MaaS : Quelle dynamique de collaboration pour les acteurs publics et privés en France ?

Artimon Perspectives

Le secteur de la mobilité urbaine est en pleine mutation. A travers le cadre législatif, les pouvoirs publics créent en France un environnement favorable au développement d‘offres de mobility as a service

L’ouverture d’accès aux données de mobilité : les acteurs privés pourraient être contraints à partager leurs données de transport et de navigation. Une opportunité pour enrichir l’offre multimodale du transport public, atteindre des zones éloignées et favoriser la création de plateformes MaaS ?

Les acteurs traditionnels du transport peuvent nouer des partenariats avec les acteurs privés tout en garantissant l’inclusion et l’accessibilité à la mobilité. La nécessité de coopérer, afin de favoriser un service universel et optimal de mobilité, semble nécessaire, mais sa mise en place est complexe.

Mardi 18 juin 2019, le géant du transport ferroviaire, SNCF, a annoncé le lancement de son assistant à la mobilité nommé « L’assistant SNCF », une application mobile destinée à faciliter les déplacements en centralisant l’offre de transport. Un pas important qui confirme le développement de l’offre de « Mobility as a Service (MaaS)  »  en France. Ce concept né en Finlande en 2014 est simple : une offre de transport multimodale accessible en un clic depuis son smartphone. Nous analysons dans cet article le contexte public favorable aux développements de plateformes MaaS en France. 

Les pouvoirs publics créent un environnement propice au développement des MaaS

Le secteur de la mobilité urbaine est en pleine mutation. En témoigne la hausse significative d’investissements publics dans les transports et les infrastructures. Et le cadre législatif français semble aussi évoluer en ce sens. Par exemple, la loi d’orientation des mobilités (LOM), adoptée par le Sénat et en première lecture par l’Assemblée Nationale, vise à moderniser la mobilité tout en adressant des enjeux majeurs (comme l’infrastructure ou les aspects environnementaux) et en encourageant les solutions innovantes

« L’État prévoit d’investir un total de 13,4 milliards d’euros dans les transports entre 2018 et 2022. Un budget en hausse de 40% par rapport à la période 2013-2017, qui sera largement consacré à deux grandes mesures : l’amélioration des transports du quotidien et la rénovation des réseaux routiers et ferroviaires. ​ »


Gouvernement.fr, « Transports : un projet de loi pour penser les mobilités de demain », 26/11/18

Ainsi, le projet traite notamment la question de l’ouverture des données sur la mobilité, sans distinction entre les acteurs publics et privés.

Ces données concernent les usages des utilisateurs (heures des déplacements, trajets plus courants, modes de transport utilisés…) et l’offre de transport, de navigation et de connectivité des véhicules (localisation des chauffeurs, disponibilité des véhicules, temps de trajet et d’attente, tarifs…). La mise à disposition de ce type d’information permettra d’enrichir l’offre de transports en commun, favorisant la création de services multimodales (comme le MaaS), et in fine avoir un impact environnemental favorable à travers l’abandon de la voiture individuelle.


Fig. 1  – Loi d’orientation des mobilités (Le Monde, 01 juin 2019)
Le projet de loi d’orientation des mobilités vise à structurer le secteur du transport, favoriser les mobilités douces, le covoiturage, l’autopartage et l’ouverture des données.

La loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015 avait commencé à instaurer un « terreau favorable » au développement de projets liés à la mobilité, en poussant les régions françaises à s’interroger sur leur organisation territoriale. Elle a ainsi renforcé le rôle des territoires, leur donnant davantage de liberté en termes de développement économique. Concernant les transports, le rôle confié jusqu’alors aux départements a été affecté aux régions ; elles devront notamment maximiser l’accessibilité aux transports et mener des projets liés à la mobilité pour attirer de futurs habitants.

Une coopétition des acteurs publics et privés : nécessaire mais difficile ?

En parallèle de ce cadre législatif favorable, et des impacts probables de l’ouverture des données sur la mobilité, l’idée d’une mobilité « as a Service » engendre des questionnements autour des acteurs et de la répartition de la valeur. La nécessité de coopérer entre acteurs publics et privés, afin de favoriser un service universel et optimal, semble inévitable, mais sa mise en place est complexe. L’équilibre entre niveau d’investissement, impact sociétal et résultats attendus diffère pour chaque partie prenante.

D’une part, le service public suit une logique de maximisation de l’utilité sociale quand les prestataires du service privé suivent une économie de marché et de maximisation de la rentabilité. Ainsi, les pouvoirs publics ont un rôle très important à jouer : penser la mobilité au service du collectif et s’attacher à livrer un service inclusif et accessible.

D’autre part, là où les entreprises attacheront davantage d’importance à la zone géographique, afin de maximiser le volume d’activité, l’action publique est nécessaire pour faciliter l’accès au transport dans les zones plus éloignées. Car l’utilisation de la voiture personnelle est en lien étroit avec le lieu de résidence : « la voiture est utilisée dans 15 % des déplacements quotidiens à Paris, 50 à 70 % dans les grandes agglomérations, 75 à 85 % dans les villes petites et moyennes et plus de 90 % dans les territoires périurbains ou ruraux [1]»

Très souvent, dans les zones peu denses, le trajet domicile/travail ne peut s’effectuer par d’autres moyens que la voiture. Encourager des modes de transport alternatifs, comme l’autopartage et le covoiturage, est une façon de développer des services inclusifs. Et la mise en place de solutions multimodales comme le MaaS, peut permettre l’émergence d’autres types de transport pour les trajets fréquents dans les zones éloignées.

Cependant, le pouvoir de régulation de la puissance publique diminue. Le rythme de l’innovation dépasse la capacité d’absorption des administrations (et souvent des utilisateurs eux-mêmes). En témoigne l’arrivée des trottinettes électriques dans Paris, où l’absence d’anticipation a conduit la mairie à tenter une régulation a posteriori, proposant par exemple « aux opérateurs que toutes les trottinettes électriques voient leur vitesse bridée à 20 km/h dans tout Paris et à 8 km/h dans les aires piétonnes et les zones de rencontre [2]».  

Aussi, les startups ou grandes entreprises innovantes ont un niveau d’indépendance financière qui les rend plus agiles, ayant recours à divers moyens de financement (comme les levés de fonds), et indépendantes de l’attribution des subventions publiques. C’est pourquoi, dans un contexte où la France a décidé de « redistribuer les cartes » de marchés historiques du transport (la RATP ou encore la SNCF se préparant par exemple à l’ouverture à la concurrence [3]), les pouvoirs publics doivent garantir leur présence sur ce marché afin de ne pas voir des inégalités accroître et des entreprises en situation de monopole.

C’est en ce sens que le Directeur Service et Relation Client de la RATP, parlant de l’application Citymapper, déclarait lors d’une interview accordée au Monde : « Vous pensez vraiment que cette société lève autant d’argent pour développer simplement le meilleur service d’itinéraire ? ». Ces propos faisant référence à la difficile collaboration entre la RATP et Citymapper, notamment sur le partage de données.

En conclusion, les pouvoirs publics doivent à la fois nouer des partenariats avec les acteurs privés tout en gardant comme ligne conductrice l’universalité de leur offre de mobilité. Les administrations peuvent tirer profit de la dynamique de ces jeunes entreprises en matière d’innovation et de données collectées, afin de proposer l’offre de mobilité la plus utile aux citoyens. Cependant, le développement de cette nouvelle mobilité ne doit pas négliger les possibles effets pervers. Par exemple, des villes de New Jersey ont interdit la circulation aux non-résidents à certaines heures, pour éviter la congestion causée par l’utilisation massive de Waze, qui ne prend pas en compte des zones sensibles en termes d’accidents, comme les écoles.

Aussi, l’utilisation croissante de trottinettes électriques se traduit dans une augmentation des risques d’accident.  A Paris, entre 2016 et 2017, le nombre de blessés et d’accidents mortels dû aux trottinettes et rollers (dont les statistiques sont indissociables) était en hausse de 23%. Autant de raisons pour les autorités d’être présentes sur le marché et d’essayer d’anticiper les disruptions.

Tout laisse penser qu’acteurs publiques et privés devront avancer ensemble afin de saisir les opportunités de cette nouvelle mobilité tout en limitant les risques qui y sont associées. En l’état, nous pouvons imaginer que le développement de l’offre MaaS en France devrait s’accroitre rapidement.


[1] Centre d’Etudes sur les Réseaux, les Transports et l’Urbanisme (CERTU)

[2] « Paris : Anne Hidalgo hausse le ton face aux trottinettes électriques », La Tribune, 06/06/19

[3] Pour aller plus loin : SNCF : que signifie l’ouverture à la concurrence ?

Articles similaires