Mobilité en zones peu denses : rendre compte de la pluralité des territoires
Cet article a été publié originellement dans le magazine VRT édition du mois de juin 2022 (N° 660)
Uber, Lime, Tier, CityScoot ou Vélib ne sont que quelques exemples d’acteurs privés ou publics qui opèrent dans la Capitale et les autres grandes métropoles. Déjà pourvues de réseaux de transports collectifs denses, ces nouveaux acteurs permettent dorénavant un accès à une multitude de modes de déplacement supplémentaires : VTC, vélos, trottinettes, voitures et scooters électriques partagés. Si l’utilisation du terme « mobilités » au pluriel convient alors, il est forcé de constater qu’il en est tout autre pour les 89 % [1] restants du territoire français.
Dans ces zones peu denses, rares sont les offres alternatives à l’automobile et adaptées aux besoins de ses habitants qui représentent plus de 33 % [2] de la population française selon les chiffres INSEE 2019.
Si faire disparaître la voiture du paysage ne semble pas une ambition réaliste dans un territoire qui s’est construit autour de son usage, en diminuer la dépendance et son empreinte est un objectif réaliste et nécessaire dans un contexte d’urgence climatique, mais pas seulement. La crise des gilets jaunes et les augmentations actuelles et futures du coût de l’énergie mettent en avant la vulnérabilité d’une part de la population vis-à-vis d’un poste de coût difficilement compressible lorsque la majorité des déplacements concernent des trajets domicile-travail.
Longtemps restés en dehors du champ des études de mobilité et du politique, ces territoires ont été noyés dans un ensemble monolithique parfois en simple opposition aux aires urbaines : les zones rurales. Ce terme réducteur est porteur d’un imaginaire collectif qui tend à abandonner ces territoires à la seule activité agricole, à des paysages bucoliques, et masque de réelles pluralités géographiques, d’activités et de peuplement.
Ainsi, pour compenser ces biais et accompagner l’échelon local à s’emparer de ces problématiques, comme le prévoit la Loi Orientation Mobilité, il est primordial de définir clairement la notion de zones peu denses au regard de la mobilité. L’objectif est à la fois d’identifier les critères communs à ces territoires sans masquer la pluralité des situations, ce qui permettra la réalisation des diagnostics nécessaires à l’élaboration d’une politique de mobilités adaptée.
Nous verrons également que révéler la pluralité des situations est essentiel dans la réalisation de diagnostics de mobilité viables, mais si le cadre législatif n’est peu adapté, elle peut devenir une contrainte et une source d’interrogations pour ces nouveaux acteurs de la mobilité.
Les caractéristiques partagées des zones peu denses
Le critère humain
En France, l’administration territoriale se compose de trois échelons appelés collectivités territoriales : la commune (Qté : 34 965), le département (Qté. 96 + 5 DOM), la région (Qté. 13). Ces 3 niveaux territoriaux se partagent des compétences qui vont de la gestion des écoles primaires, collèges et lycées, à l’urbanisme, aux actions sociales ou aux transports (urbain ou interurbain).
La commune, maille la plus fine de la couverture territoriale administrative, sert aujourd’hui de référence à l’Institut National des Études Statistiques et Économiques (INSEE) lorsqu’il s’agit de calculer la densité d’un territoire et d’en construire sa typologie.
Or, l’utilisation d’un échelon territorial qui date de la Révolution se révèle peu adaptée à l’étude d’une mobilité transformée par l’usage de la voiture qui a eu pour conséquence un étalement des espaces de vie de chacun, et ce bien au-delà de nos communes de résidence (les métropoles font parfois exception).
Au problème d’échelle, s’ajoute le choix de l’utilisation d’un critère unique. Ainsi, l’emploi de la seule densité de population pour catégoriser un territoire de zone peu dense dans le cadre d’étude de mobilité est source d’interrogation. Facilement exploitables et accessibles, les données de densités font l’objet de mesures précises et récurrentes de la part de l’INSEE, mais ignorent les moteurs de la mobilité (ex. emploi, consommation, loisirs, etc.) et l’organisation du territoire dans lequel elle se réalise (ex. topographie, répartition de la population et des acteurs économiques, etc.). Enfin, comme l’indique Frédéric Fortin « La seule appréhension par la notion de densité “manque de finesse”, ignorant le relief, le climat, les dynamiques économiques et résidentielles, etc. ».
Cependant, il est intéressant d’observer que l’INSEE a revu en 2021 sa définition du rural (voir illustration ci-dessus). Au critère de densité de population, il ajoute la notion de polarisation des territoires qui va dans le sens d’une prise en compte de l’organisation des territoires qui influe sur les mobilités, comme nous pouvons le constater dans l’infographie extraite du site internet de l’INSEE.
L’accessibilité et les habitudes de mobilité
Des chercheurs tels que Jean-Paul HUBERT [3], proposent des définitions alternatives de la zone peu dense tournées sur l’accessibilité et les habitudes de mobilité.
En ajoutant l’accessibilité à la densité comme critère différenciant des territoires, Hubert Madre et Pistre mettent en contraste des zones à forte densité d’activité et de population, caractérisées par des trajets courts soutenus par un réseau de transport collectif urbain développé et relayé en périphérie par du transport dit lourd (ex. RER, Transilien). Un modèle qui s’oppose aux zones combinant faible densité d’activité et transport collectif peu développé : c’est « l’espace de dépendance à l’automobile ».
L’usage de l’automobile devient alors un élément discriminant dans la définition de ces espaces qui renferment un tiers de la population française et « où la voiture permet de se déplacer rapidement, c’est‑a‑dire jusqu’à la limite des espaces densément bâtis que nous assimilons aux agglomérations de 10 000 habitants et plus » (Hubert et al., 2016). L’utilisation de l’automobile par les ménages détermine la définition des territoires peu denses en termes d’accessibilité et d’opportunités pour les populations. Ces éléments sont essentiellement liés à l’emploi : l’espace peu dense est déficitaire en emploi et la voiture devient un vecteur indispensable de la mobilité des populations dans ces trajets domicile – travail (selon l’INSEE plus de 89% des salariés des communes des couronnes et hors attraction des villes se rendent sur leur lieu de travail en voiture [4]).
Cependant on observe dans ces territoires un phénomène assez significatif : si l’équipement automobile des ménages des territoires peu denses est proche de la saturation (en 2011, 90.3% des ménages disposaient d’au moins une voiture), le kilométrage est en diminution. L’accès à l’emploi explique également ce phénomène. Selon les auteurs, la légére croissance de la motorisation est portée par les ménages inactifs, mais cela ne compense pas la décroissance du kilométrage.
Si dans ces territoires les actifs sont captifs de ce mode la voiture pour aller travailler, parallèlement « les ménages (actifs ou inactifs) roulent moins : il doit s’ensuivre que la part des kilomètres non dévolus au domicile-travail diminue » (Hubert et al., 2016). Ainsi, la part de kilométrage dédiée aux déplacements touristiques, aux achats ou aux visites diminue. « Les ménages continueraient donc à réduire leurs déplacements en voiture pour les motifs non obligés notamment les vacances et les sorties de week-end ».
La valeur de la mobilité tient aux possibilités qu’elle offre, et ce aussi bien en termes d’accès aux opportunités professionnelles, mais également a son importance dans la création de liens sociaux et à l’accès à un grand nombre de services qui participent à l’amélioration de la qualité de vie des populations : tourisme, accès à la culture, aux services de santé, aux loisirs, etc.
Ainsi, au-delà de la seule caractérisation de la population et de son lien à l’emploi, il est important d’inclure dans la qualification d’un territoire un ensemble de critères complémentaires, tels que :
- La quantité d’opportunités et d’aménités disponibles sur le territoire : ils sont les éléments déclencheurs de l’acte de mobilité (ex. emplois, services, loisirs) ;
- La quantité/qualité des infrastructures et services de mobilité : elles vont déterminer la nature du moyen utilisé pour effectuer la mobilité (ex. voiture particulière, vélo, transports collectifs, trajet multimodal).
Là où la ville réduit les espaces de vie de chacun, en densifiant les territoires en services, infrastructures et activités, la zone peu dense les étale avec : une faible densité de service, un éloignement des pôles d’emploi, des infrastructures de transport déficitaires ou inadaptées aux besoins de la population. Un étalement qui ne fut possible que par l’utilisation intensive de l’automobile.
Cependant, il est intéressant de noter que si la dépendance à la voiture est un trait commun à l’ensemble des territoires peu denses, l’intensité du phénomène n’est pas totalement homogène. On s’aperçoit que les EPCI ruraux (considérés comme les moins denses) s’approchent des caractéristiques du périurbain de la région parisienne lorsque nous concentrons sur le seul usage de la voiture. On observe que l’absence de mode de locomotion est un autre critère bien plus discriminant dans l’identification des zones peu denses qui va de pair avec l’absence ou quasi-absence de solution de transport en commun.
Une taxonomie des zones peu denses basée sur une approche multidimensionnelle
Si pour appréhender et se représenter l’environnement dans lequel nous évoluons, il est nécessaire de le simplifier via des constructions mentales le catégorisant en grands ensembles « similaires », de tels mécanismes sont source de bon nombre des biais évoqués précédemment. Nous remarquons dès lors que s’extraire d’une définition de la zone peu dense trop régressive, car basée sur une échelle qui ne fait plus sens et sur un critère unique trop restrictif, participe à révéler le caractère pluriel de ces territoires longtemps laissés de côté par les grandes politiques publiques d’aménagement de la Ve République.
Les années 60 et 70 marquent la première tentative de revitalisation du territoire d’une France de tradition centralisatrice avec le concept de « métropoles d’équilibre » qui cherchent à combattre le « marginalisme économique » [5]. 50 ans se sont ensuite écoulées avant que les agendas politiques (ex. Mission Ruralité, Agenda Rural Européen) portent de nouveau leur attention sur ce pan entier du territoire, remis sous la lumière par les enjeux liés au dérèglement climatique, la situation sociale révélée par le mouvement des Gilets Jaunes et par la crise sanitaire qui a marqué le début de cette nouvelle décennie.
Un des marqueurs du manque d’intérêt généralisé pour le sujet est le faible nombre d’enquêtes portant sur les comportements et habitudes de mobilité des populations vivant hors des zones urbaines sur ces 30 dernières années :
Constat qui se confirme dans les politiques de transport qui sont marquées à l’époque par l’arrivée du TGV et le développement du réseau autoroutier, qui ont pour objectifs de réduire les distances-temps entre quelques grands pôles (souvent urbains). Les grands perdants de cette stratégie de la mobilité des trajets longs sur-consommatrice de ressources (financières et matérielles) sont les zones peu denses, invisibilisées, qu’on traverse sans desservir, ce que les géographes ont qualifié « d’effet tunnel » [6]. Même bilan dans la loi Loti de 1982 dans laquelle la notion de ruralité est absente ou se limite au terme de « territoire interurbain ». La dernière grande loi d’orientation des transports avant la LOM se concentre alors quasi exclusivement sur les transports urbains et interurbains. Ainsi, pour la Gazette des Communes, les zones peu denses se résument pour la loi Loti à des « interstices dans lesquels l’offre de transport est souvent limitée aux grands axes reliant les villes entre elles » [7].
Choisir l’échelle et catégoriser le territoire
Comme évoqué plus haut, l’utilisation de l’échelle communale pour l’étude des mobilités est un premier biais qui empêche d’appréhender les habitudes de mobilité dans leur entièreté et donc d’en révéler toute leur complexité. Il est donc nécessaire de redéfinir le cadre de l’objet d’étude avant de se pencher sur le contenant, ce que fait la LOM en encourageant les Communautés de Communes à s’approprier cette compétence en devenant Autorité Organisatrice de Mobilité.
« Les communautés de communes sont aussi incitées à exercer la compétence en groupement : soit par la création de syndicats mixtes de transport, soit par un pôle d’équilibre territorial, soit en adhérant à un syndicat mixte de transport existant. »
Loi Mobilités, le mémo collectivités, ministère de la transition écologique et solidaire
Ainsi, la typologie produite en 2021 par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT) se différencie en termes d’unité d’analyse territoriale par le choix d’un échelon intermédiaire : l’intercommunalité (EPCI) de type Communauté de Communes (ComCom) dans le cas des zones peu denses. Cette unité d’analyse permet de rendre compte des relations et transversalités entre différents territoires.
Dans le cas de Paris et sa grande couronne qui par son interdépendance unique en France justifie la construction d’une Autorité Organisatrice de la Mobilité (AOM) d’échelle métropolitaine et régionale, une telle structure semble inadaptée à la réalité des trajets des habitants des EPCI non polarisées autour de grandes villes.
Ainsi, comme le montre le graphique ci-dessous, en dehors de la région parisienne et sa banlieue, 70% des actifs ont leur lieu de travail au sein de leur EPCI de résidence. Ce taux peut monter jusqu’à 85% pour les résidents des villes moyennes et des « EPCI Ruraux ». Dans un contexte où la part du kilométrage domicile-travail augmente, au détriment des autres déplacements (touristiques, achats ou loisir), l’EPCI semble être désigné comme l’échelle sur laquelle les efforts devront se focaliser.
Il y a pourtant un mais, car comme le précise à juste titre la Gazette des Communes, la constitution des EPCI « résulte souvent de jeux d’alliances politiques et ne constitue pas toujours une entité géographique cohérente du point de vue de la mobilité quotidienne ».
Typologie basée sur des critères multiples
Depuis sa publication au journal officiel en décembre 2019, la Loi Orientation Mobilité marque donc le grand retour de la problématique de la mobilité du quotidien dans les politiques publiques, et ce sur l’ensemble du territoire.
Sa mise en application prévoit notamment une généralisation des AOM, qui nécessite de se pencher sur les caractéristiques communes et différenciantes de ces territoires afin de dresser des diagnostics de mobilité et de fournir des clés de lecture pertinentes et adaptées à ces nouveaux acteurs d’une mobilité où tout reste à faire.
Ainsi, pour sortir de ce schéma trop englobant et des travers passés, il est primordial de travailler sur une analyse multidimensionnelle qui permettra une typologie plus fine.
Nous pouvons retenir trois premiers axes principaux qui sont géographiques, topologiques et socio-économiques qui permettent de faire une première sous-catégorisation.
A ces critères qui caractérisent les territoires, support de la mobilité, il faut y ajouter ses principaux acteurs : les populations.
Pour dresser des profils pertinents dans l’étude des pratiques, il semble opportun de se baser sur le rapport à la mobilité des individus et des ménages, comme le font Huyghe, Baptiste et Carrière qui distinguent 3 groupes majeurs :
- Les « assignés territoriaux » : personnes en situation de « mobilité dépendante » dont les déplacements sont réalisés dans un environnement très proche ou avec l’aide d’autres personnes (ex. famille ou amis). Ces populations ont un risque d’isolement très important, si ce n’est une forme d’exclusion de la société ;
- Les « vulnérables » devant restreindre leur budget dans d’autres domaines (énergie, alimentation, etc.) afin de pouvoir se déplacer. Une hausse des coûts de vie ou des taxes (notamment concernant le carburant) pourrait entraîner une remise en question de leur qualité et de leur mode de vie ;
- Les « autres mobiles » parvenant à satisfaire eux-mêmes leurs besoins en mobilités.
Dans un environnement où la mobilité est synonyme d’usage de l’automobile et où les trajets domicile-travail représentent la majorité des déplacements, la composante économique est forcément prégnante dans le choix des ménages du fait des coûts élevés de cette forme de mobilité réalisés sur des trajets incompressibles :
- Obtention du permis de conduire ;
- Coûts à l’achat du véhicule : Prix du véhicule et coût du prêt bancaire ;
- Coûts à l’usage : carburant, maintenance et assurance.
Or, dans l’optique d’offrir des alternatives à l’autosolisme ou de construire un plan de mobilité, proposer des solutions basées sur les seules capacités physiques et économiques ne peut être considéré comme pleinement satisfaisant et ne suffit pas à dresser le bilan d’un territoire en termes de besoins de mobilités.
Comme le montrent les travaux de M. Huyghe [8] sur les comportements de mobilité, le rapport à la mobilité et la construction des habitudes sont des phénomènes complexes qui nécessitent de s’intéresser à la structure sociodémographique du territoire à la fois pour adapter l’offre. Des exemples simples seraient :
- La différence d’amplitude horaire du service nécessaire entre un territoire essentiellement peuplé de travailleur du tertiaire, d’ouvriers travaillant en 3*8h ou de retraité ;
- L’effet de la structure familiale : la présence ou non d’enfants au sein d’un foyer influera sur la flexibilité des personnes et leur capacité à accepter les changements et les contraintes du transport collectif.
La notion de « trajectoires mobilitaires » décrite dans (Cailly et al., 2020)) met en relief les pratiques de mobilité à la lumière des conditions et de ces changements individuels et familiaux qui impactent les pratiques de mobilité. Ce qui rend compte de la dynamique et la pluralité des territoires et de leurs populations. L’objectif est alors de comprendre non seulement les usages de la voiture, mais aussi les déplacements spatiaux et temporels, les changements de modes de déplacement, des pratiques et les ruptures individuelles qui les accompagnent.
Comprendre les territoires à la lumière de la LOM
Au-delà de former l’espace par excellence de la mobilité du quotidien, la Communauté de Commune aux vues de ses compétences actuelles (voir le rappel Missions de Communautés de Communes) se présente comme l’acteur logique de la planification des mobilités du quotidien.
En permettant la prise de compétence de mobilité par les EPCI de type Communautés de Communes (effective depuis le 1er juillet 2021), le législateur rapproche la politique de mobilité de son contexte territorial. Un choix d’échelle qui laisse espérer des politiques de mobilités au plus proche de la diversité et des spécificités des besoins et territoires.
Une prise de conscience de la diversité des territoires qui se traduit dans la LOM par une grande autonomie donnée à ces nouvelles AOM et un outil de planification plus souple : les Plans de Mobilité Simplifiés (PMS). Le PMS se veut complémentaire du Plan de Mobilité (ancien Plan de Déplacement Urbain) à destination des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Comme le précise le CEREMA dans sa note de synthèse, le PMS en étant peu cadré par la loi permet une forte adaptation aux contextes et enjeux de chacun ainsi que de laisser sa place à l’innovation. Ainsi, malgré le fait que les AOM concernées par le PMS soient bien compétentes sur l’ensemble des services de mobilité listés dans l’illustration ci-dessous, le cadre législatif ne prévoit aucune obligation de déploiement et de gestion. Chaque AOM est libre de choisir les services les plus adaptés à ses besoins. Cependant, si la volonté d’offrir de la souplesse et de l’autonomie aux AOM semble aller dans le bon sens, l’absence de toute obligation et un PMS conditionné à la seule volonté des acteurs peut poser des interrogations, d’autant plus que la LOM s’inscrit dans un contexte d’urgence climatique (ex. évaluation environnementale non obligatoire) et d’un équilibre social un peu plus fragilisé par le renchérissement durable de l’énergie.
Cette autonomie atteint ses limites lorsqu’il est question du financement de ces services. Ainsi, le versement mobilité (anciennement versement transport) qui forme la principale source de revenus des AOM, est conditionné par la présence d’un service de transport public régulier sur le territoire. Services coûteux et pas toujours adaptés à ce type de territoires. À titre indicatif, le financement des nouveaux services de mobilité est aujourd’hui assuré à plus de 40 % par le Versement Mobilité (VM) prélevé par les AOM sur toutes les entreprises de plus de 11 salariés (Loi Mobilités, Le mémo collectivités, ministère de la transition écologique et solidaire).
Cette limite dans l’accès aux financements représente un risque concernant la capacité de ces nouvelles AOM à s’emparer de leurs nouvelles compétences.
« En incitant les intercommunalités à prendre la compétence mobilité sans garantir de financement durable associé, la nouvelle loi limite donc fortement leur marge d’action. »[9]
Outre la possibilité pour les AOM d’avoir accès à des financements dédiés (subventions, appels à projets, etc.) la prépondérance du VM basé sur la vitalité économique du territoire pose plusieurs interrogations :
- Un risque de création ou de creusement des inégalités entre les territoires, favorisant les territoires les plus dynamiques économiquement ;
- Une absence de VM comme élément d’attractivité des territoires à destination des entreprises au détriment des services de mobilité.
Parallèlement au cadre politique et de gouvernance, de nouveaux bassins de mobilité se posent les questions :
- Des modèles de mobilité à inventer qui ne pourront être une simple transposition du réseau urbain qui s’appuie sur un maillage de lignes régulières denses ;
- Du changement du comportement des usagers, historiquement dépendants de la facilité et de la vitesse de déplacement offertes par la voiture particulière dans ce type de territoires.
Ainsi, si le transfert des compétences de mobilité rapproche la politique des mobilités de son territoire d’application, et encourage la prise en compte des spécificités et besoins des populations et de leurs territoires, le cadre d’opérationnalisation du dispositif n’est pas en l’état l’assurance d’une prise de compétence réussie pour cet échelon territorial encore relativement récent. Se posera également la question de l’accompagnement des territoires dans la définition de leurs besoins, l’application des stratégies et l’assurance d’une égalité de services entre les territoires.
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Ce transfert de compétences et la création d’AOM « locales » pour travailler les plans de mobilité de ces territoires jusqu’alors oubliés semblent aller dans le bon sens en termes de retour à la proximité et de prise en compte des spécificités locales. Toutefois, l’absence de financement pérenne, d’obligation de service et les difficultés en termes d’infrastructure risquent de faire ressortir ou d’alimenter des inégalités territoriales déjà existantes, notamment en termes d’intégration de nouvelles solutions, d’innovation ou de vitalité sociale et économique. Ainsi la volonté politique et les ambitions concernant le développement des territoires demeurent, somme toute, des facteurs déterminants de la redynamisation de ces zones.
Désormais, la recherche permet de mettre en relief des éléments caractéristiques à prendre en compte dans l’élaboration d’un plan de mobilité pour ces territoires, mais aussi dans la compréhension des habitudes et besoins des populations. Prendre en compte ces spécificités signifie apporter une vision proche du terrain qui saisit les motifs des déplacements ou d’absence de déplacement, et leurs impacts (sociaux, économiques, psychologiques…) sur les usagers. Il s’agit également d’apporter une vision plus large qui ne résume pas les territoires et leurs habitants à une typologique d’espace, ce qui permet d’envisager un champ plus large de solutions.
C’est ainsi que la politique de mobilité prend tout son sens, ouvrant les perspectives au travail coordonné avec d’autres politiques publiques (urbanisme, emploi, éducation, mais aussi services publics et services à la personne…), condition nécessaire pour répondre de manière systémique et durable aux enjeux nombreux des territoires.
NOTES
[1] INSEE REFERENCES, La France et ses territoires, INSEE.fr paru le 29/04/2021
[2] INSEE REFERENCES, La France et ses territoires, INSEE.fr paru le 29/04/2021
[3] Jean Paul Hubert, Benjamin Motte Baumvol, Olivier Bonin. L’équipement automobile et les habitudes de déplacement domicile-travail dans l’espace français (hors outre-mer) selon le Recensement entre 2006 et 2015. Colloque : Peut-on se passer de la voiture hors des centres urbains ? Feb 2020, Guyancourt, France. pp 37-65. ffhal-02529348
[4] Chantal Brutel, Jeanne Pages, La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances, INSEE Première n°1835, 19/01/2021
[5] George P., Métropoles d’équilibre, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen Année 1967 38-2 pp. 105-111
[6] Confluence
[7] TechniCité, Loi d’orientation des mobilités : une réforme en trompe-l’œil pour les zones rurales, La Gazette des Communes, 07/05/2021
[8] M. HUYGHE, Habiter les territoires ruraux Comprendre les dynamiques spatiales et sociales à l’œuvre, évaluer les perspectives d’évolution des pratiques de mobilité des ménages, ÉCOLE DOCTORALE « Sciences de l’Homme et de la Société » UMR 7324 CNRS-CITERES, 16/11/2015
[9] TechniCité, Loi d’orientation des mobilités : une réforme en trompe-l’œil pour les zones rurales, La Gazette des Communes, 07/05/2021
Références
Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (2021), La France en douze portraits
Brutel C., Pages J., La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances, INSEE Première n°1835, 19/01/2021
Cailly L, Huyghe M, Oppenchaim N, (2020), Les trajectoires mobilitaires : une notion clef pour penser et accompagner les changements de modes de déplacements ?, Flux (2020) N° 121(3) 52-66
Colard J. et al. (2021) Mobilité dans les espaces périphériques et peu denses : pour un territoire plus accessible ? France Stratégie Document de travail n° 2021-02, 56 p
CEREMA (2018) Les zones blanches de mobilité : de quoi s’agit-il ?
CEREMA (2019) Expériences d’accompagnement personnalisé pour faciliter les mobilités en milieu rural et périurbain, Rapport d’étude, 78 p
CEREMA (2020) Le plan de mobilité simplifié
CEREMA (2021) Loi Mobilités : Les communautés de communes et la compétence mobilité — mode d’emploi, 12 p.
George P. (1967), Métropoles d’équilibre, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen Année 1967 38-2 pp. 105-111
Hubert J, Madre J, Pistre P (2016), L’utilisation de l’automobile par les ménages dans les territoires peu denses : analyse croisée par les enquêtes sur la mobilité et le Recensement de la population, Economie et statistique (2016) 483(1) 179-203
Huyghe M., Baptiste H., Carrière JP. (2013), Quelles organisations de la mobilité plus durable et moins dépendante de la voiture dans les espaces ruraux à faible densité ? L’exemple du Parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine, Développement durable et territoire,octobre 2013.
Huyghe M. (2015), « Habiter les territoires ruraux – Comprendre les dynamiques spatiales et sociales à l’œuvre, évaluer les perspectives d’évolution des pratiques de mobilité des ménages » thèse, Université de Tours.
Fortin F. (2021) Mobilité dans les zones peu denses en 2040 : il faudra encore compter avec la voiture, Banque des territoires
Labaronne D. et al. (2019), Ruralités : une ambition à partager ANCT, 129p
Observatoire des territoires (2021) La France en douze portraits : Rapport 2019-2020, ANCT, 34 p
TechniCité, Loi d’orientation des mobilités : une réforme en trompe-l’œil pour les zones rurales, La Gazette des Communes, 07/05/2021, URL : https://www.lagazettedescommunes.com/744517/loi-dorientation-des-mobilites-une-reforme-en-trompe-loeil-pour-les-zones-rurales/
M. HUYGHE, Habiter les territoires ruraux, Comprendre les dynamiques spatiales et sociales à l’œuvre, évaluer les perspectives d’évolution des pratiques de mobilité des ménages, ÉCOLE DOCTORALE « Sciences de l’Homme et de la Société » UMR 7324 CNRS-CITERES, 16/11/2015