transversalité entre administrations.

Des chatbots pour améliorer la relation aux usagers

Fig 3 : Les chatbots au service des citoyens

Faciliter la navigation sur un site et la compréhension de l’information :

L’autorité publique d’électricité et d’eau de Dubaï (DEWA) a lancé en janvier 2017 son chatbot Rammas. Accessible depuis des robots physiques en agence, sur le site internet, Facebook ou l’enceinte connectée Alexa, le chatbot utilise le machine learning pour accroître sa base de données et améliorer ses réponses. Il a de nombreuses fonctionnalités :

  • Pour les usagers, il permet de comprendre les factures d’eau et d’électricité, d’effectuer des paiements et de souscrire à des services supplémentaires.
  • Pour l’administration, il fonctionne comme interphase de recrutement, permettant de postuler aux offres d’emploi.

Le chatbot a été paramétré pour comprendre et répondre en anglais ou en arabe, à l’écrit comme à l’oral, ce qui rend le service plus inclusif. En termes de bénéfice, il permet aux utilisateurs comme aux agents de DEWA de gagner du temps : les utilisateurs profitent d’une meilleure réactivité dans la gestion de leurs demandes, tandis que les agents peuvent se concentrer sur les clients ayant des demandes plus complexes ;

  • 2600 demandes par jour en moyenne
  • Réduction de 80% du nombre de personnes venant en agence
  • Des économies de 31,3 millions de dollars émiratis
  • 95% des utilisateurs déclarent être satisfaits par les réponses

Ce chatbot puise ses informations sur le site internet d’une seule administration : celui de DEWA mais il a l’avantage de faciliter l’accès à l’information grâce à ces nombreux moyens de communication (divers points d’accès au chatbot, langue arabe ou anglaise, oral ou écrite).

Transmettre une information en temps réel en recoupant diverses sources :

Travelbot – le chatbot de transport for London

Un chatbot n’est pas uniquement mis en place pour réduire le nombre de clients en agence : il peut aussi venir compléter une application, un site internet voire un réseau social. C’est le cas de TravelBot, le chatbot rattaché à Facebook Messenger qui simplifie les déplacements des londoniens depuis 2017. Il optimise le trajet des usagers en prenant en compte divers modes de déplacements, les aléas météorologiques et les travaux ou incidents sur les lignes, et leur permet de contacter l’agent adéquat en cas de besoin. Par exemple, le chatbot informe en temps réel le temps d’attente sur un arrêt de bus. Ce chatbot repose aussi sur du machine learning afin d’améliorer ses réponses au fur et à mesure et de fournir des informations en temps réel. Même s’il répond à un besoin unique lié à la mobilité, il est devenu une réelle interface entre les différents services de transports.

Fournir un service sur mesure au citoyen :

Un autre exemple d’application des chatbots est fourni par l’université de Strayer, qui depuis 2017, propose un agent conversationnel à destination des étudiants suivant des formations en ligne. Le chatbot Irving répond à 72% des messages et redirige en cas besoin les étudiants vers des professeurs. Il a été développé par Google Cloud Platform et utilise du machine learning. L’objectif du chatbot est de pouvoir répondre à toute heure aux questions, notamment pour les étudiants en e-learning, ou pour les professionnels non disponibles aux horaires habituels. Sur le plan qualitatif, il permet d’identifier et rediriger les étudiants ayant besoin d’un soutien plus spécifique. Il s’agit d’une technologie assez développée, qui peut également recommander des cours, aider les étudiants à se repérer sur le campus ou encore aider à faire une demande de bourse.

Le chatbot inclut donc de nombreux services associés à la scolarité et va même au-delà en termes de pédagogie puisqu’il permet de personnaliser la formation des étudiants.

Identifier les besoins des citoyens, recommander le service approprié et faciliter les démarches administratives associées :

En France, Lisa, l’assistante virtuelle de Toutes mes aides accompagne les citoyens dans leurs demandes d’aide social : ce chatbot identifie les prestations sociales auxquelles le citoyen pourrait être éligible et complète le formulaire adéquat afin de simplifier les démarches. Il s’agit d’un réel outil de conseil qui puise ses informations auprès de nombreux organismes d’aide à toutes les échelles (national, régional, départemental, etc.) et recense plus de 6000 prestations, faisant le lien entre plusieurs administrations.

Fig 5 – Lisa – le Chatbot pour mieux cibler les aides sociaux

Le chatbot est un service proposé par Crisp, un éditeur de chatbots personnalisables en fonction du besoin des organisations. La particularité de ce développement est qu’il laisse la possibilité à un agent d’intervenir dans la conversation si besoin (on parle de livechat).

Proposer aux citoyens une plateforme multifonctionnelle incluant de nombreuses administrations :

Singapour a développé un chatbot disponible sur Facebook Messenger pour interagir plus facilement avec les citoyens. Il possède de nombreuses fonctionnalités : il informe sur les dernières actualités, les événements à venir, redirige vers des services en ligne ou encore propose du contenu audio et vidéo. Le chatbot est également utilisé pour encourager le feedback des citoyens et récupérer leurs avis à travers des sondages simplifiés. L’utilisation du machine learning permet de personnaliser les contenus, de suggérer des accès rapides à certaines informations ou services et de prendre en compte l’avis des utilisateurs. Il utilise le traitement automatique du langage naturel (NLP) afin de s’adapter au mieux au langage des utilisateurs étrangers tout en donnant une image positive de Singapour.

Des chatbots pour améliorer les process internes

Accompagner le changement et l’appréhension de nouveaux outils

Les agents conversationnels peuvent être également déployés au sein des administrations pour un usage interne. Ainsi, dans le cadre d’un changement d’outil la métropole de Nîmes a mis en place un chatbot pour guider les agents publics dans l’utilisation d’Outlook, les rendre plus autonomes et réduire le nombre d’e-mails envoyés aux services support. Nemau, développé par Witivio, est rattaché à Office 365, et répond aux questions des collaborateurs concernant la mise en place du nouvel outil de messagerie. Il permet de mieux cibler les réponses en fonction des besoins particuliers de chaque utilisateur. Par ailleurs, il s’agit d’un outil collaboratif et interactif qui permet de donner des réponses rapides et personnalisées. Accessible via Skype Entreprise et Microsoft Teams, Nemau permet de rendre l’information plus accessible aux équipes.

Faciliter le travail des agents publics au sein des administrations

Finalement, un chatbot peut également assister les agents publics sur des sujets administratifs concernant certains process, comme la réservation d’une salle de réunion, l’automatisation de la rédaction d’un ticket en cas d’incident, la réalisation d’enquêtes ou encore l’orientation des nouveaux arrivants grâce à la mise à disposition documents.

La métropole d’Orléans a mis en place un chatbot destiné à simplifier les démarches RH pour ces 3500 collaborateurs : lancé en 2017, le chatbot Orh répond aux questions liées aux congés, à la mutuelle ou encore aux postes à pourvoir. Un budget de 21 000 euros a été alloué pour développer ce projet qui a mobilisé un agent durant trois mois. L’objectif est de libérer les responsables des ressources humaines de nombreuses questions redondantes qu’ils reçoivent.

Les chatbots s’adaptent donc parfaitement aux administrations, qu’ils soient destinés aux citoyens ou aux agents de la fonction publique. Alors, pourquoi adopter un chatbot ?

Avantages des chatbots dans les administrations publiques :

Les principaux avantages des chatbots sont :

Pour les citoyens :

  • Réponse gratuite, immédiate (service disponible 7j/7, 24/24h) et sans temps d’attente
  • Utilisation simple et adaptée aux nouveaux usages : service accessible via un smartphone, pas de compétences requises puisque le chatbot imite le langage humain, ni d’application à télécharger
  • Service personnalisé : possibilité d’effectuer des démarches administratives guidées pas à pas, de recommander des services ou de transmettre des informations adaptées au citoyen

Pour les administrations :

  • Outil d’amélioration de la satisfaction client : personnalisation des services aux besoins des citoyens et possibilité en retour de collecter des informations à son sujet (données personnelles, retours d’expérience, meilleure traçabilité des échanges)
  • Economies et gains de temps : les agents publics peuvent se concentrer sur des demandes plus complexes, permet de traiter de manière simultanée un grand nombre de demandes
  • Facilité de déploiement et coût modéré

Déployer un chatbot peut donc représenter une bonne opportunité pour les administrations publiques. Cependant cela nécessite de bien identifier au préalable l’objectif du chatbot, la technologie associée (avec NPL et machine learning ou non) et les choix de développement (en interne, souscription à un service ou commande à des développeurs externes). En effet, si un chatbot présente de nombreux avantages, il est nécessaire de s’assurer qu’il réponde bien au besoin prédéfini car le cas échéant il peut être source d’une plus grande insatisfaction de la part des utilisateurs.


Pour en savoir plus :

The Ultimate Guide To Designing A Chatbot Tech Stack

How do chatbots work? An overview of the architecture of chatbots

Le marché des chatbots en 10 chiffres clés

Chatbot, enfin l’âge adulte ?

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