Transformation numérique des services publics : quels leviers pour atteindre les promesses ?

Artimon Perspectives

J.GIMENEZ

Chaire EPPP IAE PARIS

J.BEUVE, O. CRISTOFINI et S.PORCHER

La transformation digitale du secteur public permet à la fois de faire évoluer la manière de délivrer les services aux citoyens et de repenser le contenu de ces services, en prenant en compte des nouvelles données

Le succès de la digitalisation passe aussi par la capacité des territoires à trouver l'équilibre entre centralisation et décentralisation : le fonctionnement central garantit l'interopérabilité et des points de contact multiples créent plus de proximité

Lors des projets de digitalisation du secteur public, le triptyque orientation utilisateur et usager ; leadership et impulsion politique ; développement des compétences internes peut permettre de maximiser l’adoption des services numériques et leur impact

La crise sanitaire met en évidence la nécessité d’accélérer le processus de digitalisation des services publics. Conscient de cet enjeu, le gouvernement souhaite profiter de la relance pour définitivement poser le numérique comme levier de transformation des administrations et se donne pour objectif de rendre les services publics plus accessibles aux citoyens et plus proches de leurs usages quotidiens.

En janvier 2021, 88 millions des 100 milliards du plan France Relance seront consacrés à la transformation numérique des collectivités locales. Ces crédits visent à « financer des outils numériques pour faciliter et accélérer les procédures des citoyens et le travail quotidien des agents ». L’intention est louable. Elle n’est pas nouvelle. Les plans se sont succédés sur ce thème depuis plus de 20 ans : du Plan pour l’Administration Electronique de Jacques Chirac au Plan Action Publique 2022 d’Emmanuel Macron, en passant par le Plan France Numérique de Nicolas Sarkozy et François Hollande.

La démarche à suivre est connue : il s’agit de croiser innovations de produits (le service rendu aux usagers) et innovations de procédés (la manière de livrer le service) permises par les technologies numériques. Ainsi, la transformation digitale des administrations publiques représente une opportunité de faire mieux, potentiellement avec moins.

Néanmoins, les projets de transformation numérique ne sont pas sans risque. Pour les réussir, les administrations doivent composer avec les spécificités du service public. Une réflexion en amont est donc nécessaire pour réellement faire de la digitalisation un levier majeur de transformation de l’organisation des administrations.

L’usager au centre du processus de transformation numérique

La transformation digitale du secteur public inclut mais ne se limite pas à la dématérialisation des procédures administratives. Certes, la dématérialisation est un préalable à la transformation. Pourtant, elle consiste à numériser des procédures déjà existantes, sans prise en compte des enjeux économiques et sociaux ayant émergé depuis lors. La transformation digitale se doit d’aller au-delà. Elle ouvre une réflexion sur les nouveaux services à rendre à l’usager, la compréhension de variables plus nombreuses, tout en visant à alléger (voire à supprimer) les démarches administratives existantes. Dès lors, ces évolutions impliquent de placer l’usager au cœur de la transformation digitale et des nouveaux processus organisationnels assurés par les administrations qui émergent. Les nouvelles technologies rendent possible et optimisent cette refonte des processus.

Pour ce faire, les ambitions liées à la transformation digitale des services publics doivent surmonter deux écueils majeurs. Le premier renvoie à la question de l’utilisation des données. Des réticences s’expriment quant à la détention et à l’utilisation des données personnelles par les administrations, et une opacité potentielle des technologies associées à ces projets. L’adoption et l’acceptabilité des nouveaux services publics passeront par des garanties de transparence et de maîtrise de la gestion des données personnelles. Deuxième écueil : l’équité d’accès. La digitalisation peut rendre plus difficile l’accès aux démarches et procédures pour de nombreux usagers. Les personnes âgées sont particulièrement concernées par ces difficultés. L’équité concerne également les exceptions ou situations hors norme, dont la prise en charge peut être difficile en raison d’une démarche numérisée. Ainsi, par la nature même des services publics, la transformation digitale des administrations ne peut être un mimétisme des pratiques issues du secteur privé.

L’importance du modus operandi de la transformation numérique

Le modus operandi est un facteur clé de la réussite de la transformation digitale. Il conditionne largement le degré d’adoption des parties impliquées : internes (les agents) et externes (les usagers). Pour cette raison, de nombreux travaux se sont intéressés aux conditions d’adoption et de diffusion des services publics numériques. Le modus operandi est particulièrement mis en avant. Pour assurer l’appropriation, dès leur phase de conception, les nouveaux services publics impliquent une coordination efficace de l’ensemble des parties prenantes du projet : l’administration à tous ces niveaux (décideurs, agents et utilisateurs publics), concepteurs de systèmes et enfin les usagers. L’enjeu est que la digitalisation d’un service public réponde aux besoins réels des agents et usagers, qu’elle s’adapte à la réalité de ces différents utilisateurs et terrains, et que dans son opérationnalisation elle permette d’atteindre les objectifs de performance définis en amont.

En interne, ce modus operandi est porteur d’une nouvelle équation managériale. La transformation digitale nécessite de repenser les politiques de ressources humaines des administrations. Elle impacte à la fois la Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) et les modes de management. Ces impacts découlent des nouvelles compétences induites par l’évolution des systèmes d’information et des modes de partage de l’information. La mise en pratique est complexe et révèle l’importance du choix des responsables de la transformation digitale dans les administrations. Ces responsables doivent avoir non seulement une connaissance extensive du secteur ou de la politique impliquée dans le projet, mais aussi disposer de compétences managériales spécifiques qui correspondent au dynamisme propre de ce type de projets.

La gouvernance de la transformation numérique : articulation des niveaux administratifs

Le niveau d’impulsion est important à double échelle : à la fois managériale pour la réussite dans l’adoption des projets, mais également politique, pour assurer une stratégie globale de déploiement de la transformation digitale.

En ce sens, l’organisation politique en France suggère que le niveau régional serait le plus pertinent pour porter une stratégie numérique. En effet, les régions ont des compétences en matière de développement économique, ce sont aussi elles qui portent les stratégies d’innovation et de recherche. Qui plus est, la digitalisation implique l’atteinte d’une taille critique et la construction d’une stratégie globale supposant un certain degré de centralisation. L’échelon régional permet la mise en place d’une logique de « plateforme », notamment pour appréhender l’usager de manière unique, quelle que soit la collectivité compétente pour fournir le service considéré.

Dans le même temps, la digitalisation permet de rapprocher l’administration des usagers en multipliant les points d’accès aux services publics sur les territoires. Ainsi, un des leviers du succès de la transformation digitale passe par la capacité des territoires à trouver un juste milieu entre centralisation et décentralisation. L’organisation publique devient alors agile. Elle articule un degré de centralisation élevé permettant un fonctionnement de plateforme avec une décentralisation fonctionnelle assurant une relation de proximité entre les services publics et les usagers.

La transformation digitale est donc pleine de promesses pour les administrations, leurs agents et les usagers. Aujourd’hui les nouvelles technologies offrent des possibilités d’améliorer et transformer les services publics. Une fenêtre politique est ouverte pour concrétiser ces possibilités. Pour autant, la transformation digitale du secteur public ne va pas de soi. Elle nécessite d’être mise en place avec volontarisme et de prêter attention à une multitude d’aspects technologiques, organisationnels et humains. Sa réussite repose sur un triptyque aujourd’hui bien identifié. D’abord, se centrer sur l’offre de services pour définir et anticiper les besoins des usagers, tout en garantissant transparence et sécurité dans le traitement des données. Ensuite, assurer une formation des agents et des managers pour faire vivre les services publics digitalisés. Enfin, faire preuve de leadership politique pour impulser et coordonner les efforts de transformation des multiples échelons administratifs impliqués.

Artimon Perspectives s’associe à la Chaire EPPP-IAE Paris pour étudier la transformation digitale du secteur public. Nous vous invitons à télécharger ci-dessous la synthèse de la première phase de nos travaux de recherche.

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