Transformation organisationnelle, 4 défis principaux relevés par la littérature scientifique
Quatre défis principaux peuvent être identifiés dans les projets de transformation organisationnelle : la synchronisation des programmes et activités de changement séparés ; la mise à profit à la fois d'une approche ascendante/descendante, et de connaissances des experts et des collaborateurs locaux ; l’établissement de structures d'équipe durables, de rôles agiles et d'autonomisation des équipes ; et la création d'une culture d'apprentissage continu et d'innovation.
En approchant ces défis sous le prisme scientifique, on peut identifier des facteurs significatifs permettant à la fois le diagnostic et le traitement des difficultés.
Des outils peuvent être utilisés pour faciliter la réflexion et l’évaluation des contextes de transformation organisationnelle
La transformation organisationnelle : un processus complexe et difficile
La transformation organisationnelle peut être un processus complexe et difficile, et il existe plusieurs défis clés auxquels les organisations font souvent face lorsqu’elles entrent dans un processus de changement [1].
Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux raisons des échecs des programmes de transformation. Dans une revue de littérature scientifique de 1980 à 2011, Mosadeghrad et ses collègues ont documenté des taux d’échec (c’est-à-dire des résultats observés non conformes aux résultats attendus) entre 50% et 70% pour les programmes de transformation [2]. Dans cette étude, plus de 55 barrières sont identifiées. Nous présentons ici une catégorisation de ces barrières sous forme de « défis » pouvant être regroupés en quatre thèmes principaux (à noter, cela ne suppose pas une exhaustivité) [3] :
Nous détaillons ci-après chaque défi ainsi que les symptômes qui leurs sont associés et des solutions potentielles pour les adresser. Également, sur la base de cette revue de la littérature nous proposons en guise de conclusion un outil simple visant à aider et guider la réflexion sur les projets de transformation organisationnelle.
1/ Synchronisation des programmes et activités de changement séparés
Un programme de transformation amène à devoir lancer plusieurs chantiers dont la coordination et la cohérence d’ensemble ne font pas systématiquement l’objet d’un pilotage et d’un suivi, ce qui peut amener à une perception de « décousu » par les collaborateurs de l’organisation. Cela peut entraîner un manque de synchronisation et d’alignement, et rendre difficile le partage efficace des enseignements et des meilleures pratiques. De plus, un projet doit s’inscrire dans des critères de légitimité, de faisabilité et de pertinence qui permettent de décrypter sa contribution et son sens par rapport à l’ambition dont il découle, mais également lui donner un sens auprès des collaborateurs. Le changement doit être clairement justifié auprès des collaborateurs, dans le cas contraire l’engagement et l’implication seraient réduits pouvant conduire jusqu’à un abandon total du nouveau programme [2]. Plus des projets se définissent et sont lancés en parallèle, plus le soutien de ces critères peut être difficile. Le résultat peut être la corruption d’un projet par un projet parallèle.
Symptômes
- Des retards ou des échecs fréquents dans les projets.
- Des collaborateurs déplorent de devoir travailler sur plusieurs initiatives simultanément et de ne pas avoir suffisamment de temps ou de ressources pour s’acquitter de leurs tâches.
- Des différences importantes dans les approches, les outils et les processus utilisés dans les différents programmes et process.
- Des problèmes de visibilité des collaborateurs par rapport à leur propre situation présente et/ou future.
- Des tensions entres les managers et les employés.
- Un manque de planning et d’objectifs clairs.
Solutions
Aligner les programmes et activités de changement sur la capacité d’absorption de ces projets par l’organisation. Il convient de s’assurer que toutes les initiatives sont alignées et coordonnées, et de veiller à ce qu’un plan clair soit disponible pour partager les enseignements et les meilleures pratiques. Une évaluation ex ante doit pouvoir considérer la capacité organisationnelle et opérationnelle de mener des projets pour définir une temporalité (ex. parallèle ou sérielle). Cela peut passer par :
- Définir une gouvernance intégrant une comitologie des projets pour échanger, piloter et suivre les progrès réalisés, identifier leurs besoins en matière de soutiens de différentes natures (ressources, budgets, expertises, re-priorisation…)
- Engager un processus de communication pour permettre aux collaborateurs de comprendre les impacts du projet à la fois collectifs et individuels afin de maintenir la perception de pertinence, légitimité et faisabilité.
- Établir un calendrier de transformation qui inclut toutes les initiatives en cours et qui prévoit des moments de synchronisation réguliers. Tous les managers et les collaborateurs doivent approuver le calendrier et s’engager dans son implémentation [2].
- Former les dirigeants à justifier le besoin d’implémenter le programme de changement ainsi que ses avantages. Faire en sorte que les collaborateurs comprennent l’urgence du programme [2].
2/ Mise à profit à la fois d’une approche ascendante/descendante, et de connaissances des experts et des collaborateurs locaux
Afin d’avoir un impact durable sur une organisation, les efforts de transformation devraient impliquer à la fois une approche ascendante et descendante [4], [5]. Cependant, cela peut être difficile, en particulier lorsque la direction s’attend à un calendrier de transformation (souvent trop rapide) dont les justifications des caractères prioritaires ne sont pas partagées avec les collaborateurs, et lorsque ces derniers perçoivent d’autres besoins comme plus urgents. Une étude reportée par Mosadeghrad et collègues [2] qui s’est intéressée à 243 managers impliqués dans un processus de changement, a montré qu‘un des obstacles majeurs aux programmes de transformation est la résistance au changement. Certaines recherches ont montré que 50% de l‘attitude de résistance au changement (via le cynisme par exemple) pouvait s‘expliquer par l‘information, l‘implication face au changement et la confiance dans le senior management [2]. C’est pour cela que la consultation à la fois d’experts (ex. outils, process) et des collaborateurs locaux, qui ont la meilleure vision des tâches effectives, est essentielle notamment lors des phases de diagnostic et de cadrage des projets pour partager dès ces travaux amonts une vision cible avec l’ensemble des acteurs. Il est également nécessaire d’assurer un flux continu de transmissions d’information sur l’ensemble de l’organigramme [6].
Symptômes
- Des collaborateurs qui regrettent de ne pas être impliqués dans les décisions de changement ou de ne pas être consultés sur les problèmes qui les concernent.
- Des conflits fréquents entre les équipes et la direction générale sur les délais de transformation et les priorités.
- Des échecs répétés (non nécessairement importants) dans les phases des projets.
- Des désengagements des projets du management intermédiaire et une perte d’intérêt envers le programme de changement.
- Des incongruences entre les logiques stratégique et opérationnelle [7].
- Une résistance face au changement [2].
Solutions
Encourager les approches bidirectionnelles ascendantes/descendantes, et veiller à ce qu’il y ait une communication claire entre tous les niveaux de l’organisation. Cela peut passer par :
- Organiser des ateliers de cocréation avec des collaborateurs de tous les niveaux de l’organisation pour identifier les opportunités de changement et élaborer des solutions.
- Encourager les équipes à proposer des initiatives de changement et à partager leurs idées avec la direction, motiver les collaborateurs à participer au programme de changement activement afin de surmonter la résistance au changement et les conflits [2]. L’objectif est de faire en sorte que les collaborateurs acceptent la responsabilité du programme.
- Former les dirigeants à l’écoute active et à la communication ouverte pour qu’ils soient mieux à même de recueillir les idées et les préoccupations des collaborateurs. Dans ce type d’action, le ciblage de l’encadrement intermédiaire ou de proximité est essentiel. Un projet de transformation doit s’inscrire dans la réalité opérationnelle et quotidienne des collaborateurs. L’encadrement de proximité joue un rôle indispensable dans la transition ascendante et descendante des informations, des préoccupations et des objectifs. Il a un rôle explicatif et un devoir d’alerte vis-à-vis des instances de pilotage et de suivi.
- Promouvoir et valoriser le rôle de relai tout au long de l’organigramme pour assurer un flux de communication sur l’ensemble de l’organisation. A nouveau cela implique une communication claire et une voix au chapitre de l’ensemble des parties prenantes du projet [8]. Tous les aspects du programme doivent être discutés à travers les différents niveaux de l’organisation [2].
- Faire en sorte que les équipes managériales soient d’une part formées pour assurer le programme de changement, et d’autre part qu’elles soient supportées par les équipes de top management. L’engagement des équipes de top management est un des facteurs les plus importants déterminant le succès ou l’échec d’un programme [2].
3/ Etablissement de structures d’équipe durables, de rôles agiles et d’autonomisation des équipes
De nombreuses organisations ont des silos fonctionnels, où différentes unités travaillent indépendamment les unes des autres. Cela peut entraîner des inefficacités, de la bureaucratie et d’autres problèmes opérationnels. Pour surmonter ces défis, les organisations devraient envisager de mettre en œuvre des méthodes agiles et d’établir des équipes transversales qui peuvent travailler ensemble de manière plus efficace [3]. Par ailleurs, lors de l’implémentation d’un programme de transformation, il y a une plus grande charge de travail sur les collaborateurs [2] et cela est une raison des échecs de plusieurs programmes.
Symptômes
- Des collaborateurs qui ont le sentiment de devoir travailler en silos et de ne pas avoir suffisamment de collaboration avec d’autres unités/équipes.
- Des objectifs contradictoires présents.
- Des retards fréquents dans les projets ou des erreurs répétées.
- Des collaborateurs qui manquent d’un sentiment d’autonomie et de responsabilité dans leur travail.
- Les collaborateurs semblent avoir une charge de travail élevée à cause du programme de transformation.
Solutions
Mettre en œuvre les méthodes agiles et établir des équipes transversales pour faciliter une meilleure collaboration et améliorer l’efficacité. Cela peut passer par :
- Mettre en place des équipes transversales qui regroupent des membres de différentes unités de l’organisation et qui sont chargées de résoudre des problèmes spécifiques.
- Identifier et clarifier les objectifs contradictoires dans la mesure du possible.
- Mettre en place une gouvernance capable de réinterroger les projections, besoins et stratégies en fonction de l’évolution du projet. Trois points sont à prendre en considération : les conditions contextuelles (déterminants matériels, organisationnels et environnementaux), les mécanismes (processus d’innovation et d’intégration) et les résultats attendus ou non (les impacts organisationnels/humains, économiques, et l’émergence d’externalités) [9].
- Former les personnes en charge de la conduite des projets aux méthodes agiles telles que Scrum, Kanban, AgilePfM, SAFe et LeSS pour qu’ils puissent travailler de manière plus efficace en équipe.
- Encourager les groupes de travail à définir leurs propres rôles et responsabilités au sein de l’équipe et à se fixer des objectifs à atteindre [10].
- Reporter le programme de changement s’ils existent des tensions importantes, car implémenter le programme pendant cette période peut conduire à davantage de problèmes organisationnels [2].
- Encourager les managers à examiner les charges de travail supplémentaires qu’un changement organisationnel peut provoquer.
4/ Création d’une culture d’apprentissage continu et d’innovation
Pour réussir dans un environnement en constante évolution, les organisations doivent être en mesure de s’adapter et d’apprendre rapidement. Cela nécessite une culture d’apprentissage continu, où les collaborateurs sont encouragés à expérimenter, à tester de nouvelles idées et à partager leurs connaissances avec les autres [11], [12].
Symptômes
- Des collaborateurs qui expriment ne pas avoir suffisamment d’opportunités pour apprendre et se développer professionnellement peuvent être un signe que l’organisation ne met pas suffisamment l’accent sur l’apprentissage continu.
- Des projets qui manquent de créativité ou d’innovation peuvent indiquer un manque de stimulation et d’encouragement à expérimenter et à tester des nouvelles idées.
- Des collaborateurs qui ne participent pas activement aux initiatives de formation ou de développement professionnel peuvent être un signe que ces initiatives ne sont pas suffisamment valorisées ou encouragées par l’organisation.
Solutions
Favoriser une culture d’apprentissage continu et d’innovation en offrant des occasions aux collaborateurs d’expérimenter, de tester de nouvelles idées et de partager leurs connaissances avec les autres [11]. L’objectif est de permettre aux individus de découvrir et d’acquérir des compétences tout en ayant une meilleure vision des compétences des autres. Cela peut passer par :
- Mettre en place un programme de mentorat ou de parrainage pour permettre aux collaborateurs de bénéficier de l’expérience et de l’expertise de collègues plus expérimentés.
- Organiser des ateliers de formation et de développement professionnel pour encourager les collaborateurs à développer de nouvelles compétences.
- Encourager les collaborateurs à expérimenter et à tester de nouvelles idées en leur donnant la possibilité de participer à des projets pilotes ou à des hackathons.
- Encourager l’ouverture sur l’apprentissage depuis l’extérieur au travers de conférences, présentations, REX inter-organisations, etc.
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En conclusion, la transformation organisationnelle est un processus complexe et difficile qui peut être confronté à de nombreux défis. Parmi les principaux défis identifiés, se retrouve la synchronisation des programmes et activités de changement séparés, la mise à profit à la fois d’une approche de la base vers le haut et de connaissances des experts et des collaborateurs locaux, la gestion des changements dans les relations et les rôles et la gestion des risques et des incertitudes. Pour surmonter ces défis et réussir sa transformation organisationnelle, il est essentiel de mettre en place des solutions ciblées telles que l’alignement des programmes et activités de changement, l’encouragement des approches bidirectionnelles ascendantes/descendantes, la création de canaux de communication clairs et ouverts et la mise en place de stratégies de gestion des risques efficaces. En prenant en compte ces éléments clés, les organisations peuvent mettre toutes les chances de leur côté pour réussir leur transformation.
On peut ainsi proposer une liste de lignes directrices générales qui favoriseront la réussite d’un projet de transformation [8], [13]–[15]. Cette liste peut être utilisée comme un questionnaire d’auto-évaluation descriptive (non diagnostique) du projet avec une question simple « La stratégie de conduite de projet actuellement établie permet-elle de… ».
Pour chacune des 9 questions il suffit de répondre en utilisant une échelle comme « 1 : Pas du tout / 2 : Plutôt pas / 3 : Moyennement / 4 : Plutôt oui / 5 : Totalement ».
La moyenne (somme des scores et divisée par 9) vous donnera une note sur 5 qui donne une indication globale du niveau d’utilisation de ces leviers facilitant le projet de transformation évalué. L’apport de cette auto-évaluation tient plus dans le processus de réflexion pour chacun des points que dans le score final. Il est également pertinent de considérer l’ordination des points comme une structure pyramidale dans laquelle les points précédents servent de base aux points suivants. En procédant à la rapide évaluation proposée il est possible de repérer (de manière générale) les points de fragilité et d’adapter la stratégie.
Références
[1] K. Dikert, M. Paasivaara, and C. Lassenius, “Challenges and success factors for large-scale agile transformations: A systematic literature review,” Journal of Systems and Software, 2016
[2] A. M. Mosadeghrad and M. Ansarian, “Why do organisational change programmes fail?,” International Journal of Strategic Change Management, 2014
[3] T. Karvonen, H. Sharp, and L. Barroca, “Enterprise agility: Why is transformation so hard?,” in XP 2018: Agile Processes in Software Engineering and Extreme Programming, 2018
[4] W. L. Gardner, B. Reithel, R. T. Foley, C. C. Cogliser, and F. O. Walumba, “Attraction to Organizational Culture Profiles: Effects of Realistic Recruitment and Vertical and Horizontal Individualism – collectivism,” Management Communication Quaterly, 2009
[5] I. Mergel, N. Edelmann, and N. Haug, “Defining digital transformation: Results from expert interviews,” Gov Inf Q, vol. 36, 2019
[6] F. Daly, P. Teague, and P. Kitchen, “Exploring the role of internal communication during organisational change,” Corporate Communications: An International Journal, 2003
[7] P. Bögel, K. Pereverza, P. Upham, and O. Kordas, “Linking socio-technical transition studies and organisational change management: Steps towards an integrative, multi-scale heuristic,” J Clean Prod, 2019
[8] R. T. By, “Organisational change management: A critical review,” Journal of Change Management, 2007
[9] A. Hanelt, R. Bohnsack, D. Marz, and C. Antunes Marante, “A Systematic Review of the Literature on Digital Transformation: Insights and Implications for Strategy and Organizational Change,” Journal of Management Studies, 2021
[10] Ö. Uludağ, P. Philipp, A. Putta, M. Paasivaara, C. Lassenius, and F. Matthes, “Revealing the state of the art of large-scale agile development research: A systematic mapping study,” Journal of Systems and Software, 2022
[11] W. Zheng, B. Yang, and G. N. McLean, “Linking organizational culture, structure, strategy, and organizational effectiveness: Mediating role of knowledge management,” J Bus Res, 2010
[12] K. S. Cameron and R. E. Quinn, Diagnosing and changing organizational culture based on the competing values framework. Addison-Wesley Publishing, 1999
[13] R. Luecke, Managing change and transition. Harvard Business Press, 2003
[14] J. P. Kotter, “The eight-stage process.,” in Leading Change, J. P. Kotter, Ed. Boston: Harvard Business School Press, 2023.
[15] R. Kanter, Challenge of organizational change: How companies experience it and leaders guide it. Simon and Schuster, 2003