Travail hybride et bien-être au travail, une question de cognition sociale
Si le télétravail semble avoir des effets positifs sur le sentiment de contrôle des individus au sein d'une organisation, il est impossible de généraliser cette réalité à un individu sans des analyses plus approfondies et contextualisées.
Cet article fait suite à la conférence proposée par Artimon Perspectives sur le bien-être et le travail hybride, dans le cadre du Jamespot Day 2023. Il répond aux demandes des participants et fait mention des principales références évoquées lors de cette conférence. L’objectif de la conférence était d’explorer les concepts de bien-être et de travail hybride à travers la littérature scientifique, afin de fournir des clés de compréhension plutôt que des solutions toutes faites, dont la pertinence peut varier d’une organisation à l’autre.
En effet, la compréhension du bien-être au travail ne peut pas être réduite à une seule dimension, mais nécessite une approche holistique qui tienne compte de l’interaction complexe entre l’individu, l’organisation et le contexte social.
L’individu
Pour comprendre la notion de bien-être dans le cadre du travail, il est essentiel de se pencher sur l’individu. De Simone [1] a proposé une définition composite du bien-être, qui comprend trois typologies de bien-être : subjectif, eudémonique et social. Le bien-être subjectif fait référence à une satisfaction générale, le bien-être eudémonique renvoie au sens du travail, tandis que le bien-être social se rapporte à l’appréciation des interactions au sein de l’organisation.
1 | 2 | 3 |
Bien-être subjectif | Bien-être eudémonique | Bien-être social |
Êtes-vous satisfait de la qualité générale de votre vie professionnelle ? Trouvez-vous du plaisir à faire votre travail ? [11] | Votre travail est-il épanouissant ? Votre travail vous donne-t-il le sentiment de vous épanouir en tant que personne ? [9], [10] | Vos relations sociales au travail sont-elles encourageantes et gratifiantes ? Vous sentez-vous respecté au travail ? [8] |
Figure 1. Dimensions du bien-être au travail et exemple de mesures
Pour mesurer ces différentes dimensions, plusieurs outils ont été proposés. La Figure 1 présente des exemples de questions tirées de ces outils. Cependant, le bien-être au travail est un concept complexe qui ne peut être saisi uniquement à travers des questionnaires. Une approche plus holistique, qui explore ces concepts à travers la littérature scientifique, peut fournir une meilleure compréhension du bien-être dans le contexte du travail.
Évidemment, cette base est une indication d’approche, mais doit être réfléchie en fonction de l’objectif des mesures et de la typologie de l’organisation. Si vous souhaitez utiliser ces outils, nous vous recommandons une lecture approfondie des articles mentionnés et une revue de littérature sur le sujet. Si vous souhaitez mener des études dans le cadre de votre organisation, vous pouvez également solliciter notre institut de recherche, que ce soit pour des échanges ou des collaborations.
Un individu, dans un groupe…
Approcher le bien-être au travail seulement au niveau de l’individu revient à oublier que l’humain est un être fondamentalement social et qu’il cherche en permanence à interagir avec ses congénères, de manière directe ou indirecte. Pour cette raison, nous avons développé des capacités très poussées pour identifier les émotions et comprendre les autres (même si certains contextes peuvent influencer ces processus). [2]
Les organisations représentent un contexte social dans lequel évoluent des groupes d’individus qui vont développer une culture organisationnelle caractérisée par des habitudes et des valeurs partagées. Sur la base des propositions de la littérature scientifique, on considère différentes approches de la culture organisationnelle. Celle que nous proposons dans nos travaux actuels s’intéresse au rôle de cette culture dans la transformation organisationnelle et se compose de 4 dimensions qui évoluent de manière organique (voir Figure 2).
Affiliation humaine | Changement | Atteinte d’objectifs | Stabilité |
Communication, coopération… | Préparation au changement, adaptation… | Compétition, productivité… | Standardisation, conformité… |
Dans nos travaux publiés sur le site d’Artimon, nous considérons quatre dimensions culturelles qui coexistent dans toutes les organisations. À partir de celles-ci, plusieurs questions se posent :
- Dans quelle mesure mon organisation valorise-t-elle chaque dimension ?
- Quel est le poids relatif de chaque dimension ?
- Dans quelle mesure les valeurs de mon organisation sont-elles en adéquation avec celles des employés ?
- Ai-je une bonne compréhension de la culture de mon organisation ?
Nous avons donc développé un outil en suivant les méthodes de validation appuyées par la recherche scientifique afin de répondre à ces questions. En plus de décrire l’existant, nous considérons qu’analyser la culture de son organisation revient à comprendre dans quel climat se déroulera un projet. Cela peut être illustré par l’allégorie suivante : « Si je dois partir en expédition, il est préférable de savoir à l’avance si je pars dans le désert ou dans la jungle ».
Un individu, dans un groupe,
dans un contexte
Au-delà de l’individu et de son organisation, ces entités existent dans un contexte spatial et temporel défini appelé culture. La culture englobe des valeurs et des normes partagées au sein d’un groupe de personnes avec des fluctuations plus ou moins importantes. L’impact du contexte culturel sur les organisations a été étudié sous différents angles tels que l’esprit d’entreprise, les transferts de connaissances, la politique en matière de dividendes et la gouvernance d’entreprise, pour n’en citer que quelques-uns.
En général, on considère la culture d’un pays comme un terroir sur lequel se développe une organisation, et l’organisation comme un terreau dans lequel se développe un individu.
Pour une revue de la littérature sur le sujet, nous vous recommandons la lecture de l’édition spéciale éditée par Tung et Verbeke [3]. Les 10 articles de cette édition discutent des différents modèles, comparent leurs approches, et étudient la validité de ces propositions et la manière de les considérer. Cette lecture permet également de comprendre pourquoi les généralisations peuvent être compliquées, comment les comparaisons interculturelles doivent être menées en montrant, par exemple, que la comparaison d’un pays à un autre n’a pas de sens s’il n’y a pas d’explication des processus socio-culturels sous-jacents.
Et le travail hybride dans tout ça ?
La suite de la conférence visait à relier les problématiques de bien-être dans les organisations aux pratiques de télétravail ou de travail hybride.
Quels sont les effets positifs ou négatifs de ces pratiques sur les collaborateurs ? En examinant la littérature, plusieurs études ont mis en évidence les conséquences du télétravail [4-6]. Bien que non exhaustive, cette liste permet déjà de proposer des premières représentations (voir Figure 3). A noter que ces éléments représentent des résultats obtenus sur des ensembles d’individus et non pas sur un individu en particulier.
Bien qu’en moyenne, le télétravail semble avoir des effets positifs sur le sentiment de contrôle des individus au sein d’une organisation, il est impossible de généraliser cette réalité à un individu sans des analyses plus approfondies et contextualisées. De plus, il est important de noter la présentation du télétravail en tant que « privilège » au sein de l’organisation. Cette présentation peut amener les individus à se sentir redevables, conduisant ainsi à des phénomènes sociaux tels que la théorie de l’échange social [7].
Des chercheurs se sont ensuite penchés sur les pratiques managériales ayant des effets positifs ou négatifs sur le bien-être des individus.
La Figure 4 met en relation ces pratiques avec les dimensions du bien-être discutées précédemment.
Conclusions
Comme tout autre phénomène humain, l’approche systémique – qui prend en compte les niveaux de contexte et les interactions – est plus pertinente que l’approche essentialiste qui ne réfléchit qu’au niveau de l’individu. Il est donc crucial d’adopter la même logique pour aborder le bien-être dans les organisations et dans le contexte du télétravail.
À un niveau macroscopique, s’interroger sur les influences du contexte socio-politique et écologique sur le sens du travail peut expliquer pourquoi les nouveaux entrants sur le marché du travail ont plus de mal à se projeter à long terme que leurs collègues plus âgés. À un niveau méso, considérer que les collaborateurs ne s’engagent pas dans des nouveaux projets collégiaux qui ont été validés par l’ensemble des personnes nécessite une analyse du temps mis à disposition par l’organisation et de la valorisation de ces activités dans l’organisation en comparaison des autres. Enfin, au niveau micro, considérer les individus d’une manière unidimensionnelle n’a pas de sens scientifique. Il est donc primordial de se poser la question de « quelle dimension et pourquoi ? » avant de mettre en place des actions pour améliorer le bien-être.
Si nous mettons l’accent sur les processus plutôt que sur les réponses immédiates à des questions complexes, c’est parce qu’il existe une forte probabilité que les réponses immédiates dans des contextes hétérogènes puissent produire des effets non-contrôlés voire indésirables. La recherche scientifique regorge de littérature sur l’ensemble des sujets que nous avons introduits ici, pourquoi s’en priver.
Références
[2] S. Fiske, Social beings: Core motives in social psychology. John Wiley & Sons, 2018.
[8] E. Diener et al., ‘Flourishing scale’, Soc Indic Res, 2009