Transformations des pratiques managériales : quelles évolutions pour l’espace de travail ?

Brice CARASCO

Directeur

Traditionnellement, le lieu de travail incarne de façon tacite la culture d’une entreprise, avec des bureaux attitrés et l’organisation rigide de l’espace. Les changements dans les pratiques entraînent une évolution des lieux

La mise en pratique du télétravail en marche forcée a catalysé une tendance de fond qui s’amorçait depuis des années, une évolution organisationnelle du travail est nécessaire

Le bâtiment tertiaire devient hub de services. Des « parcours collaborateurs » permettront d’améliorer son rapport au travail de façon profonde et durable. Ce sera l’un des piliers incontournables du succès des changements organisationnels en cours

Building as a Service, une approche des bureaux centrée sur des usages attractifs 

Depuis quelques années, le travail évolue. Dans les pratiques, la connectivité accrue permet une certaine ubiquité du travail, plus de mobilité et un gain en termes de flexibilité. Cette tendance de fond, observée dans de nombreuses organisations, est mise en lumière par le contexte actuel et le recours forcé au travail à distance.

Dans ce sens, la crise sanitaire est un élément conjoncturel qui a modifié nos habitudes en nous imposant un travail à domicile pendant plusieurs mois. Cette situation a canalisé de fortes attentes des salariés.

Ces attentes s’orientent vers un rééquilibrage entre la vie professionnelle et la vie personnelle, avec une remise en question d’éléments qui allaient de soi, comme la localisation, ou la durée quotidienne de transport. Mais si on évoque souvent les gains d’efficacité, l’actualité démontre également les limites du travail à distance, comme l’isolement ou les risques psychosociaux…

Le bureau représente aujourd’hui la seule place d’échange physique qui réunit l’ensemble des membres d’une même organisation pour accomplir un projet commun : «le travail ». Mais les évolutions en cours nous laissent penser que nous nous orientons vers une forme de travail « hybride », qui mixerait le travail d’équipes présentes au bureau et d’autres à distance.

Dans le contexte d’une telle configuration, les fonctions de l’espace de bureau peuvent évoluer, pour mieux répondre aux nouveaux modes d’organisation. Quelles fonctions nouvelles sont amenés à remplir les espaces de travail ? Quels seront les services et quelle sera la nouvelle proposition de valeur du bureau pour des équipes mixtes, flexibles et ultra-connectées ?

Dans cet article, nous partageons notre vision de l’immobilier tertiaire et ses évolutions vers un modèle basé sur la prestation de services aux collaborateurs. Notre approche du bureau de demain, le « Building as a Service », apparaît comme une réponse efficace et pertinente aux défis des organisations qui cherchent à dynamiser la force de travail, faciliter les échanges et les collaborations, et accentuer leur attractivité.

Le lieu de travail incarne la culture organisationnelle

Le lieu de travail symbolise, souvent de façon tacite, la culture d’une entreprise. D’une part, le découpage de l’espace de travail préfigure les signes hiérarchiques d’une organisation. Par exemple : « l’étage de la direction » ou « les bureaux des managers ». De la même manière, la configuration des aménagements peut refléter la répartition fonctionnelle des équipes : « l’étage de la direction des ressources humaines », « le cluster de la com », ou encore « le plateau du service IT » … 

En interne, les agencements physiques peuvent avoir des conséquences implicites sur des aspects moins visibles de l’organisation, comme la fluidité et la transversalité des échanges. La collaboration entre différents départements peut, par exemple, se voir entravée par un découpage trop rigide des espaces de travail. C’est également le cas des différentes configurations intérieures. Favoriser les open-spaces, les grandes salles de réunion, ou les bureaux personnels peut déterminer la nature et la qualité des échanges et des relations au sein de l’entreprise.

En fonction des choix, ces configurations reflètent le caractère innovant ou ascétique de l’organisation et donc des modes de travail qui y sont encouragés. Les valeurs humaines sont aussi véhiculées par la qualité et la fonctionnalité d’espaces dédiés à la convivialité, qui permettent de renforcer le lien social.

En externe, l’aménagement des bureaux peut également avoir un impact sur la relation entre l’entreprise et ses clients, ou encore les candidats. L’implantation géographique des bureaux, par exemple, va jouer un rôle sur la marque employeur, à l’instar des bureaux à proximité des grandes agglomérations qui seront générateurs d’une image attractive pour les jeunes diplômés.

L’environnement de travail cristallise de cette manière les valeurs de l’organisation et sa culture.

Depuis les années 2000, l’apparition massive des startups sur le marché du travail a donné une impulsion à l’apparition d’une nouvelle culture organisationnelle. En rupture avec les modèles traditionnels basés sur la hiérarchie et la répartition rigide des espaces, ce nouveau modèle favorise la flexibilité, le fonctionnement en réseau et le management par la confiance.

Les startups ont su incarner pleinement une certaine approche de l’horizontalité, se caractérisant par des méthodes de travail peu conventionnelles qui mêlent à la fois l’innovation, l’autonomie et l’expérimentation ; « faire des erreurs fait partie intégrante du processus de créativité ».

Les espaces de travail y sont pensés en conséquence : peu cloisonnés, ils encouragent la transversalité entre les équipes. Par ailleurs, ils intègrent des espaces de détente, de créativité et de productivité. Une véritable rupture a ainsi été créée, qui a permis d’éliminer des facteurs de stress liés au management par le contrôle, pour permettre aux salariés de se concentrer moins sur l’environnement de travail, et plus sur les tâches à accomplir.

De nombreuses entreprises se sont fait écho de ces nouvelles pratiques, afin d’attirer une nouvelle force de travail de plus en plus exigeante et affirmée. Les entreprises traditionnelles font évoluer leurs lieux de travail en proposant des espaces innovants.

Les changements dans les modes de travail ont été suivis par une évolution dans les aménagements spatiaux au sein des entreprises, qui accompagnent et soutiennent les efforts managériaux.

A ce titre, le projet Les Dunes de la Société Générale illustre cette évolution. Il est un bon exemple d’innovation en matière de nouveaux modes de travail, de changement organisationnel et d’aménagement des espaces de travail.


Les Dunes sont un ensemble de cinq bâtiments d’environ 90 000 m² situé à Val-de-Fontenay. Ce projet a permis un rééquilibrage géographique Ouest/Est en facilitant les déplacements de 5 500 collaborateurs de la Défense à Val-de-Fontenay. Pour rendre ce campus attractif, la conception du bâtiment a été pensée avec l’implication des collaborateurs.

Dans Les Dunes, des services et aménagements permettent de cultiver le sentiment d’appartenance en créant et encourageant le lien social. L’implantation d’espaces propices aux échanges informels, avec notamment un restaurant ouvert au public (qui renouvelle l’image de la cantine d’entreprise) ou des espaces avec une acoustique spécifique, favorisent les discussions. Des balcons accessibles à tous les étages depuis les tisaneries, ou un amphithéâtre à mille lieues de l’univers financier facilitent les rencontres et les partages informels, renforçant le sentiment d’appartenance. De la même manière, des images fortes comme le street art dans les parkings ou les salles de musique transforment l’image de marque afin de la rendre plus attractive.

Ensuite, le lieu est propice à une grande autonomie dans la façon de travailler, insufflant ainsi de la confiance dans les modes managériaux. Le travail en tous lieux est favorisé. Il est permis de prendre un cours de chant et même de jouer à des jeux vidéo, des salles dédiées sont prévues à cet effet.

En outre, pour créer de la transversalité et l’ouverture des équipes internes travaillant sur des projets d’entreprise sont mixées avec des startups externes hébergées dans un espace incubateur.


Enfin, dans sa conception le bâtiment traduit l’engagement et les valeurs de la marque employeur. Les promesses RSE de la société ont été matérialisées et concrétisées par l’utilisation de matériaux d’origine locale et écoresponsables.

Ce projet d’envergure traduit une tendance forte qui montre les évolutions des lieux de travail au rythme des transformations dans les modes et pratiques. L’espace de travail incarne la culture organisationnelle de l’entreprise, et chaque organisation s’appropriera des changements à son échelle.

Une évolution nécessaire renforcée par la conjoncture

Avec comme toile de fond ces transformations dans les pratiques managériales et les attentes des salariés, le contexte de crise sanitaire actuel met en lumière des phénomènes de fond qui étaient déjà émergents.

C’est sur la base de ces évolutions que se construit le futur lieu de travail. En effet, si on pouvait s’attendre à ce que le confinement du printemps 2020 « change en profondeur le rapport au bureau et au télétravail », selon le baromètre Paris Workplace 2020 cela n’a pas été exactement le cas. Au contraire, c’est l’ensemble de l’environnement du travail (dans les modes, les relations, les attentes, mais aussi les pratiques comme le lieu et les formats), qui affirme des tendances et transformations de fond qui faisaient surface, comme démontré plus haut, depuis des années.

La démocratisation du télétravail, mais modérée  

En 2017, la DARES [1] évaluait à 3 % le taux de salariés français qui pratiquaient le télétravail au moins 1 jour par semaine. En novembre 2019, ils étaient 7,2 %, dont une large part « occasionnellement ». 6 mois plus tard, pendant le confinement 27 % des salariés étaient en télétravail ce qui représente environ 8 millions de Français. À chaud le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg a annoncé qu’il souhaitait que la moitié de ses salariés puissent travailler de chez eux de manière permanente d’ici 5 à 10 ans.

Mais à y regarder de plus près, ce qui évolue ce n’est pas la vision : télétravail vs travail en présentiel, mais plutôt la part idéale des jours de télétravail par semaine. Selon la dernière étude IFOP/SFL, le nombre idéal de journées télétravaillées passe en moyenne de 1 à 2 jours/semaine. 22 % des personnes sondées seraient même prêtes à télétravailler 3 jours/semaine.

©Unsplash

Le télétravail est donc plébiscité par un grand nombre de salariés, mais peu le voient comme un mode de travail permanent, l’intention est là, mais dans un régime modéré. En effet, depuis le 1er confinement, 30 % des télétravailleurs ressentent une dégradation de leurs conditions de travail, le lien social, leur motivation et leur équilibre de vie semblent difficiles à maintenir malgré les outils digitaux. Un changement de paradigme est en train de s’amorcer.

 

L’accélération de l’adoption d’outils digitaux et collaboratifs 

La crise du COVID-19 a joué comme un accélérateur dans l’utilisation et l’adoption des outils digitaux.

On peut distinguer deux types d’entreprises, celles qui avaient opté pour des solutions « Cloud » de type « Office 365 » et celles qui étaient restées avec des répertoires sur des serveurs internes, des messageries traditionnelles.

Les premières se sont plus rapidement adaptées en utilisant un produit dont elles disposaient même si certaines n’en maitrisaient pas tous les usages. Les autres ont cherché des solutions de contournement grand public rapide à mettre en œuvre, comme Zoom.

Des barrières comme : l’appétence des utilisateurs, la sécurité, la comptabilité technique et matérielle ont été surmontées de façon spectaculaire par un grand nombre d’acteurs des secteurs public et privé.

 

Casser les structures rigides et aplanir le management archaïque

Le confinement et le recours au télétravail ont révélé un besoin de changement sociétal fort. Deux axes semblent prégnants : la rigidité managériale et la flexibilité spatio-temporelle.

L’hyperconnectivité induite par le travail à distance a exacerbé les limites du management par le contrôle. Les récentes études ont montré qu’une certaine pression psychologique avait été vécue par les salariés avec un micromanagement par le contrôle qui se manifeste par un grand nombre de reportings, de messages, d’appels dans une journée de travail. Ce type de management n’est pas adapté au travail à distance et laisse peu de place à la confiance et à l’autonomie.  

Malgré cela, selon le baromètre 2020 de Paris Workplace, la génération Y est en fait la moins critique vis-à-vis de la hiérarchie. Ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une suppression des liens managériaux, mais d’une évolution nécessaire vers plus d’autonomie, de transmission et de partage, et moins de contrôle. Par conséquent, pour encadrer le travail à distance, il semble indispensable de construire des règles et adopter des rituels managériaux pour conjuguer le projet d’entreprise et les intérêts des salariés.

D’autant plus que le télétravail peut apporter une réponse aux attentes des salariés en termes d’équilibre, puisqu’il offre une flexibilité spatio-temporelle du travail, notamment à travers une certaine liberté dans la production, la réduction du temps de transport et en lui permettant de mieux concilier la sphère professionnelle et personnelle.

Cette nouvelle configuration de travail hybride nécessite néanmoins de repenser l’organisation du travail. En effet, un cadre doit-être donné aux salariés pour maintenir un juste équilibre entre ces sphères. Et pour répondre aux besoins en termes de maintien du lien social.  

Malgré le confort relatif du travail à distance, les salariés plébiscitent le bureau notamment pour le travail collectif et le partage – ©Unsplash

Vers une ère de digital nomade

Dans une organisation « hybride » mêlant ainsi du travail à distance et au bureau, le lieu de travail est central pour cristalliser l’évolution culturelle de l’organisation de façon profonde et durable. L’espace physique est le lieu où se concrétisent ces transformations, en donnant du sens, en créant de l’autonomie et en incarnant les valeurs de l’entreprise.

L’usage des bureaux va donc évoluer pour répondre aux nouvelles pratiques. C’est en repensant l’expérience collaborateur sur son lieu de travail que les entreprises réussiront à maintenir le lien social et enclencher ce changement culturel. Pour ce faire les parcours seront à adapter aux nouveaux usages, ce qui permettra une meilleure gestion du travail hybride.

Le bureau de demain : le Building as a Service, une approche centrée sur des usages attractifs.

Aujourd’hui, la valeur d’un produit est mesurée par son usage, c’est-à-dire le service qu’il va produire pour l’utilisateur final.

Le cas de la société Airbnb illustre bien ce basculement vers l’ère du service. En effet, Airbnb, plateforme de location d’appartement entre particuliers, qui ne possède aucun hôtel, avait en 2015, une capitalisation 2,6 fois plus élevée que le groupe Accor qui possédait à l’époque 3700 hôtels. C’est également le cas d’Amazon, d’Uber…

Le bureau comme espace de services pour les collaborateurs – ©Canva

La valeur d’un bâtiment pour ses occupants est également mesurable par son usage, ce sont les services qui contribueront à la performance, au bien-être et au sentiment d’appartenance de ses occupants envers l’organisation. Cette dimension « servicielle » du lieu de travail peut s’étendre au quartier : en effet, environ 50 % des salariés souhaitent effectuer leurs consultations médicales dans le quartier de travail, et 45 % d’entre eux souhaitent y faire du sport. Au-delà du lieu d’implantation, ceci renforce l’idée d’un lieu de travail qui fournit des services attractifs à ses utilisateurs.  

En d’autres termes, les salariés pourront se rendre au bureau pour réaliser des actes qu’ils n’ont pas la capacité de réaliser à distance. Les services offerts au sein du bâtiment leur permettront de créer de la valeur et de cultiver une attache avec leur entreprise.

Demain, les collaborateurs auront le choix de leur lieu de travail. Ils travailleront à distance depuis un lieu compatible comme leur domicile, un tiers lieu, chez un client, dans leur résidence secondaire et même à leur bureau. Cette configuration de « travail hybride » qui mixera durablement une diversité de présence (télétravail et travail sur site), obligera le bureau de demain à matérialiser les évolutions en termes de nouvelle culture managériale et nouvelles valeurs d’entreprise.

C’est en repensant la conception des aménagements des bâtiments tertiaires comme une véritable plateforme de services, le « BaaS » (Building as a Service) que les échanges seront facilités entre les membres d’une même entreprise. Les services créeront de la valeur pour les salariés et pour l’organisation dans son ensemble.


Depuis maintenant plusieurs années une transformation organisationnelle est en train de s’opérer dans les entreprises ; elle reste balbutiante pour certaines et profonde pour d’autres, mais il s’agit toutefois d’une tendance de fond.

La crise sanitaire que nous traversons a catalysé un grand nombre d’attentes chez les salariés, ce qui va accélérer la transformation des organisations dans les prochains mois.

L’évolution des espaces de bureaux vers la fourniture des services aux salariés, le Building as a Service et l’organisation des nouveaux modes de travail, représentent des véritables leviers de transformation. Cependant, ils n’en restent pas moins des investissements importants pour les entreprises.

Pour autant, l’adoption du télétravail à dose convenable, la rotation des équipes sur lieu de travail et le passage au flex office représentent autant de leviers actionnables pour optimiser les surfaces occupées et financer des travaux d’aménagement.


[1] La direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques est une direction de l’administration publique centrale française, qui dépend du ministère du Travail.

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