L’impact de la pandémie de Covid-19 sur les transports urbains en Europe
La pandémie de Covid-19 a été un facteur d’accélération pour l’appropriation de nouveaux modes de déplacement plus individuels et fragmentés, portés par la croissance des flottes de véhicules en free floating dans nos métropoles
Moins inclusives qu’il n’y parait, ces nouvelles habitudes de mobilité restent encore circonscrites à des trajets courts et à une fraction d’utilisateurs très urbains
Le développement du MaaS permettra-t-il à ces nouvelles habitudes de mobilité de perdurer une fois l’épidémie écartée ?
La pandémie de Covid-19 a remis en question l’essence du transport urbain, en particulier les mass transports (les transports ferroviaires collectifs de type métro, RER, tramway). En cause : la promiscuité entre les voyageurs, qui ne permet pas de respecter les règles de distanciation sociale recommandées par les autorités sanitaires. De nouvelles habitudes de mobilité sont apparues, montrant la pertinence d’une mobilité inclusive, fondée sur la multimodalité et la complémentarité entre les différents moyens de transport.
Une fréquentation en berne pendant la pandémie
L’instauration de confinements et de couvre-feux à l’échelle nationale ou métropolitaine, selon les pays, a fait drastiquement baisser la fréquentation des transports urbains, en particulier les transports urbains ferroviaires. Ces derniers, majoritairement utilisés dans les déplacements domicile-travail, ont été délaissés.
En France, la fréquentation des transports en commun pendant le premier confinement (2e semaine de mars à 2e semaine de mai 2020) était en moyenne 85% inférieure à celle de la première semaine de mars 2020 (le pic fut à – 98% pour la 2e semaine d’avril) pour les seuls transports « lourds », à savoir métro, RER et tramway. Pendant le 2e confinement, l’Institut Paris Région note une dynamique similaire, avec une fréquentation d’environ 60 % inférieure à celle de la première semaine de mars.
Le déconfinement n’est pas synonyme de reprise complète des mass transports. En effet, ce retour se fait sous un mode dégradé, et les facteurs de « démobilité » sont nombreux : des commerces fermés, généralisation du télétravail, distanciation sociale… autant de facteurs qui contribuent à un usage limité des transports urbains. A titre d’exemple, le cabinet de conseil McKinsey indique que l’instauration massive du télétravail a entrainé une baisse de 10 à 15% de la fréquentation des transports en commun à l’échelle européenne. Leurs prévisions post crise sanitaire évoquent une baisse durable de 15 à 35 % en Europe, tandis que l’Institut Paris Région envisage une baisse de 6 à 13 % à l’échelle francilienne.
Comment assurer la vocation des transports urbains collectifs sans menacer la santé des personnes ?
Les transports urbains collectifs ne peuvent retrouver pleinement leur rôle qu’à condition d’adapter les conditions de service et le matériel aux exigences de sécurité sanitaire. Les autorités de transports urbains ont ainsi déployé un ensemble de mesures sanitaires conséquentes pour retrouver la confiance des voyageurs
Une autre façon de protéger la santé des usagers est d’éviter au maximum le contact entre les voyageurs et les surfaces du mobilier et des véhicules de transport urbain. La pandémie peut être un moteur d’accélération pour le développement d’initiatives allant dans ce sens (par exemple, mise en circulation de rames et de portiques automatiques qui permettent aux voyageurs d’entrer et sortir sans toucher de porte).
D’autre part, la pandémie montre l’intérêt sanitaire des systèmes de paiement « sans contact » (cartes Navigo ou cartes Oyster, qui remplacent les tickets de métro), ou de systèmes de paiement « open loop » (Apple Pay ou Revolut), dans lesquels la facturation du trajet se fait directement sur la carte bancaire et non plus sur une carte dédiée pour le transport. A ce titre, Ile-de-France Mobilités a récemment lancé la possibilité de charger son pass Navigo, d’acheter et valider les titres de transport directement depuis son téléphone.
Vers une mobilité urbaine alternative ?
Le transport urbain a longtemps été synonyme de systèmes de transports collectifs (métro, bus, tramways), résultant d’une planification sinon étatique, du moins locale (Lander, Régions, Métropoles…). Depuis déjà plusieurs années, les villes ont aussi vu surgir des solutions reposant sur l’accès à des flottes disponibles en libre-service auprès des utilisateurs : d’abord les vélos, suivis par les deux-roues, les automobiles et, plus récemment, les trottinettes. Les applications dédiées permettent de consulter, en temps réel, la disponibilité et la géolocalisation des véhicules de chaque flotte. Libéré des contraintes horaires, le voyageur reste toutefois dépendant de la disponibilité du véhicule qu’il souhaite réserver.
Selon l’édition 2020 de l’Observatoire national de la mobilité de l’UTP, 66% des voyageurs ont eu recours à des moyens de transport personnels pendant le confinement : parmi eux, 51% ont utilisé la voiture, 13% le vélo et 4% la trottinette. Ce changement de mode de mobilité a l’air de perdurer puisqu’à l’issue du confinement, 36% des utilisateurs de transports en commun comptaient changer leur(s) mode(s) de déplacement : 19% pensaient opter pour la marche, 16% pour la voiture personnelle et 12% pour les deux roues (motorisés ou non). En Ile-de-France, ils étaient 24% à envisager un changement de mode de déplacement en juin 2020. L’évolution 2019/2020 des déplacements à vélo montre une explosion des trajets à vélo en septembre 2020 par rapport à septembre 2019, mais l’instauration des couvre-feux et du 2e confinement a fait revenir la courbe à la normale.
Certaines villes ont pris acte de cette transition dès le début de la crise sanitaire en utilisant des outils simples, peu coûteux et faciles à mettre en œuvre pour donner plus de place aux piétons et aux cyclistes : modification de la réglementation (sens interdit, sens unique, limitation de vitesse) et aménagements à l’aide du matériel réglementaire de signalisation de chantier (bornes, balises, peinture orange). Paris, Berlin et Budapest ont mis en œuvre des aménagements provisoires d’élargissement des trottoirs et des pistes cyclables et ont fermé certaines rues aux automobiles.
A Paris, cette action a vocation à perdurer dans le temps et s’inscrit dans la création d’un réseau régional de pistes cyclables de 650 km, nommé « RER V », initialement proposé par le collectif Vélo Ile-de-France. La Région a annoncé le 30 novembre 2020 le lancement des cinq premiers axes de ce projet. La métropole de Londres a aussi saisi l’opportunité de la crise sanitaire pour annoncer le lancement du « Streetspace Plan » : des interventions sur la voirie existante permettront de multiplier par 10 les pistes cyclables et par 5 la voirie piétonne.
Un changement de paradigme qui reste limité à une fraction d’utilisateurs
La question qui se pose désormais est celle de la durabilité de ce changement de paradigme. Les nouvelles habitudes de mobilité resteront-elles temporaires (le temps de l’épidémie), ou perdureront-elles une fois l’épidémie écartée ?
Plusieurs facteurs confirment la prédominance actuelle des mass transports par rapport aux autres modes de mobilité.
Déjà, le remplacement total d’un type de mobilité par un autre suppose une action sur les infrastructures routières, la voirie et l’aménagement urbain, et ce, dans une configuration actuelle complexe et surchargée, qui ne rend pas toujours l’adaptation possible. L’accroissement de l’utilisation du vélo suppose ainsi la création et l’entretien d’un maillage de pistes cyclables que les municipalités doivent intégrer dans leurs budgets. Par ailleurs, le développement du free floating intègre aussi de nouveaux coûts de fonctionnement et de nouvelles formes contractuelles.
D’autre part, le remplacement d’une solution de mobilité par une autre suppose une vision unique de la mobilité, et qu’elle est la même pour tous. Or, la réalité montre que ce n’est pas le cas : le terme unique de « mobilité » cache de fortes disparités géographiques, temporelles et socio-économiques. Les usagers n’utilisent pas les mêmes modes de transport selon l’horaire de leur déplacement, leur point de départ et de destination, l’objectif du déplacement, leurs revenus… La complémentarité de l’offre est donc essentielle. L’Institut Paris Régions en donne quelques éléments d’illustration : la distance moyenne des trajets en mass transports est de 15 km contre 2,5 km pour les trajets réalisés à vélo ; les trajets diffus en grande couronne sont majoritairement réalisés en voiture quand les trajets Paris/grande couronne et Paris/petite couronne sont plutôt réalisés en transports en commun. Enfin, les trajets diurnes sont plutôt effectués en transports en commun et les trajets nocturnes en voiture (venant compenser la plus faible fréquence voire l’absence de desserte entre 23h et 6h).
Le changement des pratiques de mobilité reste cependant circonscrit aux trajets les plus courts et aux usagers les plus urbains.
Les transports en commun sont en effet la façon la plus économique de se déplacer pour une grande partie de voyageurs en Ile-de-France. A titre d’exemple, un déplacement Paris/grande couronne d’une heure, effectué dans le cadre du travail (base de 20 jours ouvrés) coûte 1,88€ s’il est réalisé en métro, 2,08€ à vélo et 13€ en trottinette[1]. L’offre de free floating est pertinente pour des trajets « d’appoint », mais ne saurait constituer le seul moyen de transport d’un déplacement pendulaire grande distance.
Enfin, les usagers les plus urbains bénéficient d’un double avantage : l’offre de moyens de transports urbains y est très large (en termes de diversité des moyens proposés) et dense (en termes de maillage). A titre d’exemple, l’Ile-de-France se caractérise en effet par un maillage ferroviaire francilien dont la densité diminue de façon concentrique, avec 248 stations en zone 1 (Paris intra-muros), 35 stations en zone 2 et 19 stations en zone 3. La création de 72 nouvelles stations dans le cadre du Grand Paris Express permettra de raccourcir significativement les temps de trajet et d’élargir le volume de destinations accessibles.
Le Covid-19, une opportunité pour le développement du Maas à grande échelle ?
La crise sanitaire offre une opportunité pour repenser le système de transports urbains vers une mobilité multimodale, portée par le MaaS et le développement des systèmes de free floating.
A Paris, l’accumulation d’incidents empêchant la libre circulation des transports en commun (manifestation récurrentes, grèves, pandémie…) ont permis à de nombreux habitants de découvrir des itinéraires alternatifs à ceux qu’ils empruntaient déjà : métro + tramway, marche + vélo, tramway + trottinette, vélo + RER… Les combinaisons, nombreuses, témoignent d’une croissante fragmentation de la mobilité, qui associe désormais plusieurs modes de déplacement.
Le MaaS (Mobility as a Service) montre alors toute sa pertinence. Dans le principe, une seule application mobile concentre plusieurs modes de transport différents pour un même trajet, en intégrant à la fois les mass transports (service public) et le free floating (service privé). L’application propose au voyageur les fonctionnalités nécessaires à la réalisation de son trajet, à toutes les étapes (planification et information en temps réel, géolocalisation des véhicules et des stations, réservation, gestion des achats…). A titre d’exemple, Ile-de-France Mobilités et la RATP ont lancé à Paris, en novembre 2019 une première expérimentation nommée MaaX (Mobiliy as an Expérience) : elle regroupe les lignes de métro, de RER, de tramway, de Transilien, mais aussi les flottes de scooters (CityScoot), de trottinettes (Dott), de VTC (Free Now, Marcel), de vélos en libre-service sans borne (Donkey Republic)….
Le MaaS, par son approche plus ouverte, plus fluide et plus souple des transports urbains, se constitue ainsi comme support indispensable à la pérennisation des nouvelles habitudes de mobilité.
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La pandémie de Covid-19 a été un facteur d’accélération pour l’appropriation de nouveaux modes de déplacement. Elle a montré un report des mobilités vers des solutions plus individuelles, mais plus fragmentées. Témoin de ce changement, le téléphone permet désormais de localiser, de réserver et de payer son moyen de transport.
Paradoxalement, elle a aussi confirmé la place du mass transit qui constitue encore, pour une grande partie des métropolitains, la solution la plus rapide, la plus capacitaire et la plus abordable sur de longues distances.
[1] Sur la base de 20 déplacements pendulaires mensuels, soit 40 trajets domicile/travail par mois.
Au moment de la rédaction de cet article, les prix sont les suivants :
- Ile-de-France Mobilités : 1,9€ le ticket de métro ; 7,5€ le pass Navigo journalier (indépendamment du nombre de trajets réalisés) ; 75,20€ le pass Navigo mensuel.
- Vélib : abonnement mensuel facultatif de 3,10€ puis 2€/30 min d’utilisation, à l’exception de la première demi-heure qui est gratuite.
- Trottinette Lime : création obligatoire d’un portefeuille virtuel de 10 ou 20€, qui est ensuite débité à hauteur de 1€ + 0,20€/min d’utilisation.
- Estimation du coût complet d’utilisation d’une Renault Clio : 500 €/mois (Institut Paris Régions)
Sources
The trends driving Europe’s mass transit future forward – Ellerd LIEM, intelligenttransport.com, 28 octobre 2020
How public transport in Paris changes in 2021 – The Local, 5 janvier 2021
Transportation trends in 2020 (podcast) – Tiffany Fishman (US), Mahesh Kelkar (India), Avi Schwartz (US), J. Bryan Nicol (US) et Rana Sen (US), Deloitte Insights, 13 avril 2020
How COVID has opened a new chapter for public transportation – Cityway SAS, intelligenttranport.com, 9 décembre 2020
Restoring public transit in Europe amid COVID-19 – David Chinn, Carsten Lotz, Luuk Speksnijder, and Sebastian Stern, with Raphaelle Chapuis, Ruby Holmes, Arthur Knol, Karim Tadjeddine, and Koen Wolfs, McKinsey, 5 juin 2020
Mobilité après le covid-19 : le transport collectif en grave danger, un impact limité sur les autres modes ? (PDF) – iternet.org, 29 avril 2020
Tableau de bord de la mobilité en Île-de-France – Dany Nguyen-Luong , institutparisregion.fr, 2020
Le vélo sera au cœur de la mobilité post-confinement – Dominique Riou, institutparisregion.fr, 22 avril 2020
Transports publics : regagner la confiance des voyageurs, le grand défi de l’après-Covid – Anne Lenormand, banquedesterritoires.fr, 20 novembre 2020
Observatoire 2020 de la Mobilité (PDF) – Union des Transports Publics et ferroviaires, 19 novembre 2020