Le MaaS et l’environnement

Josefina GIMENEZ - Artimon

Josefina GIMENEZ

Directeur Recherche et Innovation

A quelles conditions le MaaS permet-il de réduire l’impact des transports urbains sur la qualité de l’air ambiant ?

Le déploiement du MaaS est une réponse aux problématiques environnementales du secteur des transports : effet de communication ou réalité ?

Les véhicules électriques et autonomes sont présentés comme des solutions de transport propres et interconnectées. Pourtant leur déploiement à grande échelle peut menacer les objectifs environnementaux de la France.

Le déploiement du MaaS entraîne une simplification des trajets interconnectés. Ne risque-t-on pas de voir s’envoler le nombre de trajets, aujourd’hui trop compliqués ou impossible à réaliser ?

Diminuer l’impact environnemental du secteur des transports passe aussi par la baisse du nombre de trajets et des distances parcourues. Le déploiement du MaaS ne pourra pas, à lui seul, permettre de relever ces défis.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2 500 décès prématurés chaque année à Paris causés par la pollution de l’air, 48 000 à l’échelle de la France, 800 000 en Europe et 8,8 millions dans le monde selon une étude parue mardi 3 mars 2020 dans la revue de la Société européenne de cardiologie, « Cardiovascular Research ». A cela s’ajoutent les maladies cardiaques et respiratoires, qui pullulent dans les grandes villes saturées de particules fines.

Pour lutter contre ce fléau, les solutions majeures préconisées par l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire) sont la réduction drastique du trafic routier, couplée à un déploiement rapide de véhicules électriques. La mise en place du MaaS (acronyme de Mobility as a Service) semble parfaitement s’intégrer dans les démarches menant à l’atteinte de ces objectifs. Le MaaS cherche à lutter contre l’autosolisme, néologisme formé d’auto et de solo pour évoquer le fait de voyager seul dans sa voiture. Que ce soit par rationalisation, simplification et densification des transports en commun, ou par la mise en place intelligente d’un réseau de véhicules partagés quadrillant les grandes villes françaises, le MaaS aura ainsi un double effet : 

  • La réduction de la place de la voiture individuelle dans le paysage de la mobilité urbaine
  • La proposition de services facilitant l’intégration et le développement de véhicules électriques, chantre de la mobilité verte dans les discours politiques et industriels actuels

Fig 1 – Quelle voiture au cœur du MaaS ? Des voitures de moins en moins nombreuses et de moins en moins polluantes, l’électrique induirait la réduction de la quantité de particules fines dans l’atmosphère de nos villes.

Nous verrons par la suite que, malgré ces promesses, l’amélioration de la qualité de l’air urbain engendrée par l’intégration de véhicules électriques, facilité par le MaaS, peut avoir des effets pervers, que ce soit au niveau local mais aussi à l’échelle de la planète.

Il serait nécessaire de procéder à des études d’impact, globales et non localisées, pour évaluer l’impact des plateformes MaaS sur la qualité de l’air : déplacement de la pollution ou développement de pollution indirecte, évolution du nombre de déplacements et des distances parcourues, évolution des coûts de transport, prise en compte de l’accroissement des phénomènes climatiques extrêmes, etc.

L’air qu’on respire, un peu d’histoire

La qualité de l’air dépend de nombreux critères, comme les conditions météorologiques, la géologie du lieu où l’on se trouve, la proximité avec les activités économiques tertiaires ou industrielles, ou encore la fréquentation des axes routiers qui nous entourent.

Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, les émissions de particules nocives dans les villes françaises étaient d’origine majoritairement industrielle, avec des usines brûlant des combustibles fossiles aux abords immédiats des villes. En 1999, la mise en place d’un plan de réduction des émissions industrielles eut pour effet immédiat un très net recul de celles-ci (selon l’ADEME, diminution de 41%, entre 1995 et 2010, des Composés Organiques Volatiles (COV) non méthanique de la France métropolitaine dans l’industrie manufacturière), et la mise en exergue d’autres types de pollution : les émissions d’origine diffuse qui sont liées à la combustion du bois, et au trafic routier.

L’organisme Airparif, en charge du contrôle de la qualité de l’air à Paris, observe ainsi, en 2016, que 44% de la pollution de l’air respiré aux abords immédiats d’un axe routier provient des véhicules qui y circulent. Il est d’ailleurs intéressant, pour s’en rendre compte, d’observer les résultats chiffrés des “journées sans voiture”. Cette initiative annuelle a été lancée initialement en 1956 dans plusieurs pays pour répondre, à l’époque, à des pénuries d’essence localisées. Depuis, elle est devenue un symbole de la lutte contre la pollution pour sensibiliser la population sur les enjeux de la réduction du trafic routier en ville.

A Paris, la journée sans voiture est lancée en 2015 à l’initiative de la Mairie. Elle est, depuis, reconduite à l’échelle de toute la ville une fois par an. Par cette occasion Airparif a la possibilité de mesurer régulièrement les effets de la disparition des voitures dans une zone délimitée. A chaque fois, la baisse est spectaculaire : lors de l’édition de 2019, on a mesuré – 45% de dioxyde d’azote dans la zone sans voiture par rapport à un dimanche normal. Il devient donc évident, au regard de ce chiffre et de ceux sur la mortalité liée à la pollution (cités en introduction), que la réduction du trafic en ville est une nécessité absolue. De nombreuses métropoles l’ont compris, et s’attèlent aux quatre coins de la planète à réduire petit à petit la place de la voiture dans le paysage urbain.

Ces efforts sont cependant vains s’ils ne sont pas accompagnés de la mise en place de mesures de transport alternatives. Dans une étude publiée en septembre 2016, le Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer (aujourd’hui Ministère de la transition énergétique) donne les pistes suivantes pour lutter contre la pollution de l’air :

  • Le développement des transports en commun,
  • Le développement de la marche et du vélo,
  • La logistique des derniers kilomètres en ville,
  • Le développement du covoiturage,
  • Le développement de l’utilisation des voitures électriques en ville,
  • Le renouvellement du parc automobile,
  • La restriction de la circulation automobile,
  • La réduction de la vitesse de circulation.

Comment le MaaS permet-il de réduire l’impact des transports urbains sur la qualité de l’air que l’on respire ?

C’est là que le MaaS entre en jeu. La Mobility as a Service décrit l’évolution de modes de transport individuels vers une proposition de services de mobilité, via une plateforme multimodale suggérant des solutions adaptées aux besoins de chaque utilisateur. Le développement du MaaS rend ainsi possible la proposition de transports en commun au trajet optimisé, l’intermodalité grâce à des moyens de transports innovants pour le premier et le dernier kilomètre (vélo en libre-service, trottinette…), de covoiturages simplifiés, ou encore de services de voitures électriques, autonomes, et partagées avec d’autres usagers. 

Prenons l’exemple du trajet d’un francilien qui souhaite rejoindre Aubervilliers depuis Jouy-en-Josas.

Fig 2 – Trajet d’Aubervillier à Jouy-en-Josas en 2020

Aujourd’hui, le trajet en transport en commun oblige à passer par Paris pour rejoindre deux villes en région parisienne, avec de la marche pour le premier et dernier kilomètre, et deux changements de RER.  Soit un trajet global de 1h30 ! L’usager peut, sinon, prendre sa voiture où il trouvera un confort largement supérieur. Selon les horaires, son trajet ne sera pas forcément plus rapide tant le trafic est saturé en Ile-de-France.

En conclusion, le trajet est soit trop long et complexe, soit polluant, dû à l’utilisation en solo d’une voiture thermique (qui participe non seulement à la pollution aux particules fines des villes mais aussi au total de 16% des émissions de gaz à effet de serre en France produit par l’utilisation des voitures).

La mise en place d’un MaaS performant en Ile-de-France lui ouvrirait le champ des possibles : une solution de vélo en libre-service pour le premier et le dernier kilomètre, un réseau de bus optimisé cadrant mieux avec ses besoins, un système d’autopartage qui lui donnerait la possibilité d’utiliser une voiture électrique partagée avec d’autres usagers pour une partie ou la totalité du trajet, et bien d’autres encore. Que l’usager privilégie l’une ou l’autre de ces solutions, il agira quoi qu’il arrive en faveur de la qualité de l’air que respire, au quotidien, chacun des douze millions de franciliens.

Fig 3 – L’intermodalité au cœur du MaaS

L’avènement des véhicules électriques et de la pollution délocalisée

Le déploiement du MaaS s’inscrit dans une démarche générale de réduction des émissions de gaz à effet de serre et des particules fines, facilitant l’accès aux transports en commun (premier / dernier kilomètre) et l’émergence de moyens de transports alternatifs. S’entendent par là des trottinettes, des vélos et des scooters électriques en libre-service, mais aussi des véhicules autonomes partagés qui, selon les grands groupes automobiles, ne tarderont pas à envahir nos villes. La tendance actuelle étant d’électrifier les moteurs, il n’est pas absurde d’imaginer que dans un futur proche, ces véhicules autonomes partagés seront électriques.

Fig 4 – Les véhicules électriques vs les solutions de mobilité douce @DONALDSHOUP

Le lien de causalité n’est pas direct : le MaaS n’équivaut pas au déploiement en masse de véhicules électriques et de véhicules autonomes. Mais le constat est là : la grande majorité des recherches dans le secteur des transports sont dirigées vers l’électrification et l’autonomie des véhicules. Or, le MaaS engendre une démocratisation et une simplification de l’utilisation des nouvelles mobilités. Ces solutions sont de plus en plus électriques (comme le prouvent l’électrification des Vélibs parisiens et l’avènement des trottinettes en libre-service) et seront de plus en plus autonomes. La popularisation de ces nouveaux moyens de transport, engendrée par le MaaS, va ainsi nécessairement en augmenter l’usage.

De manière indirecte, le MaaS va donc participer à une hausse spectaculaire des besoins mondiaux en moteurs électriques et en batteries.

Et quelle est la situation aujourd’hui ?

  • Ces batteries sont produites en quasi-totalité dans des usines chinoises. Or la Chine utilise très majoritairement des énergies fossiles pour produire l’électricité nécessaire pour faire marcher ses usines (77% de la production électrique en Chine en 2019 selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE)).
  • Il faut, selon l’ADEME, 120 000 MJ pour produire une voiture électrique contre 70 000 MJ pour produire une voiture à essence. Qui dit explosion de la voiture électrique dit explosion de la consommation énergétique mondiale.
  • A l’échelle mondiale, environ 85% de l’électricité est produite par des énergies fossiles (selon les données de l’IAE). Ainsi, dans une grande majorité des cas, une voiture électrique roulera en brûlant indirectement du charbon, du pétrole, ou du gaz.
  • Une batterie électrique est en grande partie constituée de métaux rares (lithium, cobalt…). La production de ces métaux rares passe par une extraction minière très polluante localement, avec des effets ravageurs sur la qualité de l’eau et des sols d’où ils sont extraits.
  • Les batteries ne sont que très difficilement recyclables et qu’en échange d’une très grande consommation énergétique. La croissance démesurée du secteur va donc entraîner une production déraisonnée de déchets extrêmement polluants que nous ne réussirons pas à traiter.

Comme le dit Serge Pellissier (directeur du Laboratoire Transports et Environnement), il reste encore beaucoup de travail à réaliser et d’hypothèses à valider pour concilier véhicule électrique et bilan environnemental positif. Selon lui, « La mobilité électrique ne sera pas durable parce qu’électrique… mais parce qu’elle aura été conçue durable ».

Prenons par ailleurs l’exemple de la trottinette électrique, qui a envahi les villes du monde entier en moins d’un an. Comme indiqué, le MaaS n’engendre pas le déploiement des trottinettes électriques, mais en simplifie l’accès et en facilite l’utilisation, à travers l’information voyageur optimisée et en les proposant comme moyen de transport pour les premiers et derniers kilomètres. Les acteurs du MaaS n’hésitent donc pas à les mettre en avant comme moyen alternatif et écologique de transport. Mais la vérité semble bien différente : la production d’une trottinette électrique partagée est très énergivore, sa durée de vie est très limitée, et elle est déplacée tous les soirs pour être rechargée… Elle émet ainsi en moyenne 202g de CO2 par passager et par kilomètre, soit 25 de plus qu’une voiture thermique utilisée par un seul passager, et quarante fois plus que lors d’un trajet collectif en métro[1].

La voiture autonome n’est pas en reste : elle est présentée comme un des chevrons de la mobilité écologique dans les « Neuf solutions de la nouvelle France Industrielle » du président Emmanuel Macron, grâce à l’interconnexion des véhicules et des infrastructures qui vont réduire le trafic, grâce à une conduite plus fluide moins gourmande en énergie et grâce au développement de l’autopartage.

Cependant, d’autres facteurs nécessaires et potentiellement polluants, sont mis à l’écart de l’équation. Ainsi, la fabrication des caméras, des lidars, des ordinateurs centraux ultrapuissants, et d’autres capteurs seront nécessaires au bon fonctionnement des véhicules autonomes. Comme l’indique Dominique Bourg, philosophe, Professeur à l’Université de Lausanne et Président du Conseil Scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme, « si on laisse ce système se mettre en place, cela ne marche qu’avec un réseau gigantesque, des infrastructures, des capteurs, etc. »[2]. Pourquoi ne parle-t-on pas non plus des immenses quantités de données qui seront échangées pour faire rouler un véhicule autonome ?

Selon Brian Krzanich, PDG d’Intel, un véhicule autonome va générer et consommer, pour huit heures de conduite, environ 40 téraoctets de données, soit l’équivalent de 40 disques durs d’ordinateur. « En circulation, chacun de ces véhicules produira autant de données que 3.000 utilisateurs d’internet », précise-t-il. Et on le sait, aujourd’hui, les datacenters consomment 10% de la consommation énergétique globale. Qu’en sera-t-il avec des centaines de millions de voitures autonomes en circulation à travers le monde ?

Ainsi, si l’on élargit le champ d’analyse, l’utilisation d’un moyen de transport électrique et/ou autonome, que ce soit une voiture, un vélo, un scooter ou une trottinette, n’est pas si « vert » que cela en a l’air. A travers son offre multimodale qui s’appuie fortement sur ces moyens alternatifs, le MaaS a le potentiel de contribuer à une pollution invisible à nos yeux de citoyens, mais pourtant tristement réelle et dramatique.

Le risque d’un effet rebond ?

Enfin, évoquons un dernier effet que l’on peut craindre à la suite du développement du MaaS, plus subtil mais tout aussi inquiétant : l’effet rebond ou le paradoxe de Jevons. William Stanley Jevons est un économiste britannique du XIXe siècle, auteur en 1865 d’un ouvrage qui deviendra connu pour ses propos visionnaires : Sur la question du charbon.

Il y expose, avant tout le monde et plus de cent ans avant les premiers remous écologiques de notre société, les risques liés à la surconsommation du charbon. Pour limiter au maximum ces risques, il cherche des pistes pour en diminuer la consommation. Il aboutit ainsi au paradoxe suivant : moins une machine consomme de charbon pour produire un produit (ou un service), plus l’entreprise va diminuer le prix de vente du produit. Cette baisse de prix augmente donc la demande, la quantité produite augmente, et la diminution de consommation de charbon pour le produit ou le service est compensée par la hausse de production.

Cet effet rebond est, par la suite, extrapolé par les économistes du XXe siècle pour finalement se définir comme étant l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation… Autrement dit, les économies d’énergie prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie sont compensées voire surpassées par l’adaptation du comportement de la société.

Tentons d’apposer ce principe au MaaS, dont l’un des objectifs premiers est de proposer une offre complète de services pour une simplification et une optimisation maximale des trajets de chacun. On utilise donc une avancée technologique pour profiter d’un service moins limité. En résumant grossièrement, un trajet que nous ne pouvons ou ne voulons pas effectuer aujourd’hui, puisque trop compliqué ou trop long, sera demain simple et rapide grâce au MaaS. S’il n’est pas jugé indispensable, ce trajet a beaucoup plus de chances d’être effectué demain qu’aujourd’hui.

C’est ce qu’on appelle l’effet rebond : plus on simplifiera les trajets urbains, plus ils seront attractifs pour le plus grand nombre et plus ils seront nombreux (au delta bien sûr des jours de météo extrême où l’offre de mobilité sera limitée, donc complexe, donc destinée aux plus aisés). [3]

Prenons encore l’exemple des trottinettes électriques : les avancées technologiques rendront leur utilisation moins chère et le MaaS en simplifiera leur utilisation. Dans un modèle de MaaS basé sur les modes de transport électrique (en partage ou libre-service), une augmentation de la demande entraînera plus de production pour répondre à cette demande. Il en sera certainement de même avec les vélos, les scooters, les voitures autonomes… Le MaaS, par sa simplification des démarches, risque de faire exploser le nombre de trajets et donc la production polluante de véhicules en tout genre.

Fig 5 – La pollution cachée de l’électrique ©YOGESH KULKARNI

Pour résumer, le MaaS va certainement contribuer à la diminution des émissions de particules fines dans nos villes, mais le risque existe qu’il contribue, en contrepartie, à la hausse des inégalités et à la hausse globale des émissions de gaz à effet de serre. Pour limiter les effets potentiellement négatifs du MaaS, les villes doivent donc mener, en parallèle du déploiement de la technologie, une politique intelligente de gestion des trajets dans les centres-villes. Cela passe par une diminution de la place des voitures, par la mise en place de réglementations tarifaires, par la proposition de moyens de mobilité douce dimensionnés en fonction des besoins… et par la valorisation des transports en commun. Mais dans une logique écologique plus poussée encore, ne faudrait-il pas aller plus loin en limitant les trajets, au lieu de les simplifier ?  

La sobriété énergétique : un objectif à atteindre en limitant ses trajets

S’il y a bien un constat que partagent les spécialistes du dérèglement climatique, c’est que la sobriété énergétique est un élément primordial dans la réduction des effets de la pollution. La diminution de la consommation énergétique de la société est une nécessité[4].

Quoi de mieux, pour respecter ce postulat, que de limiter les déplacements motorisés, première source de consommation d’énergie fossile en France ? Ce besoin simple est pourtant impossible à mettre en place dans le monde actuel.

Orson Welles, dans son essai Anticipation, expliquait en 1901 que le diamètre des grandes villes du monde était proportionnel aux moyens de transport utilisés par les masses : avant l’avènement des transports motorisés, les villes faisaient environ 6 km de diamètre, car les masses se déplaçaient en marchant. L’arrivée des calèches permit d’étendre les villes, qui passèrent à un diamètre moyen de 10 km. Il se projette alors en 2000 en prédisant un diamètre moyen des grandes villes à 50 km. Sa prédiction fut effective dès le début des années 1950 avec la démocratisation des voitures et des autres moyens de transport rapide. Cet étalement entraîna un important rallongement de la distance du trajet « domicile travail » moyen, passant de 3 km en 1960 à 15 km en 2010.

La politique urbaine des villes a suivi cette logique du tout-voiture, en pensant le déplacement des foules à travers le prisme d’une utilisation généralisée de la voiture : désertification des centres-villes et déplacement des centres d’affaires, des lieux d’habitation et des zones commerciales en périphérie urbaine. Les transports en commun ont emboité le pas à cette logique urbaine, en se déployant à grande échelle, à travers le développement des réseaux ferrés régionaux, ce qui a eu pour effet le développement de nouvelles zones urbaines aux endroits nouvellement desservis par les réseaux ferrés. Et ainsi de suite : plus on facilite les transports rapides, plus on agrandit les villes, et plus on allonge les distances parcourues par les masses pour aller travailler.

Nous voyons ici le risque que représente l’avènement du MaaS : une nouvelle simplification et rationalisation des propositions de mobilités pourrait entraîner un prolongement des déplacements, pour un temps de trajet pas nécessairement plus long. Cela va donc à l’encontre de l’idée de sobriété… il faut donc accompagner le développement du MaaS par une réflexion plus poussée sur l’urbanisme, et sur la manière de diminuer le nombre de trajets quotidiens des citadins.

Les villes sont aujourd’hui construites de telle manière qu’il n’est pas possible de diminuer les distances de trajet. Il faut donc penser différemment : si nous ne pouvons pas réduire les distances, alors réduisons le nombre de trajets. Dans cette optique, l’essor du télétravail est une excellente nouvelle pour la planète.

Peut-être que les autres pistes seront de décentraliser les activités économiques pour mieux les distribuer sur le territoire français, au plus près des logements des français. Ou encore, de penser les villes du futur différemment en privilégiant la verticalité…et là encore, bonne nouvelle, puisque le premier promoteur français, Nexity, vient de signer un partenariat avec Humanité & Biodiversité, pour allier construction de la ville et protection du vivant. Principale piste étudiée : « créer des villages verticaux et, à leurs pieds, faire revenir la nature en ville », selon Jean-Philippe Ruggieri, directeur général de Nexity.

Une réduction des distances domicile-travail, et la création de proximité et de lien social au cœur des centres-villes, peut permettre de répondre aux besoins des citoyens et de limiter ainsi les besoins des déplacements. Plus de densification en centre-ville, donc des distances domicile travail plus courtes, et des besoins moindres en moyens de transport.

Cette modification de l’architecture des villes, couplée à une utilisation intelligente des mobilités douces facilitée par le déploiement du MaaS, semble être le meilleur moyen de faire face aux défis écologiques de transports urbains. Sobriété énergétique et mobilité intelligente, cocktail gagnant ?


[1] Justyne Stengel, Les trottinettes électriques plus polluantes qu’on ne le pensait, Usbek & Rica, 06/08/2019

[2] Dominique Bourg :  “si on laisse ce système se mettre en place, cela ne marche qu’avec un réseau gigantesque, des infrastructures, des capteurs, etc.” dans un entretien accordé à Christian Long pour l’Atelier Prospectif « la vie robomobile » en mars 2018

[3] Dominique Bourg (philosophe, Professeur à l’Université de Lausanne et Président du Conseil Scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme) indique ainsi : « si vous augmentez l’offre pour répondre à ces flux faibles, ces flux ne seront plus faibles. » dans un entretien accordé à Christian Long pour l’Atelier Prospectif « la vie robomobile » en mars 2018

[4] La loi relative à la Transition Energétique pour une Croissance Verte adoptée en août 2015 impose une diminution de 20% de la consommation énergétique en 2030 par rapport à 2012, et 50% à l’horizon 2050


Bibliographie

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